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Apple et Google contre le FBI : bienvenue dans un monde où les Etats ne sont plus que des acteurs parmi d’autres (mais faut-il s’en réjouir ou en pleurer?)
©Reuters

Jeux de pouvoir

Apple a engagé il y a quelque jours un bras de fer avec les autorités américaines en refusant de leur donner l’accès au contenu de l’iPhone de l'un des terroristes de San Bernardino.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Laurent Alexandre

Laurent Alexandre

Chirurgien de formation, également diplômé de Science Po, d'Hec et de l'Ena, Laurent Alexandre a fondé dans les années 1990 le site d’information Doctissimo. Il le revend en 2008 et développe DNA Vision, entreprise spécialisée dans le séquençage ADN. Auteur de La mort de la mort paru en 2011, Laurent Alexandre est un expert des bouleversements que va connaître l'humanité grâce aux progrès de la biotechnologie. 

Vous pouvez suivre Laurent Alexandre sur son compe Twitter : @dr_l_alexandre

 
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Soutenu par Google, le fondateur de Whats App ou encore Edward Snowden, Apple a engagé il y a quelque jours un bras de fer avec les autorités américaines en refusant de leur donner l’accès au contenu de l’iPhone de l'un des terroristes de San Bernardino. Ce faisant, Apple semble montrer une nouvelle fois que les géants du web ont aujourd’hui atteint un niveau de puissance leur permettant de tenir tête à la première puissance mondiale.

Atlantico : Quels sont les risques de connaître un monde où les Etats parleront d’égal à égal avec des entreprises ? Sommes-nous lancés dans une dynamique irréversible et mondiale de réduction du rôle de l’Etat ? Quelles en sont les conséquences ?

Bertrand Vergely : Il faut être clair : il n’y aura jamais de relation d’égal à égal entre des géants mondiaux de l’entreprise et les États. Soit les États seront les plus forts, soit ce seront les géants de l’entreprise. Pour l’instant, les géants mondiaux de l’entreprise sont plus puissants. En témoigne le fait qu’un Apple a plus de trésorerie que les États-Unis. Toutefois, plutôt que d’en abuser, ils préfèrent contrôler les États de l’extérieur en ayant affaire à des États qui leur sont favorables plutôt que de remplacer ces mêmes États en se chargeant de tout ce dont ceux-ci se chargent. Nous sommes effectivement confrontés à une faiblesse croissante des États et du politique, faiblesse qui n’ira qu’en augmentant : les États cherchant de plus en plus à se désengager du champ social qui est de plus en plus difficile à gérer et à financer. Les conséquences de cela vont être une crise de plus en plus profonde de la société, celle-ci étant livrée à elle-même dans une absence de plus en plus accentuée de repères.

Laurent Alexandre :C’est la première fois que des entreprises sont aussi puissantes qu’Apple ou Google. Une société comme Google devient une puissance géopolitique en plus de formater nos cerveaux puisque c’est bien Google qui organise l’information que nous consommons. Le monde politique n’est pas préparé a réguler les géants du numérique, qui envahissent aujourd’hui bien d’autres secteurs que le Web.

Bill Gates (fondateur de Microsoft) et l’homme d’affaires Warren Buffett ont déshérité leurs enfants pour réaliser une couverture vaccinale en Afrique jusqu’alors jugée impossible. Paul Allen, le cofondateur de Microsoft, a industrialisé la génétique du cerveau. En novembre, Mark Zuckerberg (fondateur de Facebook), qui sera bientôt l’homme le plus riche du monde, a annoncé qu’il consacrerait 99 % de sa fortune à promouvoir l’éducation personnalisée, les innovations médicales et l’égalité sociale. Elon Musk (fondateur de Tesla, SpaceX et SolarCity) vient de lancer une fondation destinée à développer l’intelligence artificielle. 

Face à la déferlante de la Silicon Valley, l’Etat est sidéré et piétine à la vitesse du Conseil d’Etat. Il est urgent de rénover le pilotage démocratique, devenu prisonnier de la tyrannie du court terme, qui se révèle incapable de penser la révolution NBIC. Si les états ne se modernisent pas, leur pouvoir va baisser face aux entreprises maitres des NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et Sciences Cognitives). La conséquence la plus importante concerne l’Europe qui ne possède aucun géant du numérique. Les USA et dans une moindre mesure la Chine contrôlent tout cet écosystème. Nous risquons d’assister à un déclin du continent européen.

Cette perspective d’un monde dans lequel de grandes entreprises échappent à la domination des Etats est-elle une bonne nouvelle pour les individus ? Qu’y gagnent-ils et qu’y perdent-ils ?

Bertrand Vergely : Il faut être clair là encore : il n’y aura jamais de liberté totale des grandes entreprises à l’égard de l’État. Cette liberté totale n’est pas dans leur intérêt. Les géants de l’entreprise ont besoin d’une adresse et de ce fait d’une nationalité. Ils ont besoin d’apparaître comme fréquentables en ayant une image leur donnant une visibilité sociale acceptable.

