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Le quinquennat de Nicolas Sarkozy, c’est maintenant ? Quand Bernard Cazeneuve reprend discrètement l’idée d’étendre le permis de port d'armes à certaines missions de sécurité privée
©Reuters

Siphonnage

Récemment, le ministre de l'Intérieur a fait savoir qu'il souhaitait étendre le permis de port d'arme aux agents de sécurité privée, sous certaines conditions. Une idée déjà exposée par Nicolas Sarkozy... et aux antipodes de la gauche de François Mitterrand.

Mathieu Zagrodzki

Mathieu Zagrodzki

Mathieu Zagrodzki est politologue spécialiste des questions de sécurité. Il est chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales et chargé de cours à l'université de Versailles-St-Quentin.

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Atlantico : Bernard Cazeneuve a exprimé sa volonté d'étendre le permis de port d'armes à certaines missions de sécurité privée. Faut-il y voir une nouvelle incursion de la gauche sur le terrain de la droite, sachant qu'il s'agit d'un souhait formulé récemment par Nicolas Sarkozy ?

Mathieu Zagrodzki : Je ne peux que répondre par l'affirmative à votre question. Cela ne correspond clairement pas à une mesure de gauche. Je doute que, d'instinct, quiconque la présente comme telle. Si l'on observe le parcours intellectuel de la gauche sur la question de la sécurité privée, sur le temps long, cette volonté exprimée par Bernard Cazeneuve correspond à un véritable grand écart. Des décennies durant, la sécurité privée était vue par la gauche comme une certaine forme de milice patronale, dont la fonction première était de briser les grèves, réprimer les ouvriers. A gauche – et c'est tout particulièrement pour la gauche mitterrandienne qui prend le pouvoir en 1981 – il s'agit d'une profession qui génère de nombreuses suspicions. C'est, par ailleurs, l'un des principaux axes de réformes que la gauche prétend mener dans ce domaine. En 1982 un rapport sur la sécurité privé est publié. Il débouche en 1983 sur une loi visant à encadrer cette activité, en mettant en place tout un système d'obligations, de formations, mais aussi de déclarations. Trente-trois ans plus tard, la gauche ne se positionne plus dans une optique d'encadrement et de moralement de la sécurité privée : elle s'installe à l'inverse dans une logique d'armement des agents de cette même sécurité privée.

Très clairement, on assiste donc à un changement de doctrine assez fort, en comparaison à la logique qu'appliquait la gauche de François Mitterrand. Bien sûr, ce changement répond aussi à un changement des menaces, mais il m'apparaît évident que l'action de Bernard Cazeneuve va faire réagir assez violemment un pan de la gauche traditionnelle. La même qui, somme toute, se manifeste d'ores et déjà bruyamment contre l'Etat d'urgence. Indéniablement, ce sont des mesures que l'on attend plus de la part d'un gouvernement de droite, d'autant plus quand on connait l'attachement de la gauche à une certaine forme républicaine de la police. Traditionnellement, cette dernière ne peut être incarnée que par des forces publiques, dans une logique régalienne qui implique qu'on ne délègue pas ce genre de missions.

Dans quelle mesure ce genre de manœuvre relève-t-elle d'une stratégie de la gauche, et jusqu'où celle-ci peut-elle s'avérer préjudiciable pour la droite ? Ce "vol" du corpus idéologique de droite ne force-t-il pas la droite à se réinventer sur ces questions ?

Je ne suis pas sûr que l'on puisse effectivement parler de stratégie, au sens politico-électoral du terme, de la gauche, moins encore préjudiciable à la droite. Bien sûr, il y a là une dimension de communication politique évidente : la France a été frappée par deux séries d'attentats sanglants en 2015. En outre, l'attaque du Bataclan pose un certain nombre de questions relatives à notre dispositif de sécurité. Il est donc prévisible – voire normal – que le gouvernement en place cherche à afficher des mesures fortes. Clairement il s'agit de faire passer le message suivant : "voyez, nous ne restons pas les bras croisés, nous mesurons et nous évaluons la menace à sa juste valeur".

De facto, il y a aussi une part de stratégie au sens sécuritaire du terme. L'idée sous-jacente à la volonté exprimée par Bernard Cazeneuve est très claire. Il s'agit d'augmenter le nombre de personnes portant une arme en France ; d'augmenter la densité d'agents équipés d'armes à feu et par conséquent en mesure de réagir promptement en cas d'attaque terroriste. Rappelons-nous que le ministre de l'Intérieur annonçait récemment la mise en place d'unités d'intervention rapide capable d'opérer en moins de vingt minutes, n'importe où sur le territoire français. Si cette promesse est bien évidemment compliquée à tenir, ce sont des éléments qui vont dans le prolongement de ce qui a déjà été fait concernant la possibilité de port d'arme pour les policiers, en dehors de leur service. Autant que possible, il s'agit d'augmenter la capacité de riposte face à une nouvelle tuerie de masse.

