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Loi El Khomri : entre espoirs et inquiétudes, paroles de patrons ordinaires
©Reuters

Avis de concernés

Le texte du projet de loi El Khomri déchaîne les passions : la pétition qui vise au retrait du texte vient de dépasser le million de signataires et plusieurs manifestations pourraient s'organiser au cours du moi de mars pour protester contre ce projet. Les syndicats sont dressés contre un texte que le gouvernement cherche tant bien que mal à défendre, à grands renforts d'interviews. Petit point de vue de patrons ordinaires sur la question.

Hervé Lambel

Hervé Lambel

Hervé Lambel est candidat à la présidence du Medef et co-fondateur du CERF (Créateurs d'emplois et de richesse en France).

D’une lignée d’entrepreneurs, il est diplômé de l’EPSCI (Essec). Il entre en 2000 à la CGPME, puis fonde en 2003 le CERF, dont il devient Président et porte-parole en 2004. Il fait notamment partie des premiers lanceurs d'alerte sur la crise économique et les problèmes de trésorerie des entreprises. Il est également le créateur d’HLDC, société de service et d’investissement.

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Jean-Michel Texier

Jean-Michel Texier

Jean-Michel Texier est Président du groupe Convergence qui regroupe 90 sociétés professionnelles indépendantes expertes dans les domaines des télécommunications, de l'informatique et des services ; plus de 900 professionnels répartis dans 128 points de distribution et engagés l’installation, le développement et la maintenance.

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Philippe Jeanjean

Philippe Jeanjean

Philippe Jeanjean est président du conseil d'administration de l'entreprise Transports de Savoie depuis 2007. Sa société emploie environ 300 employés et est spécialisée dans les transports routiers de fret interurbains. 

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Atlantico : Au-delà des controverses politiques actuelles relatives à la loi El Khomri, concrètement, du point de vue du terrain, que peuvent attendre les entreprises d'un tel projet de loi ? Correspond-il aux attentes et aux besoins des entrepreneurs au regard du contexte économique actuel ?  

Hervé Lambel : Cette loi comporte deux volets. Le premier volet est lié au risque d'aléas financiers et juridiques qui peut peser sur une entreprise. Cela relève d'un côté de la réforme du Code du travail et de l'indemnité prudhommale. C'est une bonne chose d'essayer de limiter cela quand on voit le niveau de défaillance que l'on a en France du côté des entreprises. Parmi les causes de ce niveau élevé de défaillance, il y a la rigidité du Code du travail, l'aspect réglementaire et normatif qui pèse sur les entreprises et bien évidemment le coût du travail. Sur l'aspect prudhommal, la loi El Khomri est intéressante. Les indemnités doivent être plafonnées pour une raison majeure : bien souvent, la loi s'applique de façon quasi indifférenciée donc sans tenir compte de la taille des entreprises sauf dans certains cas très spécifiques. Il arrive que des entreprises soient condamnées à des montants colossaux par rapport à leur chiffre d'affaires. La sanction d'une entreprise dans le cadre d'un licenciement n'a pas vocation à mettre en péril ni les autres emplois de l'entreprise ni le service ou le bien que produit cette entreprise pour la collectivité. De ce point de vue-là, il est impératif de plafonner, il est d'autant plus important de plafonner ces indemnités que souvent nous avons des conseillers salariés aux prud'hommes qui acceptent sans aucun problème de condamner une entreprise mais qui, par idéologie, refusent de condamner un salarié quand bien même il le mériterait. Je sais de quoi je parle étant moi-même conseiller prudhommal. On parle souvent de justice à deux vitesse, il est indéniable qu'il y a une justice qui va dans le sens de la protection de la position des syndicats qui disent défendre les salariés - ce qu'ils ne font absolument pas et qui en plus n'administrent pas la justice prudhommale comme elle devrait l'être. 

De l'autre côté, à l'inverse, la loi El Khomri veut réformer une partie du dialogue social et cherche à modifier certains aspects de la négociation en la ramenant aux branches. Le problème, c'est que 98-99% des entreprises aujourd'hui sont exclues de ce dispositif. Il est possible de déroger à la loi si on a un accord d'entreprise qui passe par des représentants du personnel qui n'existent pas dans les petites entreprises. Les petites entreprises resteront encore totalement dépendantes d'entités qui leur sont extérieures et parfois même dans lesquelles elles ne se reconnaissent pas. Il faut inverser la hiérarchie de la norme sociale, sortir de la définition de la loi au niveau des plus hautes instances nationales des partenaires sociaux car ni du côté patronal, ni de celui des salariés, existe une représentativité suffisante pour engager l'ensemble des entreprises. Il en est de même au niveau des branches. Plutôt que de passer par le national, la branche, et enfin s'interroger sur ce qui se passe dans l'entreprise, il faut laisser faire les acteurs. Le tout, dans le cadre d'une loi plus générale telle qu'elle existe (prenons l'exemple des s règles européennes), la durée du temps de travail est fixée en Europe à 48 heures. Il revient à l'entreprise ensuite de négocier, en son sein et avec les salariés, le temps nécessaire à la production du service que l'économie lui demande de rendre. Un chef d'entreprise essaie d'organiser le temps de travail au mieux du service ou du bien que le consommateur lui demande de fournir. La loi El Khomri passe complètement à côté du besoin d'inverser la hiérarchie de la norme sociale. Il faut absolument réformer le dialogue social. 

