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Le président de l’exécutif de la Martinique, victime d’un mauvais coup politique ?
©wikipédia

Ça c'est fort !

Agitation et manifestations en vue ce mercredi 2 mars au tribunal correctionnel de Fort-de-France. Des partisans du député Alfred Marie-Jeanne, également président de l’exécutif de la région devraient venir le soutenir. Ce dernier affronte le tribunal pour prise illégale d’intérêt. Ses avocats dénoncent un procès inique et estiment que leur client est victime d’un mauvais coup politique. Explication.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Le procès d’Alfred Marie-Jeanne, qui a lieu ce 2 mars, ne devrait pas être un long fleuve tranquille. Des centaines de manifestants devraient être présents pour soutenir l’élu.
  • Le président de l’exécutif martiniquais, est renvoyé pour prise illégale d’intérêt dans le cadre de subventions allouées à Grenade et à la Dominique, victimes de catastrophes naturelles.
  • Ses avocats dénoncent un procès inique. Ils estiment que leur client est victime d’un mauvais coup politique venant de Paris. 
  • Selon Alfred Marie-Jeanne, le pouvoir central n’aurait pas apprécié qu’il soit élu à la tête de l’exécutif de l’île grâce à une fusion de sa liste avec celle du candidat des Républicains.

Il risque d’y avoir du bruit, ce mercredi 2 mars devant le tribunal de Fort-de-France en Martinique. Beaucoup de bruit. Des centaines de manifestants devraient venir pour soutenir le député Alfred Marie-Jeanne, également président de l’exécutif de la région, renvoyé en correctionnelle pour prise illégale d’intérêt. Les avocats de l’élu, Mes Alexis Ursulet et Christian Charrière-Bournazel, l’ex-bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris en profiteront pour dire que cette comparution est totalement inique, se demandant même si elle n’est pas le fait du pouvoir d’en haut... Celui de Paris. En guise d’explication, d’aucuns n’hésitent pas à rappeler que Marie-Jeanne a été élu, le 18 décembre 2015, à la tête de l’exécutif de la Martinique grâce à la fusion de sa liste avec celle de Yann Monplaisir ( Les Républicains)... Déjà, aux législatives de juin 2012, Marie-Jeanne avait battu le député sortant socialiste, Louis-Joseph Manscour. Y aurait-il un lien de cause à effet ? Pour s’y retrouver dans cette affaire dans laquelle l’élu a vu sa mise en examen une première fois annulée avant d’être à nouveau confirmée, un retour en arrière s’impose.

Nous sommes en septembre 2004. L’île de Grenade subit d’importants dégâts à la suite du passage de l’ouragan Ivan… Aussi, la Martinique, à l’initiative du président du conseil régional de l’île, - à l’époque l'Assemblée territoriale n’existe pas -  décide de venir en aide, le 5 juin 2005, à Grenade en lui allouant 520 620 euros pour reconstruire et réhabiliter deux bâtiments de l'école des arts, des sciences et d’études professionnelles de l’île. Mandat est donné au président Marie-Jeanne de mener à bien le projet. Dix jours plus tard, le 15 juin, le conseil régional décide de voler au secours de l’île de la Dominique, secouée le 21 novembre 2004 par un tremblement de terre. C’est ainsi que pour la réhabilitation de l’école primaire Roosevelt Douglas à Portsmouth, elle verse, une première fois  674 571 euros en juin donc, puis 848 326 en novembre 2007. Pour chacune de ces opérations, deux conventions sont passées entre la région Martinique et Grenade d’une part et Dominique de l’autre. Le suivi des travaux de reconstruction et de réhabilitation est confié à un cabinet d’architectes, dénommé Anonym Art Inc. Jusque-là, rien que du très banal. Les travaux prévus à Grenade et à Dominique se poursuivent normalement quand survient quelque chose de parfaitement déplaisant, mais dont sont souvent victimes les élus de la République. Cela porte un nom : la dénonciation anonyme.

C’est ainsi que, courant 2010, le Parquet de Fort-de-France reçoit deux courriers anonymes qui font état de possibles irrégularités commises lors de la reconstruction des deux établissements scolaires à Grenade et Dominique. Les réseaux sociaux s’agitent. La presse s’en mêle. Alfred Marie-Jeanne est montré du doigt. Tant et si bien que le procureur de Fort-de-France, intrigué par ces lettres, et soucieux d’y voir plus clair, ouvre une enquête préliminaire, qui sera suivie d’une information judiciaire avec la nomination du juge d’instruction Thierry Rolland, vieil habitué des affaires financières puisqu'il instruisit à Toulon l’affaire Arreckx à la fin des années 1980. Très vite, les enquêteurs découvrent que parmi les associés du cabinet d’architectes de droit dominicain, Anonym Art Inc, figure un certain Mark Frampton qui n’est autre que l’ami de Maguy Marie-Jeanne, sa fille... Et qui travaille au Conseil régional de l’île comme chef du service des affaires internationales. Si Maguy reconnaissait effectivement être l’amie de Frampton, elle affirmait, en revanche, n’être devenue sa concubine que postérieurement à la signature des fameuses conventions avec Grenade et la Dominique. Pas d’accord répliquera le juge Rolland qui mettra en examen la fille de l’édile de Fort-France - non seulement pour prise illégale d’intérêt mais aussi pour complicité de faux. Mark Frampton est lui aussi renvoyé devant le tribunal, mais uniquement pour recel de prise illégale d’intérêt. Un sort identique a été réservé à Alfred Marie-Jeanne. Pourtant, ce dernier, lors de l’instruction, n’avait pas manqué de marteler que les délibérations de la commission permanente du conseil régional [au sujet de Grenade et de Dominique] "n’avaient pas fait l’objet de lettres, d’observations et de déférées devant le Tribunal administratif." C’est d’ailleurs ce qu’a écrit, le préfet de la Martinique, dans une lettre adressée le 19 mai 2011 à l’un des enquêteurs.

Voilà bien la preuve que la bonne foi du président de l’exécutif de la région Martinique, aux yeux de ses avocats, ne peut être remise en cause. Il n’empêche. Ce dernier a été renvoyé devant le Tribunal. Une décision que critiquent vertement Mes Ursulet et Charrière-Bournazel qui rappellent que leur client, dans cette affaire, ne s’est jamais enrichi. Tout comme ils dénoncent une enquête fort longue, puisque 28 mois se sont écoulés entre la désignation d’un juge, le 25 juin 2012  et le réquisitoire définitif  de renvoi, signé le 13 octobre 2014... Etrange histoire. Et les combatifs avocats ne se priveront pas de s’interroger sur cette procédure en zig-zag - la mise en examen d’Alfred Marie-Jeanne a été annulée puis confirmée... Une procédure qui, selon eux, a été rythmée au gré de soubresauts politiques inattendus. Sous-entendu : la large victoire d’Alfred Marie-Jeanne aux élections territoriales de décembre 2015. Enfin, déplorant que l’ordonnance de renvoi ne soit qu’un copié-collé du réquisitoire du parquet - pratique hélas ! assez classique - Mes Ursulet et Charrrière-Bournazel relancent l’éternelle question de la suppression du juge d’instruction. Un sujet, sans cesse évoqué… Mais jamais tranché. Le sera-t-il un jour ?

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