Ils seront de ce fait d’autant plus puissants qu’ils se garderont de jouer la carte de la toute-puissance en effrayant le monde. En conséquence de quoi, dans la mise en place de leur l’hyper-pouvoir, il n’y aura aucune bonne nouvelle pour les individus qui seront et resteront avant tout des consommateurs, dont les géants de l’entreprise attendront qu’ils consomment en dépensant un maximum d’argent afin d’augmenter encore leur trésorerie. Grâce à cela, en prêtant de l’argent aux États, afin qu’ils financent l’aide sociale, ces géants feront ce qu’ils veulent, sans que cela se sache. Ils feront croire aux individus qu’ils sont libres en leur permettant de jouer à la démocratie à travers une démocratie digitale mondialisée qui donnera à ces mêmes individus l’impression qu’ils ont du pouvoir ainsi qu’un impact sur le monde. Ils n’en auront en réalité aucune ou pour des choses qui ne coûtent pas cher comme créer toutes sortes buzz.

Laurent Alexandre : Les individus sont face à deux risques : la prise de contrôle de leur données et donc de leur vie par les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) et  la surveillance généralisée par les États de leur patrimoine électronique dont l’ampleur a été révélée par Snowden. 

Personnellement j’ai plus confiance dans Apple que dans la NSA. Tim Cook, le président d’Apple, vient de  publier un document pour justifier sa position : le décryptage demandé par la justice et le gouvernement américains pourra être utilisé sur n’importe quel IPhone ultérieurement. Nous n’aurions plus aucun secret pour le gouvernement. Les entreprises sont plus honnêtes que les États.

Des entreprises comme Google ou Apple sont lancées dans la recherche sur le transhumanisme visant à atteindre l’immortalité. Par ailleurs, des personnalités comme Elon Musk lancent de grands projets comme la colonisation de Mars. Ces initiatives peuvent avoir pour conséquence une transformation radicale de la vie humaine. N’y a-t-il pas des limites à fixer et qui doit les fixer ? Certaines activités stratégiques (énergie, armement etc.) étaient jusqu’à présent contrôlées par des Etats…

Laurent Alexandre : Après avoir colonisé le cybermonde, les GAFA (Google, Apple,  Facebook, Amazon) prennent des positions fortes en robotique, intelligence artificielle, génétique, nano­technologies.  Et Elon musk s’apprêtent à se lancer dans l’exploration spatiale. Certaines sociétés de la silicon Valley s’intéressent aussi à la fusion nucléaire. On voit que ces sociétés prennent des positions dans des secteurs ultra-stratégiques et empiètent sur les prérogatives traditionnelles des États.  Les entreprises du numérique sont allées plus vite que les États pour comprendre l’évolution technologique. Les États doivent maintenant tenter de les réguler !

Bertrand Vergely : Là encore, la stratégie de ces géants est maline. Que font-ils ? Dans un premier temps, ils font de la com’ en faisant rêver les foules. Fin de la mort. Conquête de Mars. Dans un deuxième temps, ils mettent en place des programmes de recherche pour réaliser ces programmes mirifiques. En troisième lieu, ils exploitent les retombées de ces recherches. Ici, ils exploitent la fabrication d’organes artificiels afin de parvenir à la fin de la mort ; là, ils exploitent de nouvelles techniques de communication à grande distance ou bien encore de construction spatiale. En quatrième lieu, ils vendent fort cher aux États ces organes artificiels ou ces nouveaux appareils. Ils les commercialisent en tirent de ce fait de profits juteux permettant d’augmenter encore la trésorerie et de posséder des quantités faramineuses de l’argent mondial en circulation.

Avec la mondialisation il existe une forme de compétition entre les Etats pour attirer les entreprises. Comment cette limitation peut-elle donc concrètement se matérialiser ?

Bertrand Vergely : Les géants de l’entreprise ne sont pas bêtes. Présents aux États-Unis où ils sont chez eux en jouissant d’une protection totale, ils n’ont nullement comme projets d’aller s’installer à l’étranger. Et quand ils vont à l’étranger c’est en général pour y installer des filiales qui augmentent leur surface ou bien encore racheter des entreprises, ce qui augmente encore leur pouvoir. De fait, ce ne sont pas les États qui décident qui va venir chez eux. Ce sont les géants de l’entreprise qui font ce qu’ils veulent, quand ils le veulent et où ils le veulent.

Laurent Alexandre : La régulation des GAFA va être compliquée. Ils sont puissants et disposent de nombreux lobbyistes. Par ailleurs, leur puissance est un atout essentiel pour l’Amérique dans la future rivalité technologique et stratégique avec la Chine. Les USA préfèreront les réguler peu plutôt que de les affaiblir au risque que les géants chinois du numérique ne deviennent leader par exemple dans le domaine de l’intelligence Artificielle.

La compétition mondiale va freiner la régulation. Cette régulation pourrait aller jusqu’à faire éclater les géants du numérique. Le journal britannique The economist envisageait le démantèlement de Google dans un futur proche. Faudra-t-il aller jusque la et les GAFA se laisseront ils démanteler ?

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