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"Dentiste boucher" : derrière ce cas extrême, quels problèmes (moins médiatisés) pose le recrutement de professionnels étrangers pour pallier la désertification médicale ?
©Reuters

L’arbre qui cache la forêt

La désertification médicale cause sans cesse plus de ravages. Pour y remédier, les chasseurs de têtes avaient notamment recruté le "dentiste de l'horreur", actuellement en procès pour la façon dont il traitait ses patients. Mais, si son cas est extrême, l'emploi de médecins dont le diplôme provient d'ailleurs est à la source de plusieurs dangers et problèmes.

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard est professeur d’économie à l’ESCP, président de l’Institut de Santé et auteur de « L’Autonomie solidaire en santé, la seule réforme possible ! », publié aux éditions Michalon.

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Atlantico : Ce mardi 8 mars s'ouvrait le procès du dentiste Mark Van Nierop, surnommé le "dentiste boucher" ou le "dentiste de l'horreur". L'homme avait été recruté par un chasseur de tête, pour palier à la désertification médicale des campagnes françaises. Au-delà de ce cas extrême, quels problèmes rencontre-t-on plus couramment du fait d'avoir recours à des professionnels étrangers dans le domaine de la santé ?

Frédéric Bizard : La question majeure est évidemment celle de la qualité de leurs prestations médicales.Bien entendu, à celle-ci est liée la question de leur formation initiale comme de leur formation continue. Il existe une équivalence des diplômes au niveau européen, pas une équivalence des niveaux de formation. La France a un excellent niveau de formation initiale et si d'autres pays l'ont également, le niveau de la formation n'est pas comparable dans certains pays. Dans un certain nombre de pays de l'Est (et autre), par exemple, les formations sont souvent de moins bonne qualité. On le constate avec le niveau des internes étrangers a l'hôpital : certains d'entre eux n'ont pas le niveau requis pour réaliser des interventions habituellement faites par les internes. Il existe aussi un vrai souci de remise au niveau et de formation concernant des praticiens formés hors de l'Union Européenne. Parmi les médecins étrangers, il faut distinguer les médecins de l'Union Européenne (qui jouissent de la libre circulation et peuvent donc venir exercer librement dans chaque pays membre) de ceux qui viennent d'au-delà les frontières de l'Union.

La deuxième question que cela pose est celle de l'accréditation. Prenons, par exemple, le cas de l'Angleterre. Sur le total de médecins exerçant sur son sol, l'Angleterre compte environ 30% de pratiquants dont le diplôme provient d'ailleurs. Ils ont fait face à un véritable problème de qualité, qui entraînait de vraies inégalités dans le traitement des pathologies dont souffraient les populations. Pour y faire face, les autorités anglaises ont mis en place une licence d'exercice. Concrètement, il s'agit d'une certification régulière (environ tous les 5 ans) du niveau du pratiquant. En Angleterre, un médecin ne peut pas exercer sans elle, même avec un diplôme. Il lui faut cette accréditation, laquelle nécessite un niveau de formation comparable à celui de médecins formés en Angleterre. En France, une fois le diplôme obtenu, un médecin a un droit d'exercice à vie... quand bien même il n'est peut-être pas au niveau, ce qui est d'autant plus récurrent avec des diplômes étrangers. Le Conseil de l'Ordre s'est penché sur cette question et a proposé une certification des médecins tous les 5 ans. C'est la bonne voie me semble t'il. Il est important de mettre en place quelque chose qui ne soit pas une usine à gaz, soit bien vécu par les médecins, mais permette la régulation par la qualité. Il faut entretenir, maintenir et améliorer les connaissances des médecins, les accompagner et procéder à une évaluation positive de la maîtrise des connaissances suffisantes. Pour les médecins étrangers, c'est par là qu'il faut commencer, avant de permettre l'exercice. C'est primordial pour s'assurer de la maîtrise des prérequis pour bien soigner.

En Angleterre, les médecins titulaires d'un diplôme étranger sont plus nombreux qu'en France. Nos voisins européens ont-ils des problèmes comparables, ou la situation est-elle différente ?

La France, comparée à ses voisins européens, a moins de médecins étrangers. Sur l'ensemble des médecins pratiquant sur notre sol, ils représentent environ 12%. C'est un phénomène qui est plus récent chez nous qu'ailleurs. Ailleurs en Europe, ils mettent pour la plupart en place un contrôle du niveau (au travers, notamment, de la licence d'exercice) de façon à s'assurer que la liberté d'exercer ne se fait pas au détriment de la qualité des prestations médicales, sur l'ensemble du territoire. 