Pour autant, et même si cela correspond (comme expliqué précédemment) à une mesure plus marquée à droite, je ne crois pas que cela puisse nuire à celle-ci. D'une manière générale, les Français continuent à faire plus confiance à la droite sur les questions de sécurité. Sur ces aspects elle est jugée plus crédible, jouit d'un discours plus cohérent, plus fort plus dynamique ; quand bien même en matière d'efficacité le bilan n'est pas toujours aussi tranché. J'en veux pour preuve qu'une majorité de Français penseraient avant tout à Charles Pasqua et Nicolas Sarkozy, s'il fallait citer des ministres de l'Intérieur marquants. Certains évoqueraient peut-être Jean-Pierre Chevènement, mais ceux-là sont moins nombreux.

La gauche aura beau tenter ce qu'elle veut, cela ne parviendra pas à effacer la plus grande crédibilité prêtée à la droite sur ces questions ; ainsi que son incapacité à prévenir les deux attentats extrêmement meurtriers arrivés sur notre territoire l'année passée.

Cette tentative de la gauche de prouver sa crédibilité sur les questions de sécurité n'est pas neuve : elle remonte en vérité au milieu des années 1990. Les documents de travail internes au PS, rédigés au milieu des années 90 par Julien Dray, Bruno Leroux et Daniel Vaillant correspondent à la tentative de formuler une doctrine cohérente de gauche sur la sécurité. La police de proximité en est l'aboutissement. Cela s'appuie en grande partie sur de la prévention et se veut réaliste : elle reconnait la délinquance en France, l'exposition des Français à celle-ci… En réalité, la gauche s'inscrit dans cette réflexion depuis plus de vingt ans désormais, depuis la débâcle de 1993 aux législatives. C'est là qu'ils ont réalisé que seulement 15% des Français leurs faisaient confiance sur ces thématiques.

Récemment (et régulièrement), la gauche critiquait le modèle américain, la libéralisation des armes, jugée responsable des tueries de masse... Est-il pertinent de parler d'une américanisation de la société française ?

Nous demeurons très éloignés de la société américaine ou d'une américanisation totale. Si, aux Etats-Unis, les agents de sécurité privée portent tous des armes c'est avant tout parce que chaque citoyen moyen est susceptible de porter une arme. Ce constat s'insère dans une histoire et dans un contexte culturel beaucoup plus ouvert sur la question du port d'arme généralisé.

Ceci étant dit, cela reste néanmoins un pas ce que l'on qualifie d'"américanisation" de notre société, en effet. Il va de soi que, si cette mesure est adoptée, elle ne s'appliquera pas à l'intégralité des agents de sécurité français. C'est une évidence : à la suite de son application, nous ne verrons pas des milliers d'employés de société de gardiennage équipés de pistolets semi-automatique. Les agents de sécurité privée armés seraient triés sur le volets, entraînés, formés sur quand faire usage de l'arme à feu et sur quand ne pas en faire usage.

Si la comparaison est pertinente, pour peu que l'on prenne toutes les pincettes nécessaires, on ferait un pas dans la direction des Etats-Unis ou de pays d'Amérique du Sud comme le Brésil par exemple, où le port d'arme et chez les agents de sécurité privée est quelque chose de très courant. On étendrait quelque chose qui est aujourd'hui exceptionnel, puisque les convoyeurs de fonds, en raison de leur exposition aux risques de braquages, sont autorisés à porter une arme à feu depuis les années 1970.

Historiquement, ce type de mesure a-t-elle un sens ? Dans quels autres contextes assiste-t-on à des autorisations de port d'armes comparables ? Pour quels résultats ?

L'exemple qui vient à l'esprit, c'est justement celui des convoyeurs de fonds. Dans les années 1970, face à la recrudescence des attaques de fourgon et des braquages de banques, les autorités leur ont autorisé le port d'arme. Clairement, il n'y a pas aujourd'hui de problème avec cette autorisation. Pour peu que cela soit soumis à une obligation de contrôle et de formation, c'est quelque chose qui demeure raisonnable. Ces gens sont bien préparés au maniement des armes et savent globalement en user avec discernement. Fondamentalement, élargir cette possibilité à d'autres agents de sécurité privée équivaudrait à la généralisation d'une exception.

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