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Fermeture des tribunaux correctionnels pour mineurs : même effaré par le bilan trouvé à la chancellerie, le nouveau ministre de la Justice persiste dans la grave erreur de Christiane Taubira
©France Bleu

Réforme pénalisante

Alors que le nouveau ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas a annoncé son intention de supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs récidivistes, cette décision prise dans le but de désengorger les services de justice n'est pas sans poser un certain nombre de problèmes.

Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Atlantico : Alors que l'Assemblée votait ce mardi la réforme pénale, Jean-Jacques Urvoas, le nouveau Garde des Sceaux, a annoncé son intention de supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs récidivistes. Quels arguments avance-t-il pour défendre cette mesure à laquelle tenait particulièrement Christiane Taubira ? 

Guillaume Jeanson : Au cours de son entretien avec Jean-Jacques Bourdin, notre actuel Garde des Sceaux a justifié son intention de supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs en arguant, d’une part, qu’elle ne concernerait qu’une frange minime des condamnations de mineurs et en pointant d’autre part, l’embouteillage des juridictions qu’elle générerait, le tout pour des sanctions qui seraient comparables à celles émanant des tribunaux pour enfants.

Quel était la raison d'être spécifique de tels tribunaux, et quelle est leur utilité réelle à l'heure actuelle ?

L’étude d’impact annexée au projet de loi de 2011 créant les tribunaux correctionnels pour mineurs précise que le nombre de mineurs mis en cause pour des faits de violences depuis 1990 a augmenté de 575%. Une étude menée en 2011 par l’Observatoire national de la délinquance établit que les 14-18 ans, soit 5% seulement de la population française, représentent à eux seuls 25% des mis en cause pour viols et agressions sexuelles, 34% pour cambriolages, 46% pour vols avec violence et 57% pour destructions et dégradations de biens publics. L’un des objectifs annoncés était alors "d’adapter la réponse pénale à l’évolution de la délinquance des mineurs". La création de ces tribunaux correctionnels pour mineurs résulte d’une préconisation de la commission de réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 présidée par le recteur André Varinard, lui-même par ailleurs assesseur du tribunal pour enfants de Lyon. Elle consiste en l’application du principe de progressivité de la justice pénale des mineurs en matière processuelle. L’idée est d’adapter la composition du tribunal au profil du mineur délinquant. Certains mineurs étant en effet déjà très ancrés dans la délinquance. Pour certains d’entre eux, Sebastian Roché précisant même que, "plus que de noyaux durs, il faut parler de noyaux suractifs".

Jusqu’au 1er janvier 2012, date d’entrée en vigueur de cette loi, l’ensemble des délits les plus graves commis par des mineurs de 16 à 18 ans étaient jugés par les tribunaux pour enfants. Ces juridictions sont composées d’un juge professionnel et de deux assesseurs non professionnels qui ne siègent qu’une fois tous les trois ou six mois. Frédéric Carteron, ancien juge des enfants au Tribunal de grande instance de Pontoise, écrivait au mois de mai dernier à leur sujet que "sans remettre en cause leur dévouement, ceux-ci ne bénéficient pas du recul et de l’expérience nécessaires pour juger des mineurs au parcours de délinquance particulièrement compliqué". Ajoutant même que "la pratique a démontré que les assesseurs peinent à adapter leur positionnement au parcours particulièrement complexe et violent de tels mineurs". Pour remédier à cette difficulté, la création des tribunaux correctionnels pour mineurs visait donc à soumettre au jugement de trois magistrats professionnels, dont un juge des enfants, les mineurs récidivistes de 16 à 18 ans poursuivis pour des délits punis d’au moins trois ans de prison.

Cette réforme, saluée par une grande majorité de Français (75% de ceux interrogés à l’occasion d’un sondage par l’institut CSA en juillet 2014 s’étant encore déclarés favorables au maintien de ces tribunaux correctionnels pour mineurs), s’est néanmoins heurtée à deux obstacles de taille. Le premier : une désertion du politique quant aux moyens qui auraient dû être alloués pour que puissent fonctionner décemment ces juridictions - nécessairement plus gourmandes en magistrats professionnels. Le second : un refus idéologique de principe d’une partie de la profession. Catherine Sultan, actuelle directrice de la Protection Judiciaire de la Jeunesse et ancienne juge des enfants, n’hésite pas à cet égard en 2013 à nous en faire, dans son livre intitulé Je ne parlerai qu’à ma juge, un compte-rendu édifiant : "dans la période récente, alors que les fondements de la justice des mineurs ont été remis en cause par l’introduction de procédures nouvelles plus proche du droit des majeurs, un positionnement cohérent et rigoureux a permis une forme de résistance". Citant les tribunaux correctionnels pour mineurs au nombre de ces "réformes ponctuelles" qui "anéantissent" le principe de "priorité éducative et de nécessité d’une justice spécialisée", elle explique alors avoir "proposé à sa hiérarchie" que ce nouveau tribunal ne soit plus composé d’un seul, mais de trois juges des enfants. Ajoutant : "le président du Tribunal de grande instance estimait notre proposition un peu excessive. Finalement, deux juges pour enfants et un magistrat non spécialisé ont été retenus". Inutile de préciser qu’une telle composition, de surcroît de magistrats au militantisme affiché, ne pouvait que réduire à néant l’effet de plus grande sévérité recherché. Frédéric Carteron souligne ainsi de son côté, qu’"il est fréquent que certaines circonstances relatives à l’infraction soient 'oubliées' afin que le dossier soit renvoyé devant le tribunal pour enfants au lieu du tribunal correctionnel pour mineurs". Dans ces circonstances, il est loisible de comprendre ce pourquoi les tribunaux correctionnels pour mineurs ne sont à ce jour que si rarement saisis.

Quelles conséquences auraient leur suppression ? Quelles autres solutions pourrait-on envisager pour désengorger une justice dont Jean-Jacques Urvoas affirme que ces tribunaux l'"asphyxient" ?

Nombreux sont ceux à estimer que, dans le contexte actuel de forte délinquance des mineurs, leur suppression constituerait une erreur. André Varinard parle quant à lui de "très mauvais signe adressé aux délinquants mineurs les plus difficiles". Mais le vrai sujet nous semble résider davantage dans la réflexion qu’il convient de mener pour permettre à cette institution de remplir pleinement le rôle pour lequel elle a été créée. Au-delà des moyens nécessaires réclamés à juste titre de longue date, certaines mesures structurelles pourraient être envisagées. 70% du temps de travail du juge des enfants est consacré à des activités socio-éducatives. Ses responsabilités pénales ne représentent que 25 à 30% de son temps de travail. Dans son rapport publié en octobre 2014, la Cour des Comptes constate que "82 % des mesures d’assistance éducatives sont prononcées par les juges des enfants, alors que de nombreux cas pourraient être et devraient être traités par le département" ; or "les juges prennent des mesures que rien ne distingue au fond des décisions prises par l’Aide Sociale à l’Enfance dans le domaine administratif". Décharger et recentrer les fonctions du Juge des enfants est donc une première piste. Il en existe d’autres. Nous pourrions aussi songer à professionnaliser certains assesseurs actuels du tribunal pour enfants, en les convoquant plus régulièrement, afin de leur permettre à terme de siéger aux audiences du tribunal correctionnel pour mineurs.

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