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Comment la rencontre entre Pétain et Verdun s'est doublée d'un (vrai) coup de foudre amoureux...
©DR

Bonnes feuilles

Du 21 février au 19 décembre 1916, les armées françaises et allemandes s’affrontent à Verdun. Écrite par deux grands historiens de la Grande Guerre, l’un allemand, l’autre français, cette histoire de la plus célèbre des batailles est la première à croiser les deux points de vue. Verdun a été la bataille la plus longue, la plus dévastatrice et la plus inhumaine de la Première Guerre mondiale. Extrait de "Verdun 1916" d'Antoine Prost et Gerd Krumeich, aux éditions Tallandier (extrait 2/2).

Gerd Krumeich

Gerd Krumeich

Gerd Krumeich, vice-président du comité directeur du Centre de recherche de l’Historial de Péronne, est l’auteur du Feu aux poudres. Qui a déclenché la guerre en 1914 ?,élu meilleur livre d’histoire 2014 par le magazine Lire.

 

 

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Antoine Prost

Antoine Prost

Antoine Prost, président du conseil scientifique de la Mission du Centenaire et de celui du Mémorial de Verdun, est l’auteur de très nombreux ouvrages reconnus, dont Jean Zay, le ministre assassiné (Tallandier, 2015). 

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La révélation de Pétain

Verdun fait de Pétain un autre homme, en effet. D’abord, pure coïncidence, il est envoyé à Verdun au moment même où il retrouve Eugénie Hardon, qu’il épousera en 1921. Elle a vingt ans de moins que lui, et un projet de mariage avec elle avait avorté quinze ans plus tôt. Ils nouent à la fin de janvier 1916 une relation passionnée. C’est avec elle qu’il passait la nuit du 24 au 25 février, quand Serrigny le cherchait pour lui dire que Joffre l’avait convoqué à Chantilly le lendemain à 8 heures. Pétain prend d’infinies précautions pour que cette relation reste ignorée, retrouvant Eugénie hors de Verdun, et sans faire mine de la connaître s’il est accompagné. Le sexe et le sentiment pouvant aller de pair, peu importe lequel l’emportait chez Pétain alors que la bataille faisait rage, mais ils semblent tous deux très forts, même si Eugénie s’inquiète de sa fidélité.

Les lettres, fréquentes, que Pétain lui adresse ne laissent aucun doute : "Ta lettre du 18 [mars] reçue ce matin me dit des choses. Tu ne peux imaginer les frissons que j’ai éprouvés en me retrouvant dans tes bras. Oui, je l’avoue, j’aime aussi ta chair. Le souvenir de tes caresses me fait défaillir". Plus que ces enjeux privés, c’est la figure publique du général qui se transforme. Lui qui fuyait les journalistes se trouve sous le feu des projecteurs. Dans les premières semaines de la bataille, la presse parle peu de lui : les journalistes n’ont pas encore de fiches le concernant. Mais il devient célèbre : le 11 mars, par exemple, il a les honneurs de L’Illustration, qui le montre en couverture marchant dans une rue et publie en pleine page son portrait en couleurs. C’est déjà le Pétain de 1940, avec sa moustache, ses cheveux blancs et surtout son regard d’acier, comme disent les commentateurs. Son comportement change. Il accueille ses nombreux visiteurs et les invite volontiers à sa table. À Eugénie, il écrit le 19 mars : "C’est toute la journée, des ministres, des parlementaires, des officiers étrangers qui défilent chez moi. Si tu voyais avec quelle indifférence j’écoute leurs boniments. Je reçois des lettres dans toutes les langues ; j’en remets la centaine à plus tard…" Et le lendemain : "J’ai reçu aujourd’hui un tas de parlementaires qui m’ont fatigué à l’excès".

Malgré ces dénégations, Pétain est flatté de l’intérêt qu’il suscite. Le 5 mars, de Barescut, qui travaille quotidiennement avec lui, note déjà : "Il en est très mécontent et un peu flatté". Le 19, la célébrité acquise se fait davantage sentir, alors que la situation est moins critique et que Pétain a revu Eugénie, ce qu’ignore Barescut : "Le général Pétain qui avait été très pessimiste devient très optimiste. Sa joie est celle d’un enfant. Il est si content d’être célèbre, de voir et de savoir qu’on parle de lui, de voir sa photographie reproduite dans les journaux, lui qui n’a jamais [un blanc] voulu se faire photographier". Quelques jours plus tard, les flatteurs ont eu raison de la modestie du général.

Barescut, témoin d’un échange surprenant, en est affecté : "Ce matin, Flameng était à table. Le général lui a dit qu’il voulait se présenter à l’Académie française, et Flameng de lui dire que ce serait un grand honneur pour l’Académie. Voilà où nous en sommes !" Bref, "le général Pétain est très fier de sa notoriété, de recevoir des lettres de toute sorte ; il en parle souvent. C’est la gloire". Il se préoccupe désormais de ne pas être inférieur à sa réputation et se soucie de son image. La construction du statut symbolique de Verdun va ainsi de pair avec celui de Pétain. Le premier mois de Verdun a donné naissance au Pétain de 1917, de l’entre-deux-guerres et de Vichy.

Extrait de "Verdun 1916" d'Antoine Prost et Gerd Krumeich, publié aux éditions Tallandier, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

>>>>> Lire aussi : Verdun, symbole d’un patriotisme terrien et défensiste, pour lequel gagner est regagner ce que l’on a perdu

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