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La démocratie hongroise est menacée, mais son peuple et l'Europe peuvent la sauver
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A l'Est, rien de nouveau ?

La démocratie hongroise prend une nouvelle tournure avec les modifications arbitraires dont elle a fait l'objet par Viktor Orban et sa majorité. On ne parle ainsi plus de "République de Hongrie" mais simplement de "Hongrie". Le virage est-il irrémédiable ?

Ilios Yannakakis

Ilios Yannakakis

Ilios Yannakakis est historien et politologue. Il est l'un des animateurs du Printemps de Prague qui va ouvrir la crise du PCT. L'entrée des chars soviétiques à Prague, en 1968, l'oblige à quitter le pays. En août 1968, il émigre à Paris où il enseigne les relations internationales contemporaines à l'Université de Lille. Spécialiste de l'histoire du communisme et des pays d'Europe centrale et orientale, il publie de nombreux articles et ouvrages sur le sujet. Une biographie romancée de sa vie a été publiée dans Matin Rouge de Chantal Delsol.

 

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Atlantico : Le virage que prend la démocratie hongroise, sous l’impulsion de son président Viktor Orban, inquiète les instances européennes. La nouvelle Constitution dont vient de se doter le pays annonce la couleur d’un régime de plus en plus autoritaire. Est-on en train d’assister à une sorte de putsch silencieux ?

Ilios Yannakakis : Tout d’abord, ce n’est pas un putsch. C’est tout simplement Orban, avec une majorité à sa botte au Parlement, qui visait quelque chose de fondamental : une révision sans débat de la Constitution. Il modifie alors un élément essentiel : le terme « République » a disparu de la Constitution. Il n’est plus fait mention de la « République de Hongrie » mais de la « Hongrie ». Ce qui explicitement fait référence à Dieu et au christianisme, indépendamment des autres religions.

Ce changement d’intitulé, hautement symbolique, ne marque-t-il pas la volonté d’Orban de sortir du régime démocratique ?

Non, le régime démocratique reste là, apparemment, puisqu’il y a un parlement et des élections. Orban s’applique à « droitiser » le système hongrois, de le pousser vers un nationalisme de mauvais aloi. Il veut éliminer, en quelque sorte, la seule opposition importante, qui était le Parti socialiste. Celui-ci est l’héritier du parti communiste. Orban demande de considérer ce parti socialiste, principale opposition, comme responsable de toutes les exactions commises entre 1947 et 1989. C’est la chasse à tout ce qui représente un passé communiste.

D’autre part, l’autre parti d’opposition, les Verts, est relativement faible, tout comme le DK qui a pourtant été au gouvernement. En réalité il n’y a pas d’opposition en Hongrie.

Donc s’il n’y a pas d’opposition, l’idée de démocratie est déjà un peu dévoyée…

Naturellement. C’est une dérive, dans le sens où on se dirige vers un nationalisme hongrois réactionnaire, dans le sens le plus fort du terme. C’est très inquiétant, d’autant plus que les réactions sont encore légères. Les manifestations de quelques 100 000 personnes à Budapest paraissent importantes aux yeux du public, mais quelle est leur effet réel sur Orban ? Pour l’instant, quasiment nul, même si elles constituent un gage d’espoir.

Les pressions politiques de l’Europe sur Budapest manquent également de poids : on peut difficilement intervenir sur leurs affaires intérieures.

La seule possibilité de faire reculer Orban est une pression économique.

D’autant plus que la Hongrie est dans une situation économique extrêmement délicate du fait de sa dette publique, qui dépasse les 85 % de son PIB. Est-ce la solution ?

On doit faire en sorte qu’il comprenne que l’octroi d’aides économiques est mis en péril par la dérive de son régime. Le FMI hésite déjà, à l’instar de l’Europe. Peut-être que ce sera un frein au durcissement extrémiste du régime d’Orban.

Le paradoxe est que la Hongrie fut le premier pays à se soulever contre le soviétisme et les régimes totalitaires. Avant 1989, elle avait déjà porté un coup fatal au communisme. La Hongrie fut, en quelque sorte, le pays phare de ces années. Elle a ouvert ses frontières avec l’Occident, permettant la fuite massive des Allemands de l’Est, qui a déclenché comme un boomerang les révoltes en Allemagne de l’Est. Paradoxalement, c’est le pays le plus réactionnaire de tous ceux qui composaient le Bloc de l’Est.

Comment expliquer alors que, malgré cette « tradition » hongroise de résistance à l’oppression, le peuple ne réagisse pas plus massivement, dans la rue, aux dérives d’Orban ?

Cela s’explique par la fatigue de toutes ces populations de l’Est. Une fatigue morale qui les rend presque paralysés devant la démagogie d'Orban. Mais surtout, peut-être que ce sont les résidus d’une Hongrie "fascisante" de l’avant-guerre qui remontent à la surface…

Ne pensez-vous pas qu’il est déjà trop tard, vu le verrouillage qu’a mis en place Viktor Orban dans son gouvernement, dans la presse, et avec la majorité qu’il possède au Parlement… ?

Il n’est jamais trop tard, et on ne peut anticiper les évènements en Histoire. En faisant une analyse sereine, sociétale ou historique, on ne peut présumer de l’avenir. En revanche on doit se poser certaines questions. La Hongrie fait partie de l’Europe : quelles peuvent être les pressions européennes sur la Hongrie ? Quelles peuvent être les réactions d’une population qui se réveille face à cet obscurantisme ? Les sociétés ne sont jamais stagnantes, et surtout pas celles qui ont vécu sous le joug d’un régime totalitaire. Ces éléments donnent le sentiment que les choses peuvent bouger dans un avenir assez proche. Ne donnons pas une image catastrophiste et pessimiste de la Hongrie. La dynamique de réaction d’une société peut toujours arriver.

Sans tomber dans le catastrophisme, on voit bien que les libertés individuelles, dans cette constitution, sont en danger ?

Absolument, mais on ne peut pas prévoir les réactions. Nous ne sommes plus aujourd’hui dans un État fermé. N’oublions pas qu’Orban se met au ban de la société européenne. C’est aussi pesant pour la population hongroise, qui voyage et voie l’évolution du niveau de vie chez ses voisins, à commencer par les Tchèques.

Un changement est donc possible sans intervention ou pression de l’Europe ?

J’en suis persuadé. Les récentes manifestations sont un premier signal probant du réveil de la Hongrie. C’est un gage que l’opposition est en train de se réveiller, de se structurer. 

Propos recueillis par Romain de Lacoste

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