Pourquoi l’honnêteté ne paie pas en politique (et ce sont les chiffres qui le prouvent) <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Pourquoi l’honnêteté ne paie pas en politique (et ce sont les chiffres qui le prouvent)
©Reuters

Mensonge et succès

Les électeurs, en France comme ailleurs, ne sont plus si naïfs. Si l'honnêteté reste une valeur valorisée, il n'en demeure pas moins que ce critère seul ne suffit pas à faire un candidat. Quand l'extrême majorité de la population juge les politiciens corrompus et malhonnêtes, ce sont sur ces autres critères que se fait véritablement la sélection. La désillusion pousse les Français à l'indulgence vis à vis de leurs élites... sur le plan de l'honnêteté, en tout cas.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

Voir la bio »

Atlantico : Aux Etats-Unis, si l'honnêteté est une valeur appréciée des électeurs, elle n'est pas pour autant synonyme de victoire électorale, en témoignent les défaites de Dukakis (1988), Dole (1996) ou Kerry (2004). Dans quelle mesure ce constat peut-il, ou non, s'appliquer aussi à la scène politique française ? Les Français sont-ils sensibles au principe d'honnêteté pour leurs hommes politiques ? Ou accordent-ils plus d'importance à d'autres valeurs ?

Vincent Tournier : Aucune qualité personnelle ne garantit la victoire électorale, ce serait trop simple. S’il y avait une recette magique, cela se saurait. L’honnêteté est effectivement très valorisée par les électeurs, que ce soit aux Etats-Unis ou en France. Cela dit, la définition de l’honnêteté n’est pas la même dans les deux pays : pour les Américains, l’honnêteté relève plutôt de la sphère privée, de la morale, alors que pour les Français, elle concerne la sphère publique et signifie plutôt la fidélité à des valeurs politiques. C’est pourquoi les Français sont plutôt indulgents pour ce qui concerne les écarts à la morale domestique. Par contre, aux Etats-Unis, les vertus privées sont très importantes : même Bernie Sanders, le candidat "socialiste", n’y échappe pas, et l’un de ses spots le présente ainsi : "Bernie Sanders. Mari. Père. Grand-père. Un leader honnête, construisant un mouvement avec vous, pour rendre l’espoir dans l’avenir". 

En France, on n’imagine pas ce genre de message, même si l’honnêteté privée a pris une certaine importance depuis quelques années, sans doute parce que les clivages politiques ont perdu de leur acuité. Faute d’arguments politiques, on met donc en avant des vertus morales ou familiales, tout en restant très loin de la situation américaine. 

Cela dit, les électeurs ne sont pas naïfs. Ils savent bien que l’honnêteté est très rare dans le monde politique. Par ailleurs, ils ne basent pas leur jugement sur une seule vertu. A côté de l’honnêteté, ils accordent aussi beaucoup d’importance à d’autres critères comme la compétence, l’efficacité, la volonté. Par exemple, un sondage BVA de juin 2013 indique que les trois qualités attendues des responsables politiques sont la compétence (38%), l’honnêteté (28%) et la capacité à agir (23%). Chez les électeurs de droite, la capacité à agir est même jugée plus importante que l’honnêteté.

Ces différents critères prennent d’autant plus d’importance que les Français sont de plus en plus nombreux à penser que les hommes politiques ne sont pas honnêtes. Aujourd’hui, seulement un quart des Français pensent que les hommes politiques sont "plutôt honnêtes" et 75% qu’ils sont "plutôt corrompus". L’image des hommes politiques s’est donc fortement dégradée. Mais c’est justement parce que les Français n’ont pas d’illusion qu’ils vont avoir tendance à être indulgents avec les hommes politiques, y compris avec ceux qui sont pris la main dans le sac, qui ont été inquiétés par la justice. En tout cas, ils n’en font pas un élément déterminant de leur vote. 

Historiquement parlant, des figures comme Michel Rocard ou Pierre Mendès France ont longtemps été saluées pour leur "honnêteté". Pour autant, peut-on dire que ce label les a servis dans leur carrière politique autant qu'on aurait pu l'imaginer ?

