Pourquoi les électeurs de François Hollande ne sont pas ceux que vous croyez...<!-- --> | Atlantico.fr
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Comme pour les autres candidats, la carte du vote en faveur de François Hollande est très structurée autour de son fief.
Comme pour les autres candidats, la carte du vote en faveur de François Hollande est très structurée autour de son fief.
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Sociologie électorale

Une enquête Ifop pour la Fondation Jean Jaurès dresse le portrait-robot des électeurs de François Hollande, Martine Aubry et Arnaud Montebourg lors de la primaire socialiste. Leurs résultats démentent plusieurs analyses tenues peu après l'annonce des résultats du vote...

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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La participation au premier tour de la primaire : une géographie très contrastée

Les zones de forte mobilisation

Afin d’appréhender la participation et la mobilisation à ces primaires, nous avons considéré qu’il était plus pertinent de comparer le nombre de votants non pas au corps électoral global (ce qui n’a pas beaucoup de sens car l’électorat de droite n’était pas concerné) mais au nombre de voix recueillies par Ségolène Royal au premier tour de la présidentielle de 2007. Ce point de référence nous permet ainsi d’avoir une estimation du « vivier électoral potentiel » qui était visé par les primaires, à savoir un électorat socialiste « chimiquement assez pur » (nous n’avons pas retenu pour cette raison le second tour de la présidentielle) mesuré lors d’un scrutin fortement participatif comme ce fut le cas en 2007. Ce corps électoral potentiel ou théorique ne représentait pas moins de neuf millions d’électeurs.

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Une fois ces calculs effectués, différentes zones plus participatives se détachent :

  • Les départements les plus urbanisés : Paris, Haute-Garonne, Hauts-de-Seine, Hérault, Essonne, Yvelines, Gironde, Rhône, Loire-Atlantique.

Parfois la participation élevée a été autant enregistrée en périphérie que dans les villes-centres, dont certaines n’ont pas été très « participantes ».

  • Les départements d’élection des candidats : Corrèze, Saône-et-Loire et Tarn-et-Garonne.
  • Les départements à fort encadrement du Parti socialiste : Haute-Garonne, Aude et Ariège, par exemple.

L’influence de la présence militante sur le territoire sur la participation

Pour affiner l’analyse, un indicateur d’« encadrement socialiste » a été calculé sur la base du ratio entre le nombre d’adhérents au Parti socialiste et le nombre de voix obtenues par Ségolène Royal au premier tour de l’élection présidentielle dans chaque département. Grâce à cet indicateur, on peut alors avoir une idée de l’intensité du maillage militant dans l’électorat socialiste au sein de chaque département et donc de la capacité du parti à mobiliser ses électeurs potentiels, ce qui était déterminant dans cette primaire.

Le taux d’encadrement socialiste s’établit en moyenne nationale à un adhérent pour quarante électeurs de Ségolène Royal au premier tour de l’élection présidentielle. Mais il existe de profondes disparités selon les fédérations et l’on constate que, toutes choses égales par ailleurs, les départements à plus fort encadrement ont davantage voté aux primaires.

Exemples dans les départements ruraux

Exemples dans les départements populaires

Le cas de Paris

Le maillage et le nombre de bureaux de vote ont également une influence sur la participation notamment dans les départements ruraux


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Les zones de faible participation : les départements en crise et les banlieues populaires


Le candidat arrivé en tête : forte domination géographique hollandaise

Comme pour les autres candidats, la carte du vote en faveur de François Hollande est très structurée autour de son fief. On savait de longue date que l’effet d’« amitié locale » (le friends and neighbor’s effect des Anglo-saxons) jouait un rôle dans les élections en assurant une prime au candidat dans sa zone d’implantation mais, et c’est là un des principaux enseignements de cette élection, l’effet d’« amitié locale » a joué très puissamment lors de cette primaire. Cela s’explique par le fait que, contrairement aux élections classiques où le clivage partisan vient restreindre le friends and neighbor’s effect, cette élection primaire, en ne mobilisant que des électeurs de gauche voire principalement des socialistes, a conduit à la constitution d’un corps électoral idéologiquement assez homogène au sein duquel la dimension de proximité géographique avec tel ou tel candidat a semble-t-il constitué un facteur de choix assez déterminant.

