Christophe Caresche : "In fine, c'est sur nos résultats que nous serons jugés. Pas sur notre capacité à réussir l'union de la gauche"<!-- --> | Atlantico.fr
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Le député Christophe Caresche, en compagnie de Jean-Christophe Cambadélis.
Le député Christophe Caresche, en compagnie de Jean-Christophe Cambadélis.
©Reuters

Grand entretien

Le député PS Christophe Caresche, proche de Manuel Valls, juge la désunion de la gauche comme un état de fait désolant mais malheureusement inéluctable dans la mesure où coexistent aujourd'hui deux gauches inconciliables. D'après lui, le besoin de réformes passe devant l'union du parti à proprement parler.

Christophe Caresche

Christophe Caresche

Christophe Caresche est député de Paris du 18e arrondissement, membre du Parti socialiste.

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Atlantico : La pétition contre le projet de loi El-Khomri vient de dépasser le million de signatures ; les sondages indiquent que près de deux tiers des Français y sont opposés ; les électeurs de gauche sont particulièrement choqués par le contenu du projet de lo... N'y a-t-il pas eu un problème de méthode, de pédagogie, de la part du gouvernement ? 

Christophe Caresche : Si, clairement. J'estime que ce projet de loi n'a pas été présenté de manière suffisamment pédagogique. Il n'a pas été expliqué correctement, ce qui laisse nécessairement la porte ouverte à des réactions très caricaturales, mais qui ont prise dans l'opinion. Je pense que c'est pourquoi le gouvernement se donne 15 jours, afin de parvenir à mieux expliquer, et contrer un certain nombre de contre-vérités, rétablir ce qui est vrai.

Cela se fera dans les semaines à venir, à commencer par la semaine suivante durant laquelle se dérouleront les discussions avec les syndicats. Bien sûr, cela aura également lieu quand le texte se retrouvera à l'Assemblée Nationale. J'ai le sentiment que le gouvernement a été pris au dépourvu et n'a pas été en capacité de défendre son texte comme il aurait fallu le faire dès le début. Je pense, d'ailleurs, que le gouvernement a été surpris du fait que ce texte soit rendu public à l'occasion de sa transmission au Conseil d'Etat, avant même son examen par le Conseil des Ministres. En réalité c'était un pré-projet qui a été attaqué et mis en cause.

Quels que soient les bénéfices économiques et sociaux potentiels de cette loi, le gouvernement et le premier ministre ont-ils encore suffisamment de légitimité politique pour porter ce projet jusqu'à son aboutissement ?

Les bénéfices de cette loi existent. Pour parler clairement, je pense que cette loi correspond globalement à ce qu'ont fait les différents partis sociaux-démocrates dans les autres pays européens. C’est-à-dire permettre plus de flexibilité sur le marché, tout en garantissant un certain nombre de gardes fous et de règles. Il s'agit de lever des freins – parfois psychologiques – et des obstacles à l'embauche, sans remettre en cause ni le contrat de travail, ni même les 35h. C'est un texte d'assouplissement, de flexibilisation, qui peut effectivement avoir de vrais résultats sur l'emploi. L'Espagne a pris des mesures assez similaires sur le plafonnement des indemnités de licenciement. D'une année à l'autre, on a constaté là-bas de vrais effets : il y a eu une remontée spectaculaire du nombre d'embauche en contrat de travail à durée indéterminée. Les CDI en ont profité. Ces effets ne sont pas négligeables.

Quant à savoir si le gouvernement a la légitimité pour porter cette loi, je pense que oui. A ma connaissance, même si ce texte est contesté, le gouvernement a évidemment la légitimité pour le faire adopter. Il dispose même de moyens institutionnels, prévus dans la Constitution pour y parvenir même en cas de désaccord avec sa majorité. Le 49.3 en fait partie. Institutionnellement, le gouvernement a tous les moyens pour faire adopter son projet de loi, mais ce qu'il souhaite c'est de parvenir à nouer le dialogue, avec les syndicats et les partis politiques – à commencer par sa majorité. Ce que je ne souhaiterais pas, c'est que ce projet soit dévitalisé ; que son contenu soit remis en cause. C'est bien l'enjeu : garder un texte qui a de l'ambition et de la substance, ne pas céder à toutes les oppositions et trouver un compromis qui demeure positif.