Les personnalités que vous citez sont effectivement considérées comme de grandes figures morales de la gauche. En même temps, leur carrière politique est restée très limitée. Pierre Mendes France n’a été président du Conseil que pendant quelques mois, et Michel Rocard n’a été premier ministre que pendant deux ans. 

L’aura qui les entoure est donc inversement proportionnelle à leur action politique. Il ne s’agit pas de les dénigrer car ce sont des personnalités qui ont souvent fait preuve de lucidité et qui ont su prendre des décisions importantes dans des moments difficiles (l’Indochine pour Pierre Mendes France, la Nouvelle Calédonie pour Michel Rocard). 

Malgré tout, on peut penser que leur image ne tient pas seulement à leur action proprement dite. Il y a aussi une part de mythologie, et cette mythologie a pu se déployer parce que tout le monde y avait intérêt. La droite les a encensés pour mieux critiquer la gauche traditionnelle. Quant à la gauche, en l’occurrence la gauche mitterrandienne, elle les a portés au pinacle parce qu’elle a réussi à s’en débarrasser. C’est un schéma assez classique : une fois que vous avez écarté vos rivaux directs, vous en dites le plus grand bien. Quelle est la meilleure façon de se hisser dans l’histoire que de se montrer magnanime envers ses anciens adversaires déchus ? Aujourd’hui, la gauche continue d’entretenir leur mythologie parce qu’elle a besoin de se donner une généalogie moins radicale.

Quand on analyse le jeu politique actuel et les campagnes électorales, les candidats "honnêtes" font-ils vraiment les meilleurs candidats ?

C’est une question difficile parce que l’honnêteté fait l’objet d’appropriations très différentes entre les candidats modérés et les candidats radicaux. 

Les candidats modérés définissent l’honnêteté par la modestie de leur projet. Ils vont jouer sur le registre du pragmatisme, insister sur le réalisme de leur proposition, mettre en avant leur désir de s’adapter, d’être à l’écoute, de trouver les bonnes solutions après un travail de concertation. Etre honnête, pour eux, c’est ne pas promettre la lune, c’est savoir avancer progressivement. C’est le « parler vrai » de Michel Rocard. 

De leur côté, les candidats radicaux ont une conception très différente de l’honnêteté. Ils vont au contraire insister sur leur fidélité à des principes, sur leur attachement à un idéal politique. Ils vont se dire intransigeants et présenter cette intransigeance comme la seule authentique honnêteté. C’est par exemple le cas d’Arlette Laguiller, qui a longtemps été la candidate de Lutte ouvrière. Aujourd’hui, le Front national revendique ce créneau avec un certain succès, même si cette intransigeance le dessert parce qu’elle fait peur à une partie de l’électorat. 

Ces deux manières de concevoir l’honnêteté correspondent au clivage classique entre l’éthique de responsabilité et l’éthique de conviction dont parlait le sociologue Max Weber. C’est l’opposition entre le réalisme et l’idéalisme, ou le face à face entre Danton et Robespierre dans la célèbre pièce de Georg Büchner. 

Quelle est la stratégie payante sur un plan électoral ? C’est sans doute une question de dosage. L’idéalisme absolu fait peur mais le pragmatisme absolu ne séduit pas. Les personnalités trop pragmatiques n’ont d’ailleurs jamais réussi à s’imposer, à l’instar de Michel Rocard (dont il faut rappeler qu’il a fait moins de 4% à l’élection présidentielle de 1969). De même, en 2012, le candidat qui était jugé le plus honnête était François Bayrou, ce qui ne lui a pas permis de l’emporter. Donc, si les électeurs ne veulent pas de candidats trop dogmatiques, ils attendent quand même que ceux-ci aient des convictions. C’est ce qu’avait compris François Mitterrand lorsque celui-ci s’était prononcé contre la peine de mort tout en reconnaissant que l’opinion lui était hostile sur ce point. Les électeurs attendent des messages de ce type, même si, aujourd’hui, le curseur se déplace probablement vers le pragmatisme. Les candidats doivent donc doser leur discours en combinant idéalisme et pragmatisme, ce qui n’est pas simple sur le plan de la communication politique.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !