Youssou N'Dour sera-t-il le Berlusconi sénégalais ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Culture
Youssou N'Dour sera-t-il 
le Berlusconi sénégalais ?
©

Le cavaliere de Dakar

Youssou N'Dour s'est déclaré ce lundi candidat à l'élection présidentielle sénégalaise. Le chanteur mondialement connu est à la tête de plusieurs médias dans son pays (son groupe Futurs médias détient la télévision TFM et la radio RFM, ainsi qu'un grand quotidien sénégalais). Et avec un certain penchant pour le bling-bling, Youssou N'Dour ressemble étrangement à un certain Cavaliere...

Joseph  Bemba

Joseph Bemba

Joseph Bemba est juriste, consultant international et président-fondateur du centre de recherche "Droit et Francophonie" d’Île-de-France.

Directeur de la collection "Justice Internationale" des Editions L'Harmattan, il est notamment l'auteur de Côte d'Ivoire : quelques réflexions d'ordre juridique  (L'Harmattan, 2011).

Voir la bio »

Youssou N'Dour se pose comme "l’alternative" au régime du président sortant, Abdoulaye Wade, âgé de 85 ans, élu en 2000 et réélu en 2007 pour cinq ans. Ce dernier se représente pour un nouveau mandat de sept ans, critiqué par l’opposition, après une modification de la Constitution rétablissant le septennat. L’élection compte  une vingtaine de candidats issus essentiellement de partis politiques et de la société civile. Le Conseil constitutionnel sénégalais devrait décider fin janvier 2012 de la validité des candidatures qu'il aura reçues.

La candidature de Youssou N’Dour semble plutôt bien accueillie. Ce qui paraît logique vu sa popularité nationale et internationale comme artiste. Elle souligne aussi la vitalité de la démocratie sénégalaise qui ouvre à ses citoyennes et citoyens, quelles que soient leurs origines et leurs situations sociales, la possibilité de briguer la magistrature suprême. La première question qui vient à l’esprit est celle de savoir si Youssou N’Dour a les qualités et les capacités nécessaires pour exercer la fonction de président de la République du Sénégal. L’intéressé y répond sans détour avec un brin de philosophie dans sa déclaration de candidature : " C'est vrai, je n'ai pas fait d'études supérieures, mais la présidence est une fonction et non un métier. J'ai fait preuve de compétence, d'engagement, de rigueur et d'efficience à maintes reprises. A l'école du monde, j'ai appris, j'ai beaucoup appris. Le voyage instruit autant que les livres ".

Mais la question qui semble la plus préoccupante est le fait que le candidat Youssou N’Dour détienne et contrôle Futurs Médias (RFM et TFM), l’un des plus grands groupes médias du pays. Dès lors, Youssou N'Dour est-il le nouveau Berlusconi africain ? Dans quelle mesure la possession et le contrôle de Futurs Médias pourraient-ils l’aider à accéder au pouvoir ? Cela pourrait-il mettre en danger la liberté d’expression dans le pays ? Quels pourraient en être les garde-fous ? La question de la possession et du contrôle de Futurs Médias est au centre de la candidature de Youssou N’Dour à l’élection présidentielle. Elle justifie que la présente analyse porte sur ce seul point particulier.

Futurs Médias devrait aider le candidat Youssou N’Dour à accéder au pouvoir

Youssou N’Dour est né en octobre 1959, à Dakar, dans le quartier populaire de la Médina, dans une famille nombreuse. Il est aujourd’hui l’un des artistes sénégalais les plus aimés au Sénégal et les plus connus au monde, l’une des personnalités les plus populaires dont la voix porte le plus au Sénégal. Très actif et entreprenant, il a créé à Dakar un studio et une société de production, ainsi qu’une société de micro-crédit. Il anime une fondation caritative et préside un mouvement citoyen créé en 2010, baptisé "Fekke ma ci bollé" ("Je suis là, donc, j'en fais partie" en langue nationale wolof). Mais surtout (et c’est le point qui nous intéresse le plus dans cette tribune), le candidat Youssou N’Dour détient et contrôle le groupe de presse Futurs Médias. Ce  groupe de presse dont il est le patron comprend une radio (RFM), une chaîne de télévision (TFM) et un quotidien. Tous ces médias bénéficient d’une large audience dans le pays, influencent de manière significative le quotidien des Sénégalais et sont souvent critiques envers le régime du président Abdoulaye Wade. De plus, à Dakar comme dans tout le pays, l’influence de Youssou N’Dour sur les médias est souvent jugée positive.