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Ainsi, la principale zone de force de François Hollande s’organise-t-elle (comme pour Jacques Chirac en son temps…) autour de la Corrèze, épicentre du vote hollandais avec 86,1 % des voix. Viennent ensuite par effet de diffusion spatiale la Haute-Vienne (63 %), le Cantal (57,7 %), la Creuse (55,4 %), puis une troisième couronne de départements avec encore des scores élevés mais en-dessous de 50 % : le Lot (46,5 %), la Dordogne (46,8 %), le Puy-de-Dôme (46,9 %), la Lozère (48,6 %) et l’Indre (45 %, fief de Michel Sapin, proche soutien de François Hollande).

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Aux marges de cette « Hollandie » (que l’on appelait avant Chiraquie), des résultats supérieurs à la moyenne nationale sont encore enregistrés dans le Cher, l’Allier, la Vienne, les Deux-Sèvres, le Lot-et-Garonne ou bien encore l’Aveyron. Hormis ce foyer principal du vote Hollande situé au coeur de la France, on constate des foyers secondaires où le poids de notables socialistes locaux engagés aux côtés de François Hollande a sans doute pas mal pesé. De la même façon que l’effet d’amitié locale a joué plus fortement dans ces primaires, il semble également que l’effet « notables » y a été plus puissant. Ceci s’explique par la taille du corps électoral assez limité au sein duquel le poids des clientèles électorales est donc plus déterminant et l’impact des consignes de vote plus sensible. François Hollande obtient ainsi des résultats supérieurs à sa moyenne nationale en Bretagne (région d’élection de Bernard Poignant et Jean-Jacques Urvoas), dans la Sarthe (où est implanté Stéphane Le Foll) ou bien encore en Ariège (département de Jean-Pierre Bel) ainsi que dans les départements voisins de l’Aude et des Pyrénées-Orientales.

Si l’on prend maintenant un peu d’altitude pour résumer la carte du vote Hollande, on perçoit qu’elle se structure avec des zones de force concentrées pour l’essentiel au centre et à l’ouest du pays avec un foyer secondaire regroupant des départements courant de l’Aisne à la Moselle. A l’inverse, le bloc Nord-Picardie-Haute-Normandie et tout le quart sud-est du pays, où respectivement Martine Aubry et Arnaud Montebourg ont recueilli de nombreux suffrages, apparaissent comme des terres nettement moins acquises au désormais candidat du Parti socialiste à l’élection présidentielle.

Cette géographie « hollandaise » ne renvoie pas au final à des lignes de clivages connues. On ne retrouve en effet ni la carte du vote de gauche, ni la carte du « non » ou du « oui » au referendum de 2005, ni l’opposition entre la première et la deuxième gauche. En revanche, même s’il y a des exceptions, il n’est pas inintéressant de constater que la plupart des départements les plus favorables à François Hollande sont situés à l’ouest de la fameuse ligne Le Havre/Valence/Perpignan. Cette ligne matérialise depuis plus de vingt ans la frontière entre une France de l’Est, où le Front national enregistre de très bons résultats, et une France de l’Ouest, moins touchée par la crise et la désindustrialisation et moins concernée par l’insécurité et l’immigration et plus réfractaire au vote Front national. C’est principalement dans ces territoires les plus paisibles que François Hollande a obtenu ses meilleurs scores, à l’exception de la Moselle, de la Meuse, des Ardennes, de l’Aisne, de la Haute-Saône et des Pyrénées-Orientales, situés eux à l’est de la diagonale Le Havre/Valence/Perpignan.

Certains commentateurs ont parlé au lendemain du premier tour d’un « vote des champs » favorable à François Hollande quand Martine Aubry, arrivée en tête à Paris et à Lille, aurait eu la faveur d’un « vote des villes ». L’analyse détaillée montre que cette image est assez trompeuse. Ainsi, sur 167 des plus grandes communes de France pour lesquelles nous avons calculé les résultats, le candidat des « champs » devance la « candidate des villes » dans 134 cas, quand Martine Aubry ne s’impose que dans 33 communes. De la même façon, et notamment au regard de la situation des différents arrondissements parisiens, on a dit que François Hollande s’imposait dans les communes de droite quand Martine Aubry résistait dans les villes de gauche. Là encore, nos chiffres ne corroborent pas cette impression : François Hollande devance Martine Aubry dans 73 des 94 principales villes de gauche (soit dans 78 % des cas) et dans 45 des 55 principaux fiefs de la droite (soit 82 % des cas).

Une autre variable d’analyse méritait d’être vérifiée : l’impact sur le résultat d’une ville du choix de candidat effectué par le maire de la commune. Si, comme on l’a vu, l’effet « d’amitié locale » a profité aux candidats dans leurs fiefs élargis, est-ce que la prise de position d’un maire a pu faire pencher la balance dans sa ville ? Le fait qu’un maire ait indiqué soutenir tel candidat et qu’il ait fait campagne pour lui dans sa commune a semble-t-il joué. Ainsi dans les 33 villes que nous avons pu identifier comme étant dirigées par des maires socialistes soutenant François Hollande, ce dernier devance Martine Aubry dans… 32 cas (soit 97 % des cas alors qu’il n’est en tête « que » dans 78 % des villes de gauche). Martine Aubry parvient, quant à elle, à s’imposer dans 14 des 34 villes que nous avons isolées car leur maire s’était déclaré en sa faveur. Le président du Conseil général de la Corrèze est donc en tête dans 20 de ces 34 villes à édiles « aubrystes », ce qui n’est pas une mince performance mais l’on voit tout de même que son avance est moins évidente. Dans cette catégorie de communes, il ne la devance « que » dans 58 % des cas alors qu’il est arrivé devant elle dans pas moins de 78 % des villes de gauche, l’engagement de maires en faveur de la première secrétaire ayant contenu la domination « hollandaise » dans certaines communes.

Le vote Aubry au premier tour de la primaire

La carte du vote pour Martine Aubry fait apparaître un clivage nord/sud très appuyé.

Tout comme pour François Hollande, ses principales zones de forces sont concentrées à proximité de son département d’élection du Nord (54,2 %) : Pas-de-Calais (42,6 %), Somme (35 %) et Seine-Maritime (37,5 %) où l’influence de Laurent Fabius a joué pour elle. A ce bloc d’origine, d’autres départements, dans lesquels la maire de Lille franchit la barre des 30 %, s’agrègent – Eure, Calvados, Ardennes, Aisne, Oise – pour faire la jonction avec les départements franciliens où Martine Aubry a bénéficié de bons résultats. Une fois franchie cette frontière septentrionale, les points d’appui de la première secrétaire du Parti socialiste sont peu nombreux et assez éparpillés : Alsace, Pays-de-la-Loire, le Finistère de Marylise Lebranchu et une partie de Rhône-Alpes. A l’exception des Pyrénées-Atlantiques et des Landes emmanuellistes, tout le Sud-Ouest ainsi que PACA et Languedoc-Roussillon apparaissent comme réfractaires à la « femme du Nord ».

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Cette géographie ressemble fortement à celle du vote en faveur de la motion qui regroupait les partisans de Martine Aubry lors du congrès de Reims. Déjà à l’époque, il était frappant de voir à quel point l’assise territoriale du courant Aubry dans le Parti était étroite et concentrée, à quelques exceptions près, dans les fédérations les plus au nord du pays. On constate d’ailleurs une corrélation statistique : le score de Martine Aubry à la primaire est indexé sur le résultat de sa motion trois ans plus tôt. Si elle a gardé le soutien des fédérations qui lui étaient acquises à l’époque, il semble qu’elle ne soit pas parvenue à élargir significativement son assise territoriale en dépit du ralliement de nombreux élus.

Le vote Montebourg au premier tour de la primaire

Le vote Montebourg, surprise de ce scrutin, a été assez étal avec un score relativement significatif dans la plupart des départements. Des aspérités ressortent néanmoins en creux comme en relief. Comme pour les deux autres grands candidats, Arnaud Montebourg s’impose dans son fief avec 56 % en Saône-et-Loire. Les départements limitrophes ressortent également : 25,2 % dans l’Ain, 24,2 % dans la Nièvre, 28,6 % dans le Jura, 21,6 % dans l’Yonne et 25 % en Côte-d’Or. A l’inverse, en creux apparaissent tous les fiefs de ses concurrents principaux. Le président du Conseil général de Saône-et-Loire est à la peine en « Hollandie » et dans le Grand Ouest ; sa percée est contrée dans le Nord-Pas-de-Calais et le Nord-Est. La concurrence spatiale entre les influences des candidats a façonné assez nettement la géographie électorale de cette primaire et notamment celle du vote pour Arnaud Montebourg.

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L’effet fief ou « notables » joue également en faveur d’Arnaud Montebourg au sein même de son département. On observe ainsi un score maximum dans son canton de Montret. Un sur-vote existe également dans les cantons limitrophes pour s’atténuer ensuite puis disparaître à une distance de plus de trente kilomètres de Montret comme on peut le voir sur le tableau suivant.