Vous soutenez la philosophie de cette loi, l'impact positif que vous anticipez sur le marché du travail est-il à la hauteur du coût politique de l'adoption de cette loi ? 

Je pense que c'est un ensemble qui relève de la politique économique : il est clair que cette loi en elle-même ne suffit pas à créer de l'emploi. Nous avons mis en place le pacte de responsabilité. La croissance, même si elle reste poussive, redémarre. Nous avons redonné des marges de manœuvre aux entreprises… Il me semble que dans ce contexte, cette loi peut accompagner un retour à la croissance et aux investissements des entreprises. C'est tout l'objectif. Il s'agit d'accompagner ce retour à la croissance, dans ce contexte. Dans un contexte récessif, il est vrai qu'une telle loi pourrait être problématique. Je ne le nie pas.

Le problème, ça n'est pas le coût politique qui reste finalement assez secondaire. Il faut trouver des solutions au chômage, améliorer la situation économique du pays. J'ai toujours pensé que les fractures à gauche, la conflictualité qui existent ne sont pas primordiales. Bien évidemment, je préférerais que la gauche soit rassemblée, mais elle ne l'est pas ! Très bien. Je le constate, mais à mes yeux ce n'est pas là que se situe le problème. Ce qu'il faut, c'est parvenir à des résultats et, in fine, c'est là-dessus que nous serons jugés. Pas sur notre capacité à réussir l'union de la gauche. 

Les reproches faits à Manuel Valls sur sa déclaration sur les migrants (que l'Europe ne pourrait pas accueillir plus) faite à Munich, -beaucoup ont parlé de faute politique au motif qu'il s'agissait d'une sorte d'agression contre Angela Merkel- vous paraissent-ils justifiés ? Lors de sa rencontre avec la chancelière allemande ce vendredi, François Hollande a d'ailleurs exprimé une position officielle française différente, le premier ministre et le Président de la république divergent-ils sur la gestion de la crise des migrants à laquelle l'Europe est confrontée ? 

Je crois que Manuel Valls a eu raison de rappeler la position de la France. Cette dernière est simple : elle reprend le droit d'asile et la responsabilité. Ce droit ne peut évidemment pas concerner l'ensemble des migrants. Je reviens de Serbie et de Monténégro : il n'y avait, là-bas, pas le moindre contrôle sur rien. Pas sur les passeports, pas sur quoique ce soit ! La France souhaite la mise en place d'un contrôle de ceux qui entrent en Europe ; qu'il soit possible de faire la distinction entre les demandeurs d'asile et les autres, qui n'ont pas vocation à entrer sur le territoire européen.

Il est vrai qu'Angela Merkel tient une position d'ouverture inconsidérée des frontières. Ce faisant, elle a complètement remis en cause la possibilité de faire cette distinction, dans la mesure où elle a créé un appel d'air qui a été largement au-delà – je l'ai constaté moi-même – des demandeurs d'asile ! La position de la France, qui est une position responsable, me parait juste. Je souhaite cependant que la France travaille avec l'Allemagne. Cette crise ne pourra se régler que si la France et l'Allemagne travaillent ensembles et parviennent à trouver des solutions communes. Il faut donc, sur ce plan-là, une expression vis-à-vis des Allemands qui ne soit pas irrespectueuse. Je respecte la position d'Angela Merkel, et il faudra parvenir à travailler avec elle. Je connais bien les Allemands : ils ne se gênent pas pour dire ce qu'ils pensent. Ils le font souvent, l'ont fait sur des questions économiques, sur l'euro, vis-à-vis de la Grèce, etc. Je doute que l'expression de Manuel Valls les aient troublés. Il ne faut pas se gêner de dire ce que nous pensons nous non plus, tant que cela ne risque pas de nous éloigner. 

A mon sens François Hollande et Manuel Valls partagent tous deux cette position, que je viens de détailler. Il est important de pouvoir faire la distinction entre réfugiés et migrants, et permettre des contrôles aux frontières de l'Europe. Ils ont la même position, mais comme je le soulignais tout à l'heure, il faut travailler avec l'Allemagne. Il ne faut pas que le contact soit rompu avec eux. En outre, François Hollande et Manuel Valls n'ont pas le même style ; et cela ne concerne pas uniquement l'Allemagne !

