Primaires américaines : Cruz face à Trump, ou la bataille pour l’âme du parti républicain<!-- --> | Atlantico.fr
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Marco Rubio, nettement distancé, pourrait se retirer de la course. John Kasich restant invisible, cela réduirait la campagne républcaine à un face-à-face entre Donald Trump et Ted Cruz.
Marco Rubio, nettement distancé, pourrait se retirer de la course. John Kasich restant invisible, cela réduirait la campagne républcaine à un face-à-face entre Donald Trump et Ted Cruz.
©Reuters

Trans-amérique Express

La campagne des Républicains se résume aujourd'hui à un face-à-face entre Donald Trump et Ted Cruz, le candidat le plus inattendu, véritable ovni politique, et le héraut de l’orthodoxie conservatrice qu’est le sénateur texan. Un duel qui déciderait du candidat républicain, certes, mais aussi de l’identité du parti.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Ted Cruz va-t-il sauver le parti républicain de l’implosion ? Ce n’est pas encore sûr ! Mais il est le dernier espoir des conservateurs de garder leur mainmise idéologique sur le parti de Lincoln. Une mainmise vieille de plus d’un demi-siècle et que Donald Trump menace dangereusement. C’est d’ailleurs la véritable raison du rejet de sa candidature par l’establishment. Car derrière la bataille des primaires se déroule une autre bataille, tout aussi âpre, pour l’âme du parti républicain.

Quatre Etats votaient ce week-end aux Etats-Unis dans le cadre des primaires républicaines. Donald Trump en a remporté deux, la Louisiane et le Kentucky. Ted Cruz aussi, le Kansas et le Maine. Marco Rubio, nettement distancé, pourrait se retirer de la course. John Kasich restant invisible, cela réduirait effectivement la campagne à un face-à-face entre Donald Trump et Ted Cruz. Entre le candidat le plus inattendu, véritable ovni politique, et le héraut de l’orthodoxie conservatrice qu’est le sénateur texan. Un face-à-face qui déciderait non seulement du candidat républicain mais aussi de l’identité du parti.

Depuis un demi-siècle, cette identité est ancrée dans le conservatisme. Or, Donald Trump n’est pas un conservateur. Il y a peu, il n’était même pas républicain ! Et pour les cadres du parti, sa candidature constitue une tentative d’OPA. A la manière d’un raider de Wall Street, Trump tente de mettre la main sur le parti en jouant les petits actionnaires (les électeurs de base) contre les gros, (l’establishment). Et il pourrait bien l’emporter…

Le parti républicain a été fondé en 1854 par Abraham Lincoln. Son premier slogan était "free soil, free labor, free men" : "des terres libres, des travailleurs libres, des hommes libres" ! C’était le parti de la "liberté", au sens où elle s’opposait alors à l’esclavage, la grande question du XIXe siècle qui allait précipiter la sécession des Etats du sud et la guerre civile de 1861 à 1865.

A l’issue de ce conflit, les Républicains ont dominé la vie politique américaine jusqu'à la grande dépression des années 1930. Pendant ces six décennies, il n’y eut que deux présidents démocrates, Grover Cleveland et Woodrow Wilson, contre dix républicains. Le parti républicain était le parti de la croissance, de l’expansionnisme, de l’industrialisation et de la réforme, le parti de tous les Américains ordinaires qui voulaient croire en leur chance…

Franklin Roosevelt, élu en 1932, a transformé le pays. Sa "Nouvelle Donne" a redéfini le rôle de l’Etat. Le laisser-faire économique a fait place à une politique industrielle, à la régulation du commerce et à la réglementation des relations sociales. Le gouvernement est devenu interventionniste. L’impôt ne servait plus à simplement couvrir ses dépenses, mais avait acquis une fonction re-distributrice et égalitariste. Les citoyens n’étaient plus livrés à eux-mêmes, Washington s’était fait le garant de leur bien-être…

Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, le parti républicain s’est affirmé en réaction à cette "Nouvelle Donne". Toujours au nom de la liberté. Mais il ne s’agissait plus de la liberté des esclaves, ni des traditionnelles libertés de culte et d’expression, il s’agissait de la liberté individuelle, de la liberté économique, de la liberté d’entreprendre et d’échanger face aux avancées tentaculaires de l’Etat.

Au-delà de ces principes de base, les divergences internes étaient nombreuses. On parlait du parti comme d’une "grande tente", tolérant les diversités de vue au nom d’une cohérence générale. En politique étrangère, les "isolationnistes" différaient des "interventionnistes". En politique sociale, les "progressistes" s’opposaient aux "traditionnalistes"…

Tout a changé en 1964. Lors de la convention nationale qui se tenait à San Francisco, les conservateurs ont réussi à imposer Barry Goldwater comme candidat à la présidence. Goldwater, sénateur de l’Arizona, était un ultraconservateur, épris d’individualisme, décidé à effacer la "Nouvelle Donne" et débarrasser le monde de l’Union soviétique. Il fut laminé par le président sortant Lyndon Johnson, 61% contre 39%. La pire défaite de tous les candidats présidentiels républicains. Mais une défaite créditée d’avoir donné naissance à une nouvelle coalition conservatrice qui allait porter Ronald Reagan au pouvoir 16 ans plus tard, en 1980.