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L’intérêt suscité par cette candidature et son programme a été un phénomène national mais son ampleur a été modulée par la manifestation plus ou moins forte de l’écho rencontré par François Hollande et Martine Aubry localement. Dans les fiefs de ces deux derniers, la vague Montebourg a été limitée. A l’inverse, dans le quart sud-est de la France, moins soumis à un effet d’amitié locale pour François Hollande ou Martine Aubry, car éloigné de leur fief respectif, le vote Montebourg a pu davantage se déployer en atteignant des niveaux significatifs en PACA et dans la vallée du Rhône. Pour ce qui est de PACA, peut-être faut-il également y voir l’influence du positionnement anti-Guérini adopté par Arnaud Montebourg qui lui aurait valu un soutien d’une partie de l’électorat de la gauche irrité par certaines pratiques locales.

Quels que soient les ressorts du vote Montebourg dans ces départements du Sud-Est, l’effet produit au final doit néanmoins interpeller le tenant de la VIème République. Alors que ce dernier visait clairement les suffrages des électeurs populaires par son discours sur la démondialisation et le protectionnisme, ce sont (hormis en son fief bourguignon) d’abord les départements droitiers et très tertiarisés du sud-est qui ont voté pour lui quand les territoires en voie de désindustrialisation de la France du nord-est ont plus faiblement voté pour lui (et d’une manière générale ont, on l’a vu, moins participé aux primaires).

Clairement positionné à la gauche du Parti socialiste, Arnaud Montebourg n’a, de la même façon, pas fait semble-t-il totalement le plein des voix les plus à gauche. Ses résultats ne sont pas en effet indexés sur le score de la motion Hamon lors du congrès de Reims, comme le montre le tableau suivant. Il est vrai que Benoît Hamon et son courant s’étaient ralliés à Martine Aubry, ce qui a sans doute détourné un certain nombre de voix de militants et de sympathisants les plus à gauche qui auraient pu soutenir le candidat de la démondialisation.

De la même façon, les résultats d’Arnaud Montebourg (comme ceux de ses concurrents d’ailleurs) ne sont pas corrélés au niveau atteint par le vote «non» au référendum de 2005, ce qui montre encore une fois que la géographie électorale des primaires ne renvoie guère à des clivages classiques.

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Enfin, alors qu’on avait évoqué un coup de pouce des électeurs du Front de Gauche pour Arnaud Montebourg, l’analyse de ses scores dans toute une série de bastions communistes ne permet pas de valider cette hypothèse. Les résultats y sont en effet très variables (ce qui ne serait pas le cas si un mouvement significatif de mobilisation de cet électorat s’était produit : on aurait alors vu une tendance assez homogène se dessiner) et de surcroît quasiment systématiquement en-dessous de sa moyenne nationale.

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Le second tour : le maintien de la domination géographique de François Hollande

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François Hollande et Martine Aubry ont, tous deux, bénéficié de reports des électeurs Montebourg, avec un avantage à François Hollande.

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Les calculs des taux de corrélation à l’échelle de l’ensemble des bureaux de vote valident cette hypothèse, puisqu’ils s’établissent à 0,59 % entre le résultat d’Arnaud Montebourg au premier tour et la progression de François Hollande entre les deux tours et à 0,53 % entre le résultat d’Arnaud Montebourg au premier tour et la progression de Martine Aubry entre les deux tours.

Le taux de corrélation varie entre -1 et +1. La valeur -1 signifie que les deux séries de données sont parfaitement corrélées, mais négativement, et la valeur +1 qu’elles sont parfaitement corrélées, mais positivement. On admet généralement qu’une corrélation existe à partir de +0,5, ce qui est le cas ici mais ces taux sont, on le voit, assez moyens. Cela plaide pour une distribution des votes Montebourg vers les deux candidats, avec une prime à François Hollande.

De surcroît, la logique des reports de l’électorat Montebourg n’a pas été uniforme sur le territoire national, comme l’indiquent les tableaux suivants. S’ils ont été plutôt favorables à François Hollande dans le fief bourguignon d’Arnaud Montebourg et les départements limitrophes, ils penchent plus nettement en faveur de Martine Aubry dans les départements du sud-est où Montebourg a enregistré de bons résultats.

Enfin, plus logiquement, les reports sont favorables à la Première secrétaire dans le Nord-Pas-de-Calais et à François Hollande dans le Limousin.

Étude IFOP / Fondation Jean Jaurès


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