La relation entre Manuel Valls, dont vous êtes proche, et François Hollande semble s'être dégradée ces dernières semaines. François Hollande se serait même plaint que l'attitude politique de Manuel Valls lui empêche tout espoir d'être présent au second tour de la présidentielle de 2017, les proches de l’Élysée distillent des confidences assassines sur le premier ministre, êtes-vous certain que Manuel Valls sera le premier ministre jusqu'à la présidentielle ?

Je ne crois pas trop à toutes ces rumeurs et toutes ces informations. Je pense que c'est instrumentalisé par des gens qui ne veulent du bien ni à François Hollande, ni à Manuel Valls. La situation en France comme en Europe est très complexe. L'unité de notre couple exécutif est décisive. Ils ont sans doute des sensibilités différentes, je ne le nie pas. C'est également vrai de dire qu'ils n'ont pas forcément la même approche sur certains sujets. Mais, en tous les cas, je suis certain qu'ils savent l'un et l'autre que leur unité est décisive. De facto, je crois effectivement que Manuel Valls sera probablement Premier ministre jusqu'à la fin du mandat. D'abord parce qu'il est engagé dans une bataille politique sur le front intérieur – qu'il s'agisse d'économie ou de terrorisme. Personne ne pourrait comprendre que, dans ces moments, nous puissions nous livrer à des calculs politiques. Les Français ne le comprendraient pas. Je ne dis pas qu'il n'y en a pas, mais ils ne peuvent pas être exprimés dans la situation où nous sommes ! Ce que les Français attendent du couple Président-Premier ministre c'est de la stabilité, de la force. Des troubles au sein du couple exécutif, je n'imagine pas même pas qu'ils puissent exister.

Néanmoins, des questions finiront à un moment ou un autre par s'ouvrir. C'est le cas pour la question de l'élection présidentielle. Je n'en attends rien, mais je crois qu'à ce moment-là le Président devra dire s'il se représente ou non. A mes yeux il a vocation à le faire, tant sur le plan politique sur le plan institutionnel. Mais tout cela dépend de lui.

François Hollande joue-t-il désormais la carte Emmanuel Macron contre Manuel Valls comme l'ont considéré un certain nombre d'éditorialistes cette semaine ?

Ça n'est pas une analyse qui me semble très crédible, non. Emmanuel Macron est utile et fait du bon travail. Je suis de ceux qui pensent qu'il a un apport, une action tout à fait positive. Là encore, l'opposition avec Manuel Valls me semble instrumentalisée. Je les crois complémentaires. En outre, ils ne sont pas du tout au même stade de leur trajectoire politique. Ce sont aujourd'hui des alliés : ils expriment le même avis sur les questions économiques et sociales, sur la nécessité de réformes... Un affrontement me paraîtrait assez stupide, puisqu'ils sont dans le même camp, celui de la réforme, qu'il faut faire gagner à gauche ! Si ceux qui l'incarnent et le défendent s'affrontent, c'est problématique. 

Que Macron ait envie d'exister en tant qu'homme politique, pourquoi pas. Il peut tout à fait réfléchir, nourrir des idées. Sur la question de savoir s'il peut être candidat à l'élection présidentielle, je reste sur ce que j'ai déjà exprimé : c'est une question qui est d'abord (et dépend) celle du Président. Il a vocation à se présenter, c'est la logique politique comme celle des institutions. C'est une évidence. La question se posera s'il ne se présente pas, mais ce n'est pas une hypothèse que j'envisage aujourd'hui… Et je doute qu'Emmanuel Macron le fasse plus.

Manuel Valls ne s'en cache pas, pour lui, il y a une partie de la gauche avec laquelle il est impossible de gouverner, le projet de loi El-Khomri est-il aussi un moyen de souligner cette rupture entre 2 gauches ? Quelle serait la nouvelle gauche à construire selon vous ? 

Non. Ce projet de loi n'a pas vocation et n'est pas fait pour souligner les différences à gauche. Il vise à répondre à la crise, même si indéniablement, ce quinquennat – déjà largement entamé – aura démontré que le rapport au pouvoir de la gauche reste problématique pour toute une partie de la gauche. Il y a une gauche qui assume le pouvoir, la responsabilité, les efforts, une ligne réformiste, une volonté de débloquer une société qui se réfugie dans le conservatisme, se replie sur elle-même sur le plan économique et social. Et puis, en face, il y a une gauche qui reste protestataire, moralisatrice, dont la vocation est d'être dans l'opposition et d'y rester. Ces deux gauches sont inconciliables. Je l'ai vécu, très profondément, parfois douloureusement. Mais ces deux gauches ne sont pas conciliables.