En France, ce contrôle de qualité peut être améliorée . Il y a une formation médicale continue, certes, mais elle n'est pas des plus efficaces dans la vérification des connaissances. C'est quelque chose que l'on peut se permettre quand le niveau de formation est excellent, mais l'afflux croissant (25% des médecins enregistrés au Conseil de l'Ordre chaque année sont des médecins au diplôme étranger, ce qui inclus également des Français partis étudier ailleurs) ne permet plus de se reposer sur cette seule formation. Et la régulation actuelle ne permet pas de contrôler avec efficacité le niveau de ses médecins. C'est là que l'on constate que le phénomène s'accélère.

La désertification médicale est un thème régulièrement abordé en France. François Hollande s'était notamment engagé à "favoriser une meilleure répartition des médecins par la création de pôles de santé de proximité dans chaque territoire". Cinq ans après, dans quelle mesure cette promesse a-t-elle été tenue ?

Sauf erreur de ma part, l'engagement pris par François Hollande dans le cadre de la présidentielle était de permettre à chaque Français l'accès à un service d'urgence en moins de 30 minutes. Il est important de savoir qu'en France, la répartition des médecins est historiquement l'une des meilleures possibles. Cela étant, depuis quelques années on constate des territoires en sous-densité de médecins. Le Conseil de l'Ordre a répertorié 198 zones en sous-densité de médecins. Concrètement, cela correspond donc à la situation pour deux millions cinq-cent milles Français.

Ce que nous constatons c'est l'accélération de ce phénomène, notamment due au vieillissement de la population médicale. Un médecin sur quatre a plus de soixante ans et partira donc à la retraite dans les dix années à venir. Il existe, en parallèle, de grandes difficultés à trouver des médecins qui s'installent, dans certains territoires mais également qui s'installent tout court. Soulignons le fait qu'un médecin libéral ne s'installe pas avant 35 ans. Par conséquent, dans les cinq années qui suivent l'obtention du diplôme, ils préfèrent généralement rester remplaçants. Or, notre modèle d'installation (particulièrement en ville) est à dominante libérale. Certains souhaitent le voir évoluer vers un modèle salarié, ce qui me semble être un contre-sens dans l'histoire puisque l'exercice libéral a démontré sa capacité à la flexibilité et à mieux couvrir le territoire. En outre, les autres professions se développent de plus en plus au travers de statuts indépendants et non dans le salariat. Faire l'inverse en médecine me parait aller à contre-sens de l'histoire et coûtera beaucoup plus cher.

Les maires des petites communes sont vent debout contre ce problème de recrutement des médecins... on s'aperçoit qu'un business parallèle s'installe, qui consiste à recruter des médecins à l'étranger et ne conduit qu'à des échecs en grande majorité. Souvent, ces médecins viennent, prennent les subventions versées pour la création de leur cabinet et repartent. Ça n'est pas la solution.

Pour palier au problème de la désertification médicale, quelle autre solution que le recours à des professionnels étrangers peut-on envisager ? Quelles sont les racines du problème ?

Il y a, je crois, deux choses à faire. En premier lieu, rendre aux territoires leur attractivité. Ensuite, rendre à l'exercice libérale de la profession cette même attractivité qu'il a perdu.

J'ai proposé 40 mesures dans mon livre Politique de santé - Réussir le changement, dont la mise en place de centres ambulatoires universitaires. On a, de mon point de vue, une aberration dans le système de formation des médecins généralistes. Ils sont très majoritairement formés à l'hôpital, pendant leurs trois ans d'internat. Or, ensuite, ils croiseront des cas cliniques ambulatoires et non hospitaliers. La création de centres ambulatoires universitaires passerait par des cabinets médicaux, des maisons de santé, etc. labélisés et installés sous la supervision des centres hospitalo-universitaires (demeurant les têtes de pont d'enseignement). Les prérogatives sont aujourd'hui confiées au CHU, en matière d'enseignement et de recherches. Il faut les étendre à des structures médicales en ville. Les stages réalisés en matière médicale sont une solution trop partielle. Former des médecins généralistes, qui passeront trois ans en internat en ville, dans ces centres ambulatoires universitaires leur permettra de mieux découvrir l'exercice libéral et ambulatoire dans des conditions réelles. Cela offrira aussi la possibilité de créer une vie sociale facilitant l'installation. Enfin, cela met en adéquation la formation clinique avec la réalité clinique.

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