Alain Madelin : "La TVA sociale : un hold-up patronal sur le pouvoir d'achat des salariés"<!-- --> | Atlantico.fr
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"La pression salariale risque d'être plus faible et l'effet d'aubaine pour les entreprises plus grand"...
"La pression salariale risque d'être plus faible et l'effet d'aubaine pour les entreprises plus grand"...
©Reuters

Fausse bonne idée

François Fillon a annoncé jeudi que l'instauration de la TVA sociale serait "soumise au Parlement en février". La majorité reste divisée tandis que la gauche unanime dénonce une mesure uniquement favorable au patronat. Alain Madelin n'y voit qu'une mesure au lourd coût politique pour une efficacité économique minime.

Alain Madelin

Alain Madelin

Alain Madelin a été député, Ministre de l'Economie et des Finances et président du Parti Républicain, devenu Démocratie Libérale, avant d'intégrer l'UMP.

Il est l'auteur de Faut-il supprimer la carte scolaire ? (avec Gérard Aschieri, Magnard, 2009).

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Atlantico : Vous vous êtes exprimé en défaveur de la TVA sociale. Quelles sont vos conclusions ?

Alain Madelin : La TVA sociale offre des avantages très largement illusoires du type faire contribuer les produits importés au financement de la protection sociale, doper la compétitivité, lutter contre les délocalisations... En revanche, elle se traduirait aujourd'hui par une baisse certaine du pouvoir d'achat des Français au profit des entreprises qui bénéficient déjà de quelques 30 milliards d'allègement des charges sociales sans véritable avantage économique. Au total, un coût politique très fort pour une efficacité économique très faible. 

En affectant par avance toute augmentation de la TVA ou de la CSG au bénéfice des entreprises, on prive le gouvernement des marges de manœuvre dont il peut avoir besoin pour rétablir les comptes publics ou sociaux dans le futur.


Lorsqu'elle faisait encore parti du gouvernement Fillon, Christine Lagarde soutenait que le risque d'inflation occasionné par la mise en place de la TVA sociale peut être contenu par un encadrement ferme des prix, de sorte que cette mesure profite à l'emploi. Que lui répondez-vous ?

La hausse des prix réels sera sans doute inférieure à la hausse de la TVA affichée, notamment en fonction du comportement des entreprises qui lui-même, secteur par secteur, dépend de l'intensité concurrentielle. Les entreprises peuvent choisir de garder le bénéfice de ce transfert de charge pour améliorer leurs marges, réduire leurs prix, créer des emplois, augmenter les salaires... C'est un choix, pour lequel le MEDEF (mouvement des entreprises de France) refuse par avance d'être encadré. 

La TVA sociale d'aujourd'hui est différente de celle proposée il y a quelques années. Cette dernière était une baisse des charges sociales qui pouvait être intégralement répercutée dans les salaires ou dans les prix. L'effet économique se résumait à une dévaluation compétitive : on renchérissait le prix des importations et on allégeait le prix des exportations.

Aujourd'hui, la TVA sociale a toujours cet aspect, mais avec une autre fonction économique clairement revendiquée par le patronat : diminuer le coût du travail. Le MEDEF appelle à la rescousse et le gouvernement répond par une opération identique à celle d'une diminution des salaires. En effet, il n'y a pas de différence de nature entre diminuer le coût du travail et amputer le pouvoir d'achat des salariés par une hausse de TVA sur les produits importés et nationaux.


Certaines entreprises pourraient donc bénéficier d'un effet d'aubaine, soit profiter de la baisse des cotisations pour augmenter leurs profits et non pour baisser leurs prix hors taxe ?

Une opération qui consiste à diminuer le coût du travail en diminuant parallèlement le pouvoir d'achat conduit inéluctablement les salariés à revendiquer - et obtenir au bout d'un certain temps - un rééquilibrage salarial. Cela étant, dans la conjoncture actuelle, la pression salariale risque d'être plus faible et l'effet d'aubaine pour les entreprises plus grand. 

Prenons l'exemple du Danemark. Dans le milieu des années 1980, il a augmenté de trois points sa TVA pour supprimer certaines cotisations sociales. Résultat, nous n'avons pas été envahi de produits danois moins chers et le coût du travail s'est progressivement rééquilibré, jusqu'à dépasser le coût du travail en France.

Ce rééquilibrage peut être plus ou moins grand. On peut penser que le patronat français espère un effet d'aubaine. Ce transfert des ménages ne va pas se faire vers les entreprises les plus compétitives mais vers celles qui ont le plus fort taux de main d’œuvre et ne sont pas soumises à concurrence internationale, ou vers des entreprises industrielles qui n'ont pas vocation à être les plus compétitives.

Cette TVA sociale n'est-elle pas une forme de protectionnisme ?

Il y a une tentation protectionniste et une illusion protectionniste. Lorsque j'entends certains nous expliquer que la TVA sociale permettrait de faire contribuer les produits importés à un financement de notre protection sociale, c'est bien évidemment une totale illusion.

Ce ne sont pas les produits qui paient les impôts. Ce sont toujours les consommateurs de produits, fussent-ils importés. Au total, la même facture sociale sera payée par le même nombre de Français.


Selon vous, la TVA sociale n'est donc pas en mesure de satisfaire à une meilleure compétitivité. Que préconisez-vous ?

Il ne s'agit pas de disqualifier la TVA en tant que telle. Elle a ses vertus. J'entends seulement remettre les idées à l'endroit sur les vertus supposées de la TVA sociale et m'opposer à ce "hold up" patronal sur le pouvoir d'achat des salariés pour un bénéfice économique extrêmement ténu. 

La recette de la compétitivité ne passe pas aujourd'hui dans la recherche des coûts salariaux les plus bas. Elle est dans l'investissement, la créativité, la fabrication de produits nouveaux. C'est en mettant davantage de robots industriels et en investissant davantage que nous serons compétitifs et disposerons de plus d'emplois. La TVA sociale est une recette archaïque, antinomique même, avec une vraie politique d'offre et de recherche de la compétitivité. 

Propos recueillis par Franck Michel

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