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Gilles Boyer, l’homme de l’ombre qui a réussi l’exploit de renouer les liens entre Alain Juppé et la presse
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Bonnes feuilles

De Bygmalion au scandale Buisson en passant par les "incartades" de DSK et le compte en Suisse de Jérôme Cahuzac, défendus par Havas, la disgrâce s’est abattue sur les sorciers qui murmurent à l’oreille des princes. Malgré tout, les agences restent influentes au cœur du pouvoir. Qui sont ces manitous à l’œuvre en coulisses, ces communicants qui mettent en scène la dédiabolisation du FN ? Extrait de "Les gourous de la com' dérapent" d'Aurore Gorius et Michaël Moreau, Fayard 1/2

Aurore Gorius

Aurore Gorius

Aurore Gorius est journaliste. Elle a publié avec Michaël Moreau, La CFDT, ou la volonté de signer (Hachette,littérature, 2006). Elle signe également les ouvrages suivants, aux éditions La Découverte : Les Gourous de la com' (2011) et Fils et Filles de... (2015)

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Michaël Moreau

Michaël Moreau

En 2000, Michaël Moreau commence sa carrière de journaliste au quotidien France Soir, puis devient rédacteur en chef adjoint de l’émission On ne peut pas plaire à tout le monde. De 2006 à 2008, il est rédacteur en chef de l’émission T’empêches tout le monde de dormir, puis de 2008 à 2009 de Médias le magazine.  Depuis 2011, il est rédacteur en chef chez iTélé et BlackDynamite Production. Il co-écrit avec Aurore Gorius Les Gourous de la com’, 30 ans de manipulations économiques et politiques en 2011.

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Gilles Boyer, la main gauche de Juppé

À droite, la concurrence pour la présidentielle n’a pas autant fait rage depuis les années 1990, lorsque Jacques Chirac et Édouard Balladur se déclarent la guerre. À l’époque, il n’y avait ni chaîne d’info en continu, ni réseau social… Pour 2017, le plus prompt à se dévoiler est un ancien Premier ministre impatient : Alain Juppé. Il annonce officiellement sa candidature à la primaire le 20 août 2014, sur son blog, prenant par surprise son fidèle directeur de campagne et de la communication, Gilles Boyer. « Elle n’était pas du tout prévue, je n’étais pas au courant, confie ce dernier. Nous en avions beaucoup parlé avant l’été, je savais qu’il allait y réfléchir, mais pas que cela allait aboutir. » Gilles Boyer est aux États-Unis quand Alain Juppé publie sa tribune. Il fait nuit de l’autre côté de l’Atlantique. « À mon réveil, je vois vingt-deux messages vocaux, dix-huit SMS… Le premier était de sa part : “Vous verrez, j’ai fait un petit blog.” Ça m’a fait marrer. J’ai trouvé ça très à sa manière. »

Gilles Boyer est beaucoup plus qu’un conseiller en communication pour Alain Juppé. Né en 1971, il est son vrai bras droit, celui qui dirige sa campagne et ses équipes. (...)

Quand Alain Juppé est nommé ministre de la Défense, puis des Affaires étrangères, sous Nicolas Sarkozy, Gilles Boyer est encore de la partie et commence réellement à chapeauter la com’ de son patron. Il cherche à positionner le ministre comme un homme d’État qui compte sur le plan national. Il fait embaucher un conseiller expérimenté, Charles Hufnagel, futur directeur de la communication d’Areva. « Nous étions dans le même bureau, nous travaillions toujours ensemble. C’est à ce moment-là que Charles m’a dit : “Il faut que tu fasses du off avec les journalistes sur les sujets de politique intérieure, sinon personne ne le fera.” L’actualité était chaude avec l’approche de la présidentielle de 2012, il y avait un besoin de pédagogie qu’Alain Juppé ne voulait pas faire lui-même en raison de ses fonctions. »

Au Quai d’Orsay, Gilles Boyer reçoit tous les journalistes politiques qui comptent sur la place de Paris et se constitue un carnet d’adresses. En 2012, lorsque la droite est chassée du pouvoir, c’est lui qui maintient le contact entre le maire de Bordeaux et la presse. Il parle de temps en temps avec Claude Chirac, toutefois discrète et peu intrusive. Le franc-tireur est aussi romancier à ses heures perdues. Et se fait remarquer sur Twitter pour ses traits d’esprit grinçants et humoristiques contre les concurrents d’Alain Juppé. Quand Nicolas Sarkozy est l’invité du JT de France 2 en septembre 2014, il se moque de l’entretien : « Je croyais que @France2tv avait supprimé la pub après 20 heures. » Et provoque : « T rès intéressant le JT de TF1 ce soir. » Nicolas Sarkozy, dont les proches s’amusent à dépeindre Boyer en « M orano de Juppé », s’en est plaint directement : « Il n’arrête pas de dire du mal de moi. » Lui assure : « Je ne comprends pas très bien ce qu’on me reproche. Je n’ai pas moins le droit de parler que n’importe qui d’autre. Ce que j’écris m’engage, mais je n’oblige personne à me suivre. Twitter est un outil d’impulsion, à manier avec précaution. Mais c’est un outil très utile. » (...)

La stratégie Juppé pour 2017 est ainsi établie. La mission de renouer les liens entre la presse et Alain Juppé n’était pourtant pas gagnée. L’ancien Premier ministre a beau avoir épousé une journaliste, il s’est montré très régulièrement dédaigneux vis-à-vis de la profession. Le lendemain matin de sa défaite aux législatives de 2007, contraint de quitter le ministère de l’Écologie et du Développement durable que vient de lui offrir Nicolas Sarkozy, il cherche à éviter la presse alors qu’il inaugure le salon des vins et spiritueux Vinexpo, à Bordeaux. Exercice impossible. Visage fermé, il refuse de parler aux journalistes, avant de les apostropher : « Ce que vous voulez, c’est que j’aille très très mal, c’est cela qui vous exciterait. Si je pouvais crever, vous seriez contents ! »

Son attitude vis-à- vis des médias est ambivalente, car il est l’un des très rares hommes politiques à avoir accepté d’être filmés en pleine séance de media training. C’était devant les caméras de FR3, pour le documentaire Au secours, la politique fait de la pub !, de Guy Seligmann et Dominique Frischer, diffusé en 1987, en pleine explosion de la politique-spectacle sur petit écran. On le voit monter quatre à quatre des escaliers sur la musique de « Je me voyais déjà en haut de l’affiche »… Et surtout, s’entraîner à répondre aux questions du « Club de la presse » d’Europe 1 avec le publicitaire Thierry Saussez et les conseillers de l’agence de ce dernier, Image et Stratégie. Il est alors ministre du Budget et porte-parole du gouvernement Chirac. Saussez tente de le convaincre de se dévoiler : « Les gens vous font toute confiance sur vos compétences, mais, là où ils vous attendent un peu plus maintenant, c’est sur vos qualités profondes, l’homme que vous êtes, l’homme privé qui se cache derrière l’homme public… – … qui continuera peut-être à se cacher, d’ailleurs ! répond malicieusement Alain Juppé. – Mais pas trop ! » rétorque Saussez. Trente ans plus tard, Alain Juppé n’a pas changé : « Il est plus dans le savoir-faire que dans le faire-savoir, justifie Gilles Boyer. Avec lui, je suis comme Monsieur Jourdain, je dois faire de la com’ sans le dire… »

Extrait de "Les gourous de la com' dérapent" d'Aurore Gorius et Michaël Moreau, publié aux éditions Fayard, mars 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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