Les médias ayant un pouvoir redoutable, y compris en Afrique, le groupe Futurs Médias devrait aider, par son influence, le candidat Youssou N’Dour à accéder au pouvoir, même si l’on ne peut à ce stade préjuger du résultat des élections présidentielles. Toutes proportions gardées, le rôle des médias dans les élections (surtout présidentielles) en Afrique est essentiel, voire crucial. Il en est de même dans la vie quotidienne des Africains. Youssou N’Dour semble avoir compris tôt l’utilité des médias qu’il a créés dans ce projet présidentiel qu’il a muri discrètement. S’il avait laissé entendre qu’il se préparait à l’élection présidentielle, le président Wade aurait sans doute empêché ou freiné la création de Futurs Médias.

Danger de « berlusconisation »

Comme l’a écrit Montesquieu dans son célèbre ouvrage De l’esprit des lois, tout homme qui a du pouvoir a tendance à en abuser, expliquant l’utilité de la séparation des pouvoirs dans une démocratie moderne. Malgré la popularité et l’image positive dont il bénéficie en général, Youssou N’Dour n’échappe pas au danger de "berlusconisation", surtout dans l’éventuel exercice du pouvoir après l’élection présidentielle, c’est-à-dire, à la mise en danger de la liberté d’expression et de la démocratie, comme l’a fait Silvio Berlusconi en Italie, par exemple. Chacun sait comment l’ex-Cavaliere a usé et abusé des médias sous son contrôle pour mettre en danger la liberté d’expression et d’information, en muselant la presse d’opposition et la presse libre par l’intimidation ou des procès à répétition, le tout dans son intérêt personnel et partisan. Le parallèle pourrait être poussé jusqu’au côté "bling-bling" de Silvio Berlusconi. On peut y ajouter le fait que Youssou N’Dour ait choisi d’annoncer sa candidature à la présidentielle sur la radio et la télévision Futurs Médias (RFM et TFM), appartenant à son groupe de presse, alors qu’il aurait pu le faire sur les antennes de la télévision ou de la radio nationales sénégalaises pour mieux marquer sa neutralité. Cette attitude a quelque chose de "berlusconien".

Mais Youssou N’Dour est-il totalement comparable à Berlusconi ? Assurément non. Les deux hommes et leurs visions du monde ne sont pas les mêmes. Les contextes italien et sénégalais ainsi que les institutions ne sont pas les mêmes. Les rapports des médias à la politique ne sont pas tout à fait les mêmes. La liberté d’expression et d’information n’est pas garantie avec la même rigueur dans les deux pays, même si le Sénégal est une vitrine de la démocratie en Afrique. Les conséquences (exemple, incitation à la haine et à la violence par les médias) peuvent être plus dramatiques en Afrique. En témoigne notamment le rôle des médias dans l’élection présidentielle organisée les 31 octobre et 28 novembre 2010 en Côte d’Ivoire, marquée par de nombreuses violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire. C’est pourquoi, en toutes circonstances, des garde-fous doivent garantir la liberté d’expression et d’information.

Dans l’hypothèse où Youssou N’Dour serait élu président de la République du Sénégal, le garde-fou idéal pour préserver et garantir la liberté d’expression dans le pays serait pour lui de rompre avec les médias qu’il possède et contrôle et de renforcer la législation nationale relative à cette liberté. Ce choix difficile, mais nécessaire, serait démocratique et conforme à l’intérêt général. Bien entendu, les médias sénégalais devraient aussi se conformer à la législation internationale relative à la liberté d’expression et notamment à la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies 59 (I) (1946), qui déclare que la liberté d’information, droit de l’homme fondamental est " impérativement subordonnée à la volonté et à la capacité de jouir des privilèges qu’elle confère sans en abuser et, à titre de discipline élémentaire, à l’obligation morale de rechercher des faits sans parti pris et de répandre des connaissances sans intention malveillante"Le cas échéant, il appartiendra à Youssou N’Dour, Président, d’être ou de ne pas être le nouveau Berlusconi africain.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !