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Crise des migrants : que peut espérer l’Europe d’un accord négocié avec une Turquie en position de force ?
©Reuters

Echec et mat

Le lundi 7 mars, les représentants de l'Union européenne et de la Turquie se rencontreront pour répondre à la crise des migrants et trouver un accord. Angela Merkel et le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu se rencontreront la veille de ce sommet européen pour déminer au maximum le terrain. La preuve que le rapport de force n'est pas franchement en faveur de l'Europe.

Philippe Moreau Defarges

Philippe Moreau Defarges

Philippe Moreau Defarges est professeur à l'Institut d'études politiques de Paris. Spécialiste des questions internationales et de géopolitique, il est l'auteur de très nombreux livres dont Introduction à la géopolitique (Points, 2009) ou 25 Questions décisives : la guerre et la paix (Armand Colin, 2009).

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Atlantico : Ce lundi 7 mars, se tiendra le Sommet européen consacré à la crise des migrants, en présence du Premier ministre turc Ahmet Davutoglu. Comment évaluer les rapports de force dans ce dossier, et que peut-on en attendre en termes de résultats ? 

Philippe Moreau-Defarges : La Turquie dispose d'un levier énorme, incarné par la masse de réfugiés qui sont actuellement installés sur son sol. Cette masse de réfugiés est évidemment en attente et n'a qu'une envie : partir vers l'Europe. Dès lors et par conséquent, la Turquie jouit du pouvoir de bloquer – ou non – les réfugiés demeurant sur son territoire. C'est un pouvoir plus que considérable, que la Turquie est déterminée à utiliser jusqu'au bout. Face à elle, on retrouve une Union européenne qui apparaît divisée mais surtout dominée par la peur des migrants et de leur arrivée. De facto, le rapport de force qui se construit autour de ces éléments penchera fortement en faveur de la Turquie. De là à dire que la Turquie prend l'Europe en otage sur la question des migrants… Peut-être, bien que je ne souscrive pas à cette façon de voir les choses. Dans une situation de crise comme celle que nous traversons, où l'ensemble des acteurs se sentent submergés par les migrants, la Turquie – et la Grèce désormais – comptent parmi les plus touchés. Chaque protagoniste, tant l'Union européenne que la Turquie, utilisera l'ensemble des moyens dont il dispose. 

Or, il est indéniable que la Turquie, malgré sa situation particulièrement difficile, dispose d'un atout conséquent dans le cadre d'un rapport de force. Néanmoins, il faut rappeler la situation très difficile du pays. Il semble s'enfoncer dans une forme de chaos lié d'une part au problème des réfugiés, d'autre part à la question kurde, dont les Turcs sont partiellement responsables. La dégradation de la situation économique en Turquie et les fortes tensions entre le pouvoir de Recep Tayyip Erdoğan contribuent à créer une situation particulièrement explosive en Turquie. Très concrètement, la Turquie dispose donc du pouvoir de pression des gens dans la difficulté ; de ceux qui n'ont plus rien à perdre.

En matière de résultats, il est possible de formuler deux hypothèses. D'abord, l'incapacité à trouver un accord qui conviendrait autant à l'Union européenne qu'à la Turquie. C'est loin d'être impossible, pour peu que la Turquie se montre trop exigeante ou refuse de prendre le moindre engagement. Si, cependant, un accord est signé, ce ne sera probablement qu'un accord a minima. La Turquie s'engagera sans doute à retenir les réfugiés en son sein, sous réserve de conditions extrêmement précises – financières, aides, etc. En aucun cas cet accord ne pourra être définitif : il appellera nécessairement à une poursuite des négociations entre la Turquie et l'Union européenne.

En amont de ce sommet, Angela Merkel recevra Ahmet Davutoglu ce dimanche. En quoi l'accord entre la Turquie et l'Allemagne sera-t-il déterminant ? Que peut-on en conclure sur le fonctionnement des institutions européennes ? 

Soyons clairs. La rencontre entre Angela Merkel et Ahmet Davutoglu avant le sommet européen de lundi ne vise pas à la conclusion d'un accord quel qu'il soit. La Chancelière allemande a deux raisons objectives de recevoir le Premier ministre turc. D'abord parce qu'elle est le responsable gouvernemental le plus important de l'Union européenne, à la tête d'un Etat qui pèse particulièrement lourd. En outre, Angela Merkel a pris des positions extrêmement fortes sur la question des réfugiés. Face à ce constat, il va de soi qu'Angela Merkel reçoit Ahmet Davutoglu pour une raison très simple : elle ne cherche non pas à conclure un accord préalable, mais à déminer le terrain. Elle sait pertinemment que le Conseil européen à venir sera particulièrement difficile et souhaite donc connaître le mieux possible les intentions de la Turquie et donc manœuvrer aussi bien que faire se peut.