Philippe Jeanjean :  En ce qui me concerne, en tant que patron de 320 employés et président du groupe Transport de Savoie, plusieurs éléments et dispositions ont l'air intéressants. D'abord le fait de nous donner la possibilité d'une meilleure gestion des effectifs, plus en ligne avec la situation de l'entreprise. Notamment en cas de difficulté. Aujourd'hui, dans le cadre des dispositions règlementaires, à moins d'être dans une situation dramatique il existe relativement peu de solutions qui tiennent compte des difficultés que nous pouvons rencontrer, en termes de commandes, de pertes de part de marché. C'est une disposition qui me semble intéressante.

La deuxième disposition, naturellement, c'est celle qui éclaircit les cas de licenciements en cas de conflit avec le salarié. Avoir un cadre qui permet d'estimer des montants d'indemnités équitables, compte-tenu évidemment de l'ancienneté et qui excluent un certain nombre de fautes inacceptables… c'est quelque chose qui va dans le bon sens. 

Mon entreprise, que j'ai achetée en 2007, a traversé une époque très difficile. En 2008, nous avons perdu notre deuxième client le plus important qui représentait entre 10 et 12% du chiffre d'affaire. Nous n'avons pas trouvé les outils permettant de déboucher sur une solution susceptible de convenir à tout le monde. Cette situation s'est avérée très complexe. Si nous avions cumulé une autre difficulté, j'imagine que nous nous serions retrouvés au Tribunal de Commerce. Je comprends tout à fait cette notion-là. Naturellement, il faudra que ce projet de loi soit encadré pour ne pas devenir un prétexte à du licenciement collectif pour une baisse de chiffre d'affaire minimale. Ce serait parfaitement absurde. Mais, si nous nous en sommes sortis, c'est avant tout grâce à la chance. Si les choses avaient pris une autre tournure, ce serait devenu très compliqué.

Cette loi me paraît donc convenir, en effet, aux attentes et aux besoins des entrepreneurs aujourd'hui. Néanmoins, je nourris deux craintes à son égard. En premier lieu, j'ai peur du discours qui explique que ce qui va dans le sens du chef d'entreprise se fait nécessairement en défaveur des salariés. C'est une position qui est extrêmement contractée dans ce domaine ; alors qu'au contraire je crois qu'une entreprise qui va bien a toute latitude pour entrer dans une démarche de création de poste, de redistribution des richesses. Bien évidemment, je mets de côté les chefs d'entreprises qui ont eu – voire continuent – à avoir des conduites déloyales vis-à-vis du fonctionnement de ce que doit être une entreprise. Ne prononçons pas les dispositions règlementaires pour des conduites qui sont à la limite de l'honnêteté. Mes peurs rejoignent cet aspect : que nous n'arrivions pas à voir l'intérêt commun entre les salariés et les patrons. A partir du moment où l'entreprise se développe, tout le monde en retire des intérêts. En deuxième lieu, je crains également qu'à travers la volonté de négocier chacun des points du texte, celui-ci ne devienne plus qu'un effet d'annonce, de déclaration. Qu'in fine, la loi ne soit plus qu'une loi politicienne. Que le texte soit vidé de son sens.

Jean-Michel Texier : Ce que j'ai retenu et ce qui m'intéresse, c'est en premier lieu l'assouplissement du temps de travail. Je suis Président du groupe Convergence qui regroupe 90 sociétés professionnelles indépendantes expertes dans les domaines des télécommunications, de l'informatique et des services ; plus de 900 professionnels répartis dans 128 points de distribution et engagés l’installation, le développement et la maintenance. Les durées maximums restent fixées à 10h par jour, mais peuvent passer à 12h par jour et à 48h par semaine, voire 60 en cas de besoin. C'est une très bonne mesure pour nous. Nous travaillons d'ores et déjà 38h par semaine, mais c'est souvent trop juste pour pousser les chantiers à terme. De ce côté-là, ce texte de loi m'arrangerait donc beaucoup.

En deuxième point, la clarification des motifs de licenciement économique. Une chute du chiffre d'affaire plusieurs trimestres durant pourrait ouvrir la porte à un licenciement économique ponctuel. Si le salarié ne retrouve pas de travail, il est possible de le reprendre. En outre cela s'appliquerait également à des cas de trésorerie, des baisses d'affaires. Les temps sont compliqués. Permettre des systèmes plus modulables me parait donc intéressant.

Le troisième accord m'intéressant est un accord offensif en faveur de l'emploi, visant à permettre la conquête de nouveaux marchés. Ponctuellement, nous sommes obligés de faire se déplacer des collaborateurs sur une zone donnée. Or, les gens sont de moins en moins mobiles et cela se complique de plus en plus. Ce texte nous autorise à mettre la pression sur le collaborateur, voire à le licencier, s'il n'accepte pas les changements économiques que nous subissons. En outre, ce licenciement ne sera plus économique, mais personnel. Ces trois points forts m'intéressent d'autant plus que l'entreprise que je gère a une couverture nationale. Il va de soi qu'on ne module pas les chantiers et les points travaux comme nous le voudrions. Très clairement, ce texte correspond à mes attentes, il me plait bien.

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