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"Underwood contre Underwood" : fiction haletante ou miroir de la faillite de la politique américaine ?
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Plus vrai que nature

Alors que la saison 4 de House of Cards, la série à succès de Netflix, est disponible, le réalisme cynique de cette fiction n'est pas sans rappeler le théâtre politique réel actuel.

Harry Bos

Harry Bos

D’origine néerlandaise, Harry Bos vit et travaille depuis 25 ans en France en tant que programmateur et promoteur du cinéma de son pays natal. Il écrit régulièrement des articles sur le cinéma et des productions télévisuelles, en se focalisant en général sur leurs aspects politiques. 

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House of Cards, saison 4

Les Underwood sont de retour. Depuis vendredi 4 mars, la quatrième saison de House of Cards, la série qui a fait la réputation de la plateforme de films et séries télé Netflix, est visible sur la toile d’un seul trait. Les spectateurs dans le monde entier s’immergent dans ce que la presse américaine appelle une « binge-fest » un festin de visionnage non-stop des nouvelles aventures du président américain Frank Underwood et de sa femme Claire. 

Bien que cette façon de regarder des séries soit loin d’être une nouveauté – le téléchargement illégal est passé par là – c’est ici devenu un véritable principe de narration. House of Cards est certes un feuilleton avec ses moments de suspense (cliffhangers) qui incitent à ne pas interrompre le visionnage, mais c’est aussi une tentative de construire un récit fluide, où l’on prend le temps de développer des personnages et des situations dramatiques complexes. En fait, chaque saison fonctionne comme un (très) long métrage de cinéma. D’où la présence de nombreuses scènes intimes, où le récit semble à peine avancer et qui sont autant d’impressions de la vie dans la capitale fédérale américaine. Une vie où les personnages circulent à pas feutrés dans des intérieurs peu éclairés, comme autant d’ombres sur une scène de théâtre, devant des décors pâles et jaunâtres. Car on le sait depuis trois saisons, cette atmosphère n’est qu’un leurre, avant l’arrivée du prochain retournement de situation. Dans House of Cards, il n’y a pas de place pour les faibles ou les naïfs ; pour survivre, il faut agir en félin : anticiper dans le silence et être impitoyable dans l’attaque. Voilà Washington selon les créateurs de la série, un univers glaçant, où les destins peuvent basculer d’un moment à l’autre.

Au début de la quatrième saison, les affaires vont mal pour le Président, notre badguy préféré, Frank Underwood (Kevin Spacey). On avait vu, dans la saison trois, que l’exercice transgressif et brutal de son pouvoir lui avait peu à peu aliéné tout Washington, y compris son propre parti. Des primaires sont organisées pour choisir un autre candidat. D’ailleurs, sur le plan international, il avait rencontré plus fort que lui : le président russe, Victor Petrov. Quant à sa femme Claire, véritable Lady Macbeth des temps modernes, elle est encore plus impitoyable et ambitieuse que son mari. Elle l’avait abandonné à la fin de la saison et elle semble maintenant vouloir commencer sa propre carrière politique, et s’opposer directement à Frank.

Bien évidemment, ce n’est pas encore la fin d’Underwood – la qualité de « survivor » est le principe même de House of Cards.

Notre sphinx rebondit donc. Il revoit de vieux amis – l’écrivain Tom Yates, qui devait écrire la biographie du couple présidentiel – et rencontre de nouveaux adversaires –le jeune et féroce candidat républicain à la présidence, Will Conway. Il doit aussi affronter une situation internationale aggravée par l’émergence d’un mouvement terroriste. Et ce n’est pas tout. Cette quatrième saison, malgré un début plutôt médiocre, monte en puissance à travers plusieurs épisodes terrifiants. Elle abonde en dialogues tranchants comme des rasoirs, plusieurs magnifiques leçons de rhétorique et un événement central qui change toute la donne...

Mais que doit-on retirer au final de House of Cards ? Thriller psychologique ? Fable politique ? Récit à thèse censé dénoncer le pouvoir des "tous-pourris" à Washington – voire au-delà des Etats-Unis ? La série reprend un grand nombre d’éléments de la réalité de ces dernières années, voire de ces derniers mois, mais en néglige aussi. La présence de Conway par exemple, un modéré de l’Etat de New York, est une pure fiction, quand on sait la situation actuelle du parti qu’il est censé représenter. De même, la grave crise pétrolière que le pays traverse dans cette saison 4 fait sourire, en ces temps d’autonomie énergétique américaine et d’effondrement des prix du pétrole...

On sait que le créateur et scénariste de House of Cards Beau Willimon, qui signe ici sa dernière saison avant de quitter la série, a été conseiller de la campagne du très "liberal" (au sens américain du terme) Howard Dean en 2004, une expérience qui lui a notamment inspiré la pièce Farragut North (2008), adaptée au cinéma par George Clooney. L’écrivain Tom Yates dans, véritable alter égo de Willimon dans la série, se dit démocrate marxiste et se trouve politiquement très à la gauche du spectre politique américain. Sanders aurait été à l’évidence son candidat favori, même si quand le scénario fut écrit, l’hypothèse Sanders n’était pas d’actualité.

Willimon a en effet un autre modèle pour son personnage Underwood, on l’oublie souvent. Ce n’est ni Bill Clinton, ni George W. Bush mais "LBJ", le président démocrate Lyndon B. Johnson (1903-1973). Comme Underwood, il devient président sans être élu, après l’assassinat de John F. Kennedyen 1963. Comme Underwood, il lance un grand programme de reformes, la "Great Society". Et comme Underwood, il est manipulateur et fraudeur, avec des méthodes de gouvernement peu scrupuleuses. En plus, il entraîne son pays dans la guerre lointaine et désastreuse du Vietnam.

Claire Underwood dit qu’il suffit d’aller "juste un peu plus loin que les autres",dans ce jeu de poker menteur.Et c’est exactement se qui se passe. Chaque fois que leurs adversaires attaquent, les Underwood répliquent en poussant un peu plus loin, ils dépassant ainsi tout ce que l’on pense possible ou vraisemblable. House of Cards se lit finalement comme un catalogue hypothétique de toutes les transgressions du pouvoir présidentiel américain – un pouvoir qui est, rappelons-le, moins grand que celui du Président français.

Mais jusqu’où peut-on aller trop loin dans House of Cards ? That is the question, la question centrale, et il faut encore une saison pour – peut-être – connaître la réponse. Le suspense continue…

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