Je crois que c'est d'autant plus difficile pour la gauche réformiste parce que les résultats ne sont pas suffisants, que nous n'arrivons pas à démontrer que ce que nous entreprenons fonctionne. Si la gauche se repliait totalement – comme le fait la gauche anglaise aujourd'hui – dans une forme de Corbynisation, ce serait une catastrophe. Nous cesserions d'exister.

Nous sommes aujourd'hui à la veille d'une recomposition fondamentale, dans le monde politique. C'est vrai pour la droite, qui est également concernée par ce mouvement. La droite comme la gauche subissent le poids deux radicalités qui pèsent très fortement sur chacun des deux camps. Viendra nécessairement un jour où il faudra s'interroger sur la création d'un courant réformiste européen, susceptible d'aller largement au-delà des frontières de la gauche. Je crois que la gauche nouvelle, qui ne sera peut-être plus la gauche, sortira de ce mouvement de recomposition. Elle se composerait évidemment de Manuel Valls, d'Emmanuel Macron, mais il existe également une droite modérée avec qui il peut exister des affinités. Au centre également, pour commencer mais aussi à droite, qui sera également travaillée de la même manière par ce mouvement de recomposition. J'ignore quel sera le chemin pour en arriver là, mais je pense qu'il y a une nécessité de trouver un point d'appui politique suffisamment fort pour porter un certain nombre d'orientations décisives pour la France. Sans quoi le pays basculera dans la radicalité, le populisme, le conservatisme, le repli sur lui-même l'immobilisme. Il faut donc créer une force politique, qui fera peut-être éclater le clivage traditionnel de droite et de gauche, capable de porter cette orientation. Mais nous n'en sommes pas là : il faudra d'abord que les réformistes s'affirment dans les deux camps. Et peut-être qu'à terme ils se rassembleront.

La ligne sociale libérale qu'incarne avec constance Manuel Valls depuis les primaires socialiste de 2012 vous paraît-elle susceptible de rassembler une majorité d'électeurs de gauche ? 

Oui. Tout de même. Je crois qu'il y a une différence entre la gauche militante et la gauche électorale. La gauche militante est très crispée et est opposée à l'orientation réformiste, quand la gauche électorale y est beaucoup plus favorable. C'est cette dernière qu'il faut parvenir à mobiliser.

Le parti socialiste tel qu'il existe à l'heure actuelle est-il un obstacle à l'émergence d'une gauche moderne et progressiste qui ne serait pas celle revendiquée par Martine Aubry ? 

De toute façon, le PS a vocation à évoluer. C'est une évidence. Le parti socialiste est un parti qui a fini son cycle, qui l'a épuisé. Le cycle d'Épinay est épuisé, manifestement et il faudra inventer autre chose. Tout dépendra de la reconfiguration que j'ai évoquée précédemment, mais il est clair que c'est un parti qui n'a plus de dynamique propre (ce qui est d'autant plus étonnant que le phénomène a commencé avec son arrivée au pouvoir) et qui, par ailleurs, rassemble des gens particulièrement divisés. Je pense néanmoins que cette gauche moderne naîtra quand même en partie du PS. Il y a au parti socialiste des sensibilités et responsabilités qui peuvent la porter. Mais cela passera inévitablement par une clarification.

Un sondage paru ce vendredi indique que Manuel Valls serait un meilleur candidat pour la gauche que François Hollande, même si l'hypothèse d'une candidature du premier ministre ne rassemble elle-même qu'une minorité de Français, Manuel Valls serait-il pour vous un candidat capable de faire gagner la gauche en 2017 là où le Président de la République est donné perdant par les sondages ? 

Cela sera de toute façon très difficile en 2017, et ce pour tout le monde. Nous avons commis des erreurs qu'il faut reconnaître. Notre orientation politique, notre cap, était le bon il me semble. Mais il y a eu aussi beaucoup d'ambiguïtés, de très fortes confrontations au sein même de la majorité. Cela sera donc très difficile pour qui que ce soit. La logique veut que ce soit François Hollande qui se présente. Si ce n'était pas le cas, ce serait l'inconnue.

Propos recueillis par Vincent Nahan

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