Cette coalition se caractérisait par un conservatisme à trois facettes : conservatisme fiscal, conservatisme social, inspiré par la religion, et conservatisme international, avec le culte d’une Amérique forte. Cette coalition a permis aux Républicains de remporter trois élections présidentielles consécutives et de porter George W. Bush au pouvoir en 2000. Ce faisant, elle a aussi clos le débat au sein du parti, tombé sous la coupe des conservateurs, notamment en matière sociale. La question de l’avortement (légal aux Etats-Unis depuis 1973) est devenue un test d’appartenance. Aucun candidat ne peut obtenir le soutien du parti s’il n’est pas "pro-life", c’est-à-dire favorable au "droit à la vie". Alors même que 45% des électeurs républicains eux-mêmes se disent "pro-choice", c’est-à-dire favorables au droit de choisir...

Cette année, cette coalition conservatrice comptait bien placer l’un de ses poulains à la Maison Blanche. Ils étaient trois au départ, Marco Rubio, Ted Cruz et Jeb Bush. Mais Trump est venu semer la pagaille dans ce joli tableau.

Trump profite de la colère et des frustrations de la petite classe moyenne blanche face à la mondialisation, l’immigration sauvage et l’incurie de Washington. Il a identifié une veine sensible au sein de l’électorat et il l’exploite sans relâche. Il est le porte-voix d’une insurrection populaire qui, faute de prendre la Maison Blanche,  pourrait bouleverser le parti républicain. Car il rassemble bien au-delà du camp conservateur et sans même se référer à ses principes. Pour les conservateurs, ce n’est pas tolérable. Pas question de laisser un intrus leur rafler le magot. Ils ont trop investi pour voir leurs principes trahis. Plutôt perdre que de vendre son âme à Trump. Et surtout plutôt renoncer à la Maison Blanche que d’y envoyer quelqu'un qui ne mettrait pas en action l’idéal conservateur.

La National Review, revue historique du conservatisme américain, a publié un numéro spécial intitulé "Contre Trump". "Trump est un opportuniste sans attache philosophique. Il sacrifierait le large consensus conservateur qui unit le parti républicain, pour le remplacer par un populisme à la dérive et aux accents autoritaires", estime le comité éditorial. Le Weekly Standard, porte-voix des néo-conservateurs, a multiplié les éditoriaux critiquant le milliardaire new-yorkais. De même que la chaîne de télévision Fox News, expression jusqu'alors la plus populiste du conservatisme américain. Pour tous ces intellectuels et faiseurs d’opinion, Trump doit être rejeté car il n’est pas l’un des leurs.

De fait, sur les questions de société, Donald Trump n’est pas un conservateur. Il fut longtemps favorable au droit à l’avortement, même s’il se dit aujourd’hui "100% pro-life". Il ne professe aucune affiliation religieuse. Ce n’est pas un pratiquant assidu. Son opposition à Obamacare, la législation la plus controversée de l’ère Obama, est beaucoup moins virulente que celle de ses adversaires.

Sur les questions économiques, il a adopté l’inévitable ligne du "moins de dépenses, moins d’impôts", et il prône une "croissance forte". Mais il critique le libre-échange et accuse les partenaires commerciaux des Etats-Unis de concurrence déloyale. Une fois élu, il pourrait prendre des mesures protectionnistes, à mille lieues des principes conservateurs.

Sur les questions internationales, Trump est un non-interventionniste. Traiter avec des dictateurs ne l’embarrasserait pas le moins du monde et il ne soutiendrait pas résolument Israël dans le conflit du Proche-Orient. Il a sévèrement critiqué l’intervention de 2003 en Irak et même accusé George W. Bush d’avoir menti sciemment… De quoi faire frémir les "néocons".

En fait,  en bon Américain, Trump est un pragmatique. Il cherche des solutions aux problèmes du pays, sans se soucier de leur coloration idéologique. Et il ne craint ni d’exprimer ses sentiments, ni d’aller à contre-courant de la pensée unique.

Voilà les raisons de son succès actuel. Un succès qui ne garantit aucunement une victoire en novembre. Trump pourrait susciter une telle levée de boucliers, s’il devenait le candidat républicain, que le parti essuierait une défaite toute aussi mémorable que celle de Goldwater. Mais les conservateurs sont décidés à ne pas lui laisser cette chance, ni à prendre ce risque. Car, que le phénomène Donald Trump soit durable ou pas, sa nomination signifierait que la parenthèse ouverte en 1964 vient de se refermer.

Trump estime au contraire qu’il apporte au parti "des millions de nouveaux électeurs". Les chiffres de la participation électorale le démontrent à chaque scrutin.

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