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En quoi François Hollande est-il lui un « bon élève » en matière de rhétorique politique ?
En quoi François Hollande est-il lui un « bon élève » en matière de rhétorique politique ?
©Reuters

Rhétorique politique

Retour au premier plan médiatique de François Hollande cette semaine. Stratégie de communication, rhétorique, discours : comment le candidat socialiste tente de se forger une "image présidentielle".

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : Comment analysez-vous le retour au premier plan médiatique de François Hollande cette semaine ?

Christophe de Voogd : Contrairement à ce que j’ai pu lire, je pense qu’il a eu raison de prendre le temps de préparer ce retour, de prendre un peu de recul. Une campagne est à la fois courte et longue : le timing est primordial, il ne faut pas s’essouffler trop vite.

Je constate qu’il a utilisé cette semaine les trois supports médiatiques disponibles : la presse écrite (sa tribune à Libération), la télévision (son intervention au journal de 20 heures de France 2) et enfin la rencontre directe avec les électeurs (son meeting de mercredi soir). Bien sûr ces trois événements sont interconnectés, notamment via un quatrième média, Internet, qui les relaie de façon instantanée.

Tout ceci est savamment réfléchi : trois médias pour un même discours.

Cela suit finalement le principe militaire de la « saturation » : il faut occuper le champ de bataille sur tous les fronts et pilonner l’adversaire ! Vous obtenez une densité médiatique plus grande, notamment via le principe de ricochet entre médias.

Comment jugez-vous le ton employé ? Il a appelé par exemple au « combat » mercredi soir lors de son meeting.

Il suit l’évolution de François Mitterrand, qui reste sur le plan tactique son maître. La campagne présidentielle va être une campagne d’orateurs. Les temps d’incertitudes sont toujours les temps d’un retour en force de la rhétorique, donc des maîtres du discours, car les peuple ont besoin d’être rassurés et guidés dans une situation inédite : la rhétorique est précisément l’art de réduire ces incertitudes par la force de la conviction. Théorème vérifié de Périclès à De Gaulle ! 

On peut citer aujourd’hui au moins quatre excellents orateurs, dans des genres évidemment très différents : François Hollande, Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Eux manient admirablement la rhétorique politique. Ce ne fut pas toujours le cas lors des campagnes précédentes, plus balisées, plus inscrites dans le confort des anciennes certitudes.

En quoi François Hollande est-il lui un « bon élève » en matière de rhétorique politique ?

Déjà, il utilise une variété d’instruments rhétoriques. Ce qui est frappant, c’est son utilisation spontanée, à l’oral, du rythme ternaire, c’est-à-dire d’une séquence de trois termes prononcés à la suite. Lors de son meeting de mercredi soir, il a par exemple parlé de « Nicolas Sarkozy, le protecteur des riches, des puissants, des privilégiés ». Les exemples de cet emploi du rythme ternaire sont nombreux dans chacun de ses discours.

En quoi utiliser le rythme ternaire constitue-t-il la marque d’un talent d’orateur ?

Tout simplement parce que des études ont montré qu’il s’agissait de la technique rhétorique la plus efficace. Cette gradation jusqu’à un « climax » - comme disent les Anglo-saxons – marque l’esprit du public. Ce n’est pas un hasard si les sonates ont trois mouvements… Appelons cela « la règle de trois » de la rhétorique.

On peut citer son usage d’autres techniques, comme le chiasme. Souvenons-nous ainsi de sa tribune à Libé où il écrivait : « Plutôt que de reconduire un président qui aurait tellement changé, pourquoi ne pas changer de président, tout simplement ? ». Technique savante s’il en est…

N’est-elle pas justement trop savante ? On a suffisamment reproché aux hommes politiques leur discours trop abstrait, pas assez en phase avec les aspirations populaires, trop technocratique…

Attendez, cela n’a rien à voir avec la technocratie, au contraire : bien rares sont les technocrates qui s’expriment avec des chiasmes ! A cet égard Hollande est plutôt une exception. Ces effets – rythme ternaire, chiasme, etc – ont peut-être des noms savants, mais ils frappent l’esprit de façon immédiate. La preuve : ils sont utilisés dans les publicités.

François Hollande est donc un très bon orateur en phase de devenir un bon tribun. Qu’est-ce qu’un tribun ? C’est quelqu’un qui joue sur le registre du pathos défini par Aristote (c’est-à-dire des passions) : François Hollande joue donc avec les passions à travers l’anti-sarkozysme, l’égalitarisme, l’hostilité aux riches, la victimisation (« nous sommes agressés »), le « rêve français », etc. C’est-à-dire sur l’alternance plaisir/déplaisir qui « chauffe » le public. En parallèle, les questions politiques et techniques comme la TVA sociale ne sont jamais argumentées. Elles sont réglées à travers une position systématiquement « anti ».

Ce type de discours politique peut-il assurer l’élection ?

Tout discours politique a pour objectif de créer entre « moi, l’orateur » et « vous, le peuple » un « nous ». C’est essentiel pour être élu. Ca passe soit par une adhésion à un projet soit par  un rejet d’un ennemi commun. Le tribun est justement celui qui utilise avant tout la technique du rejet et cela, depuis l’époque romaine et ses célèbres « tribuns de la plèbe » qui vitupéraient l’élite sénatoriale dirigeante. Ca ne vous rappelle rien ?

Mais pour que tout ceci soit efficace, il convient que les électeurs croient en vous. François Hollande doit donc jouer la carte de la représentativité : un « Président normal », c’est un Président qui ressemble aux Français ; sous entendu l’autre, Nicolas Sarkozy, n’est pas représentatif. A ce propos, permettez-moi d’évoquer « l’affaire du sale mec » : la façon dont Hollande a employé cette expression correspond à ce qu’on appelle un dialogisme. C’est-à-dire que Hollande a imaginé un dialogue entre Sarkozy et les Français : il fait dire à Sarkozy « je suis un sale mec, vous ne m’aimez pas ». Hollande pointe par là – au-delà des polémiques un peu stériles sur le sujet  la stratégie du Président qui met en avant sa compétence, donc sa crédibilité, critère décisif en temps de tempête, où on ne demande pas au capitaine un premier prix de beauté ni même un premier prix de vertu, mais bel et bien un premier prix de pilotage (vous voyez, je tombe moi-même dans le rythme ternaire !). 

Or, Hollande est fort en représentativité, c’est son atout. Problème : il souffre d’un déficit de crédibilité. Il doit donc l’établir en démontrant des qualités de compétence face à la situation. Son programme sera en ce sens essentiel. J’ai peur à cet égard pour lui que la fenêtre avant le programme ne soit un peu trop longue, et durant tout ce temps, maintenant qu’il est sorti du bois, il s’expose au pilonnage de l’adversaire… Mais aussi des « alliés ». Voyez la réaction négative des Verts … Encore une fois,  jouer sur le pathos est une condition nécessaire pour être élu. Mais ce n’est pas une condition suffisante !

François Hollande est bien placé pour le savoir, depuis l’échec de Ségolène Royal qui a oublié le logos, le registre de la raison, c’est-à-dire des propositions concrètes et crédibles. Tout miser sur le rejet –l’antisarkozysme- est également dangereux pour la bonne raison que le candidat socialiste n’a nullement le monopole de cette « ressource politique ».  A ce jeu, d’autres candidats, notamment les deux populistes de droite et de gauche, sont à la fois mieux placés et plus doués…

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