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Guerre des valeurs : ou comment François Hollande tente désespérément de rattraper le terrain perdu
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Le changement, c’est…

Dans sa tribune publiée dans Libération, François Hollande a davantage insisté sur les valeurs qu’il défend que sur ses propositions politiques. Objectif : imposer ses thèmes de campagne...

David Valence

David Valence

David Valence enseigne l'histoire contemporaine à Sciences-Po Paris depuis 2005. 
Ses recherches portent sur l'histoire de la France depuis 1945, en particulier sous l'angle des rapports entre haute fonction publique et pouvoir politique. 
Témoin engagé de la vie politique de notre pays, il travaille régulièrement avec la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol) et a notamment créé, en 2011, le blog Trop Libre, avec l'historien Christophe de Voogd.

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Atlantico : Une interview au 20 heures de France 2, une longue tribune publiée en Une de Libération : François Hollande a marqué son retour au premier plan de la campagne présidentielle ce mardi. Mais ces sorties sont restées essentiellement circonscrites au terrain des valeurs. Aucune proposition concrète. Comment l’expliquer ?

David Valence : Première remarque, moins anecdotique qu'il y parait : la tribune de François Hollande publiée dans Libération frappe par ses qualités de forme. Il n'est pas interdit d'y voir une nouvelle marque de la fascination de François Hollande pour François Mitterrand. Après en avoir imité la gestuelle (coudes volontiers posés sur le pupitre lors des discours), Francois Hollande en reprend l'idée que la politique doit être écrite en termes élégants, ou au moins qu'elle n'interdit pas de bien écrire. Mais le propos lui-même n'est certes pas très concret...

Ce texte a un but principal : donner de la hauteur a François Hollande. En période de crise, la posture de "candidat normal", soit presque banal, est plus anxiogène que rassurante pour certains électeurs. François Hollande était d'autant plus gêné ces dernières semaines, que les débats sur l'accord électoral entre les socialistes et les écologistes a suscité des polémiques à répétition, auxquels Hollande comme ses fidèles au PS ont dû prendre part. Le candidat socialiste devait sortir de cette gangue, s'en extraire. 

N’est-ce pas là la marque d’une impuissance politique, d’un pouvoir décisionnel dont l’influence ne cesse de décroître face au pouvoir financier, et qui se rabat donc uniquement sur ce qu’il peut encore contrôler, c’est-à-dire sur les valeurs ?                                  

Tout s'est joué en 1983 à cet égard. Depuis le tournant de la rigueur et le ralliement des socialistes à une forme de libéralisme économique, les campagnes présidentielles se sont jouées sur des valeurs plus que sur des programmes : l'unité nationale en 1988, la justice sociale en 1995, la sécurité en 2002, le travail en 2007.

Dans sa tribune à Libération,François Hollande nomme la justice, qui est une valeur de gauche, mais insiste plus volontiers sur la "vérité", soit une valeur assez "transversale". Le ton du texte est volontiers lyrique, au point qu'on se dit que Ségolène Royal aurait pu le signer. Il est à la fois ferme sur des valeurs abstraites et peu précis sur le fond. Oui, décidément, il aurait aussi bien pu être écrit par Ségolène Royal... ou par François Bayrou ! 


Vous dites que Ségolène Royal aurait pu écrire ce texte. Est-ce à dire que le discours de gauche n’a pas évolué en cinq ans ou au contraire que l’ex-candidate était en avance sur son temps ?

Ségolène Royal a su en 2007 renouveler le discours de gauche, notamment en arrachant à la droite certains de ses thèmes, comme le patriotisme (elle s’inspirait ainsi de la "triangulation" théorisée par Tony Blair). Mais elle a échoué en 2007, sans doute parce que le parti n’était pas derrière elle et qu’elle agissait de manière plus intuitive que réfléchie.

Dans les années 1980-90, la gauche avait réussi à mener les débats en imposant ses valeurs, telles que la tolérance. La droite était dominée idéologiquement, y compris sous Jacques Chirac. Ce que l’on peut reconnaître à Nicolas Sarkozy – et ce pourquoi il restera dans l’histoire des droites quel que soit le résultat de 2012 – c’est qu’il a permis aux droites de l’emporter idéologiquement à partir de 2003-2004. Désormais le débat public tourne autour de la réduction de la dette, de la sécurité, de la fiscalité, etc. La gauche s’aligne sur ces thèmes.

Pour en revenir à la tribune de François Hollande, il est certain que le lecteur lambda n’en retiendra pas grand chose. Ce discours évoque irrésistiblement ceux d'hommes de gauche comme Édouard Herriot dans les années 1920-30 : par son lyrisme, ses qualités d'écriture et son absence de propositions précises.     

François Hollande avait-il de toute façon un autre choix que d’en rester à un manifeste sur ses valeurs plutôt que de développer des propositions politiques concrètes, sachant que Nicolas Sarkozy n’est pas encore entré en campagne ?

Le problème de François Hollande est que l'anti-sarkozysme cesse peu a peu d'être un levier avec la crise, et le "recentrage" de l'image présidentielle. Mais François Hollande dispose, en ce mois de janvier, d’une fenêtre de tir avant la déclaration de candidature de Nicolas Sarkozy. Il cherche à en profiter pour imposer ses thèmes de campagne dans le débat public, afin que la campagne présidentielle se fasse ensuite autour d'eux, et que Nicolas Sarkozy soit contraint de discuter les propositions socialistes.      

Mais les valeurs mises en avant par François Hollande sont trop générales et trop nombreuses - quatre, là où il ne faudrait en marteler que deux au maximum - pour lui permettre de réussir ce pari. C'est du moins mon analyse.

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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