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Ayaan et Aafia, deux filles de l’islam émigrées vers l’Occident, deux vies aux antipodes
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(A)symétries

Un livre revient sur le parcours, d’abord parallèle, de deux femmes, nées en Somalie et au Pakistan dans des milieux prônant un islam très rigoriste, et qui, après avoir chacune émigré dans des pays occidentaux, ont pris des chemins diamétralement opposés : l'une pourfend les dérives de sa religion d'origine, l'autre est en prison à vie pour terrorisme. Un éclairage sur la complexe relation entre Occident et islam.

Deux femmes, deux chemins similaires, puis radicalement différents. C’est l’histoire que raconte la journaliste américaine Deborah Scroggins dans une double biographie à paraître et consacrée à Ayaan Hirsi Ali et Aafia Siddiqui (Wanted Women: Faith, Lies and the War on Terror: The Lives of Ayaan Hirsi Ali and Aafia Siddiqu, Powell's Book) dont les vies apparaissent comme deux témoignages, aux antipodes, de l’influence d’une éducation islamique rigoriste.

Ayaan Hirsi Ali est née en Somalie en 1969. A cinq ans, sa grand-mère la fait exciser, ainsi que sa sœur, alors que son père, opposant au régime de Siad Barré est en prison. Ce même père la mariera de force, à 18 ans, à un lointain cousin au Canada, mais alors qu’elle est en transit en Allemagne, elle parvient à fuir aux Pays-Bas où elle obtient l’asile politique. La voilà donc émigrée dans un pays occidental, comme l’a fait, au même âge qu’elle, Aafia Siddiqui. Elle aussi est issue d’un milieu musulman traditionnel. Née au Pakistan en 1972, elle émigre aux Etats-Unis pour ses études en 1990. Elle les réussit brillamment, passant notamment par le prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), avant d’obtenir une  thèse en neurosciences en 2001. Pendant ce temps, Ayaan Hirsi Ali poursuit aux Pays-Bas ses études de philosophie politique.

C’est là que le parcours des deux femmes diverge. En réalité, il y a, dès le départ, un point notoire qui les sépare et expliquera toute l’évolution de leur histoire. Ayaan Hirsi Ali, victime par deux fois de la tradition islamique, exècre les dérives de l’islam. Aafia Siddiqui est elle une musulmane pratiquante et convaincue. En 2002, elle retourne au Pakistan pour y exercer son métier de neurologue. Mais semble dériver progressivement vers l’islam le plus radical. En 2003, elle disparaît avec ses trois enfants après l’arrestation de l’oncle de son second mari… qui n’est autre que Khalid Cheikh Mohammed, considéré comme le cerveau des attentats du 11 Septembre 2001. Peu de temps après, le FBI l’inscrit sur la liste des terroristes à capturer et elle devient "la femme la plus recherchée du monde". Elle est retrouvée en Afghanistan par l’armée américaine, arrêtée, et emprisonnée. En 2010, elle sera condamnée par une Cour américaine à 86 ans de prison pour tentative de meurtre sur des officiers de l’armée américaine et du FBI dans sa prison afghane.

Pendant les années 2000, le chemin suivi par Ayaan Hirsi Ali est en tous points différent. Elle se construit une carrière politique et devient, la même année où Aafia Siddiqui est arrêtée, députée pour le parti travailliste néerlandais. Un mandat durant lequel elle fera adopter une loi anti-excision. Elle signera par la suite un film avec Theo van Gogh, sur la condition des femmes musulmanes, qui fera scandale. Et aboutira au meurtre du descendant du peintre impressionniste, assassiné par un militant islamiste. En conséquence, Ayaan Hirsi Ali vit depuis sous protection policière.  

Des vies dépendantes de l'histoire post Guerre Froide

Deux femmes, au parcours un temps comparables, mais dont l’une semble au final personnifier ce que l’autre combat. Pour Deborah Scroggins, qui a suivi en détail leur parcours depuis dix ans, c’est une “étrange symétrie”. Selon elle, Ayaan Hirsi Ali aurait tout aussi bien pu être une islamiste, alors qu’adolescente, elle a été exposée à des activistes des Frères Musulmans, tenants d’un islam très rigoriste. Et Aafia Siddiqui aurait pu devenir "une mère de deux enfants au volant de sa Volvo", ainsi qu’elle a été décrite par ceux qui l’ont défendu lors d’un procès jugée par certains injuste et bâclé.

La journaliste montre comment l’histoire de ces vingt dernières années a influencé les deux femmes de l’invasion soviétique en Afghanistan au 11 Septembre, et comment elles sont peu à peu devenues des protagonistes des conséquences de ces évènements. Pour The Economist, il est tentant de conclure que ces deux parcours ont été influencés par des facteurs très personnels. Pendant l’enfance de Ayaan Hirsi Ali, la figure dominante était celle du père, leader rebelle contre Siad barré et très souvent absent. Pendant l’enfance de Aafia Siddiqui, la figure dominante était sa mère, une avocate d’un islam ultraconservateur. 

L’influence de ces deux figures familiales s’inscrit en parallèle de celle de la Guerre Froide, dont les conséquences expliquent la place qu’a pris l’islam dans leur éducation. Les Siddiqui ont ainsi fait partie d’un mouvement de renouveau islamiste en Afghanistan contre l’invasion soviétique en Afghanistan, mouvement alors soutenu par les Etats-Unis pour combattre une URSS qui était encore leur ennemi principal. La famille de Ayaan Hirsi Ali, opposée au régime de Siad Barré, a elle dû fuir sa Somalie natale pour l’Arabie Saoudite, avant d’être contrainte de partir au Kenya, lorsque la Somalie changea de régime. A Nairobi, la vie d’exilés était difficile. Des conditions qui ont favorisé, au sein de sa famille, la reproduction des codes rigoristes de l’islam, agissant comme un marqueur culturel pour la famille Harsan Ali.

En somme, les deux femmes ont été élevées dans un islam rigoriste, mais l’une l’a vécu comme un vecteur de liberté, l’autre, comme un facteur de répression. D’où leurs positionnemenst radicalement opposés. Le rapprochement opéré par la journaliste entre les deux parcours peut être discutable. Mais il peut aussi être vu comme un éclairage différent sur la relation entre l’Occident et l’islam, rappelant qu’elle est loin d’être, à sens unique, l’attaque du second contre le premier, mais la résultante à la fois d’interactions historiques complexes, mêlées à des histoires personnelles bien particulières.

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