A mon sens, plus que traduire quoique ce soit sur les institutions européennes ou leur fonctionnement, cette situation traduit davantage le risque qu'un accord puisse ne pas être conclu. Angela Merkel et Ahmet Davutoglu vont, de concert, tenter de préparer des éléments d'accord possible pour faciliter le tout, une fois devant les Etats membres de l'Union. Le risque, pour Angela Merkel, que ce conseil ne serve finalement à rien est réel. Pour y palier, la Chancelière cherche à préparer des grandes lignes de compromis qu'elle ne présentera évidemment pas comme un accord : ce serait périlleux, dans la mesure où ses partenaires européens s'en offusqueraient.  

Lors de son déplacement à Athènes, Donald Tusk a pu signifier aux potentiels migrants économiques qu'il était inutile et dangereux de se rendre en Europe. Quelle est la logique de cette déclaration dans les rapports entre l'UE et la Turquie ? L'Union est-elle déterminée à mettre en place un mécanisme permettant de bloquer l'accès aux migrants économiques ? S'agit-il ici de l'enjeu prioritaire du sommet ?

Donald Tusk pouvait-il vraiment porter un autre discours que celui qu'il a prononcé ? Il a effectivement poussé les migrants économiques à ne pas venir et à raison : la majorité de l'opinion européenne est hostile à la venue de ces migrants économiques. Par conséquent, il cherche à faire le tri. Son propos n'était pas de dissuader les réfugiés de guerre, que l'Europe fera tout pour accueillir, mais de faire son possible pour réduire au moins partiellement le problème. Si ces migrants économiques auraient peut-être pu venir en temps normal, ils doivent rester chez eux : on ne peut pas – Donald Tusk non plus – ignorer les réactions des populations européennes. Ce qui ne veut pas dire que ces migrants économiques doivent se rendre en Turquie pour autant : Donald Tusk est très conscient que toute solution à ce problème impliquera nécessairement une participation positive de la Turquie. Si toutefois il a pu braquer la Turquie, je suis persuadé que c'était loin d'être son intention. Il visait à l'inverse à l'inclure, pour mieux permettre les négociations.

Il est clair que l'Union européenne ne pourra pas mettre en place un mécanisme permettant de bloquer l'accès à son sol aux migrants. Cela déchaînerait inévitablement un scandale. Au moment même où les migrants arrivent et demandent de l'aide, les bloquer provoquerait immanquablement des cris d'orfraie. C'est une mesure que l'Union européenne ne pourra pas prendre ; pas de façon institutionnelle, ni même officiellement. En revanche, il n'est pas impossible qu'en pratique, elle mette en place une série de mesures aboutissant à un résultat comparable. 

Cependant, il est nécessaire de réaliser que – malgré tout – les migrants qui sont d'ores et déjà installés en Europe ne repartiront pas dans l'immédiat. Qu'ils soient en Grèce ou ailleurs, ils resteront tout un temps. La seule solution dont nous disposons à cet égard, c'est de les répartir, avant de trouver un éventuel moyen pour les inciter à retourner d'où ils viennent plus tard. Dans l'état actuel des choses, il est illusoire de leur demander de repartir ou d'envisager leur retour en Turquie. D'une part parce que les migrants n'accepteront évidemment pas cette solution. Prenons en exemple les réactions des migrants de Calais, qui se cousent la bouche ! L'escalade entre les migrants, les Etats non-membres de l'UE et l'Union serait inévitable. Une démarche ouverte de rejet ne peut aboutir qu'à cela.D'autre part, il va de soi que la Turquie ne laissera pas faire. C'est rêver que de croire l'inverse. La Turquie estime déjà être surchargée. Tout ce que l'on peut espérer de la Turquie, c'est qu'elle bloque les migrants qui souhaitent partir. Rien d'autre.

D'un point de vue pratique, que peut-on dire d'un accord en tant que tel ? La difficulté ne repose-t-elle pas prioritairement sur la faisabilité d'un accord, plutôt que sur les termes de celui-ci ?

Il est important, avant toute chose, de parvenir à un accord. N'oublions pas que c'est loin d'être chose faite, et qu'un éventuel accord pourrait également être tout à fait apparent ; purement cosmétique.

Cela étant, il est vrai qu'un accord visant à canaliser et à bloquer les migrants serait très difficile à appliquer. A l'heure actuelle se joue un bras de fer entre les migrants et les gouvernements des nations de l'Union européenne. D'un côté, les seconds souhaitent bloquer les premiers qui, de l'autre, sont furieux de cette situation. La rage de masses qui se sentent rejetées monte. 

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