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Paris et Bruxelles en désaccord
sur le blocage des sites illégaux
de paris en ligne ?
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Pagaille

Un décret du 30 décembre 2011 est venu compléter les dispositions sur leur blocage par les fournisseurs d'accès à Internet. Explications sur l'enchevêtrement juridique français et les divergences avec la régulation européenne...

Antoine Chéron

Antoine Chéron

Antoine Chéron est avocat spécialisé en propriété intellectuelle et NTIC, fondateur du cabinet ACBM.

Son site : www.acbm-avocats.com

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Le décret n°2011-2122 du 30 décembre 2011 développe les modalités de blocage que les fournisseurs d’accès à internet (FAI) doivent mettre en place à l’encontre des sites illégaux de paris en ligne.

Il vient ainsi compléter les lois du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique et  du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent.

Ainsi, lorsqu’un site de pari en ligne n’a pas bénéficié d’un agrément, et est donc illicite, l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) adresse à l’opérateur du site, une mise en demeure rappelant ses obligations et les sanctions encourues. En cas d’inaction de ce dernier, le président de l’ARJEL peut saisir le président du Tribunal de Grande Instance de Paris aux fins d'ordonner, en la forme des référés, l'arrêt de l'accès à ce service par le FAI ou le déréférencement du site par le moteur de recherche.

L’arrêt de l’accès au site est effectué selon le blocage par nom de domaine (DNS) qui consiste à rendre inopérant le système de noms utilisés pour localiser des ordinateurs et des services en lignes (article 1 du Décret). Le surcoût éventuel d’une telle opération mise à la charge des FAI fait l’objet d’une compensation financière par l’ARJEL. Le décret précise que le « surcoût » correspond au coût des interventions manuelles spécifiques supplémentaires opérées dans les systèmes DNS, par exemple l’acquisition de serveurs DNS supplémentaires. Afin d’obtenir le remboursement, les FAI devront adresser à l’ARJEL le détail des interventions effectuées.  Ce document doit être validé par le Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies.

Ainsi, c’est donc un véritable "droit au blocage" des sites internet litigieux, qui est mis en place par ces textes et le décret du 30 décembre 2011 aun réel intérêt pratique en ce qu’il envisage les frais subis par les FAI et leur compensation.

Le décret intervient dans un contexte juridique complexe en matière de blocage de sites internet.

En effet, la question de la légitimité du blocage se pose dans de nombreux pays, qui pour la plupart se sont prononcés en faveur de cette méthode de lutte contre les contenus illégaux sur internet.

Les Etats-Unis par exemple, ont des systèmes de luttes efficaces contre les contenus pédo-pornographiques ou bien même, depuis la loi « Protect IP Act », contre les sites portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle. D’ailleurs, une proposition de loi appelée « E-Parasites Act » ou « SOPA » -Stop Online Piracy Act- suggère de durcir les outils de lutte contre le piratage (responsabilité accrue des hébergeurs et autres intermédiaires qui devront agir à priori afin de filtrer les contenus illicites, etc.)

Cependant, alors que l’unanimité semblait peu ou prou acquise en ce qui concerne la possibilité du blocage, un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 24 novembre 2011, répondant à une question préjudicielle posée par la Cour d’Appel de Bruxelles vient remettre en cause le processus de blocage (affaire C‑70/10).

Dans cette affaire, qui opposait un fournisseur d’accès à internet (« Scarlet ») et la SABAM, équivalent de la SACEM en Belgique, le Tribunal a jugé que le FAI avait l’obligation d’installer un système de filtrage pour surveiller tout le trafic peer-to-peer sur ses réseaux et pour bloquer les échanges de fichiers inclus dans le répertoire de la SABAM.

La CJUE s’oppose à cette interprétation de la loi Belge et retient qu’une telle injonction serait contraire à la liberté d’entreprise du FAI d’une part et aux droits à la protection des données à caractère personnel, à la liberté de recevoir ou de communiquer des informations et à la liberté d’information des clients des FAI d’autre part.

En effet, selon la Cour, cela « obligerait les FAI à mettre en place un système informatique complexe, coûteux, permanent et à ses seuls frais ».

Ensuite, comme l’indique la Cour, «  l’injonction de mettre en place le système de filtrage litigieux impliquerait une analyse systématique de tous les contenus ainsi que la collecte et l’identification des adresses IP des utilisateurs qui sont à l’origine de l’envoi des contenus illicites sur le réseau, ces adresses étant des données protégées à caractère personnel, car elles permettent l’identification précise desdits utilisateurs. »

Enfin, la Cour met en exergue la difficulté présente lors de la distinction entre un contenu illicite et un contenu licite, de sorte que le système pourrait avoir pour effet d’entraîner le blocage de communications à contenu licite. D’ailleurs les exceptions légales au droit d’auteur varient d’un État membre à l’autre. En outre, « certaines œuvres peuvent relever, dans certains États membres, du domaine public ou elles peuvent faire l’objet d’une mise en ligne à titre gratuit de la part des auteurs concernés. »

Cette décision est unique, cependant elle émane d’une instance européenne par conséquent son impact ne doit pas être minoré.

Néanmoins, le fait que le décret n°2011-2122 intervienne postérieurement à cette décision peut signifier que le législateur français marque son désaccord quant à la décision de la CJUE.

La question est désormais de savoir si cette position française est circonscrite aux jeux en lignes, ou si elle a vocation à être élargie au domaine de la propriété intellectuelle (sachant que la loi Hadopi  a échoué dans sa tentative de mettre en place un système similaire).

En outre, on peut également s’interroger sur l’attitude que vont adopter les autres pays européens, sachant que, la Cour d’appel de Bruxelles, dans cet arrêt Scarlet, va se fondre, de toute évidence, dans le sillage de la Cour Européénne.

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