Verdun, symbole d’un patriotisme terrien et défensiste, pour lequel gagner est regagner ce que l’on a perdu<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Histoire
Verdun, symbole d’un patriotisme terrien et défensiste, pour lequel gagner est regagner ce que l’on a perdu
©

Bonnes feuilles

Du 21 février au 19 décembre 1916, les armées françaises et allemandes s’affrontent à Verdun. Écrite par deux grands historiens de la Grande Guerre, l’un allemand, l’autre français, cette histoire de la plus célèbre des batailles est la première à croiser les deux points de vue.Verdun a été la bataille la plus longue, la plus dévastatrice et la plus inhumaine de la Première Guerre mondiale. Extrait de "Verdun 1916" d'Antoine Prost et Gerd Krumeich, aux éditions Tallandier 1/2

Gerd Krumeich

Gerd Krumeich

Gerd Krumeich, vice-président du comité directeur du Centre de recherche de l’Historial de Péronne, est l’auteur du Feu aux poudres. Qui a déclenché la guerre en 1914 ?,élu meilleur livre d’histoire 2014 par le magazine Lire.

 

 

Voir la bio »
Antoine Prost

Antoine Prost

Antoine Prost, président du conseil scientifique de la Mission du Centenaire et de celui du Mémorial de Verdun, est l’auteur de très nombreux ouvrages reconnus, dont Jean Zay, le ministre assassiné (Tallandier, 2015). 

Voir la bio »

Résumée en quelques phrases et quelques dates, l’histoire de cette bataille semble simple. Le 21 février 1916, après une préparation d’artillerie massive, les Allemands attaquent les lignes françaises au nord de Verdun, sur la rive droite de la Meuse ; ils progressent de 8 km et occupent le fort de Douaumont le 25. La défense française se réorganise alors sous le commandement du général Pétain ; des renforts lui permettent de colmater provisoirement les brèches.

Les 6‑7 mars, les Allemands attaquent en tenailles, d’une part sur la rive gauche de la Meuse, d’autre part à l’est de Douaumont, en direction du fort de Vaux. Les combats font alors rage pendant un peu plus d’un mois. Le 11 avril, le front français, qui a reculé, s’établit sur une ligne d’une vingtaine de kilomètres, d’Avocourt (à l’ouest) jusqu’à Damloup (à l’est), en passant par la cote 304 (conservée) et le Mort-Homme (perdu) sur la rive gauche, le village de Fleury et le fort de Vaux sur la rive droite. La 2e armée, qui tient le front de Verdun, est alors forte de 24 divisions d’infanterie (DI). À sa tête, Pétain, qui prend le commandement du Groupe d’armées du Centre (GAC) le 1er mai, est remplacé par Nivelle, jugé plus agressif. Pendant le mois qui suit, attaques et contre-attaques se succèdent des deux côtés, sans grand changement. Les 7‑8 mai, à l’ouest, les Allemands tentent de prendre la cote 304, et les Français, le fort de Douaumont le 24 mai ; puis les Allemands, sachant que les Alliés préparent ailleurs une grande offensive, lancent une attaque qu’ils espèrent décisive. Dans un premier temps, ils prennent le fort de Vaux le 8 juin, puis le village de Fleury et l’ouvrage de Thiaumont ; dans un second temps, le 23 juin, ils progressent jusqu’aux abords immédiats du fort de Souville. Ils ne sont plus qu’à 4 km de la ville. L’offensive alliée sur la Somme le 1er juillet diminue leur pression mais ils attaquent une dernière fois le 11 juillet, sur un front plus étroit. La bataille se termine alors pour les Allemands, avec le remplacement du commandant en chef, Falkenhayn, par Hindenburg et Ludendorff. Pour les Allemands, la bataille de Verdun est terminée.

Pour les Français, elle se poursuit jusqu’à la reconquête du terrain perdu. Il y a là comme une seconde bataille de Verdun, française celle-ci, aussi minutieusement préparée que la bataille allemande de février, et aussi efficace. Dans une première phase, le fort de Douaumont est repris le 24 octobre, et le fort de Vaux réoccupé le 4 novembre. Une ultime offensive, lancée le 15 décembre, repousse les Allemands sur un front voisin de ce qu’il était avant la bataille sur la rive droite. Mais les Français ne cherchent pas à reprendre, sur la rive gauche, le Mort-H omme et la cote 3041 qui restent aux mains des Allemands. Auréolé de ce succès, Nivelle succède à Joffre au Grand Quartier général (GQG). On retire du front de Verdun des divisions et des batteries entières. Fin de partie.

Ce bref résumé met en évidence un point capital : les batailles sont des faits historiques socialement construits. Leur délimitation dans le temps et dans l’espace résulte de choix que l’on peut interroger. Dans le temps, les deux adversaires ne se sont pas entretués à Verdun seulement en 1916. La ville a joué un rôle charnière dans la bataille de la Marne ; les combats se poursuivent en 1917, notamment pour reprendre 304 et le Mort-Homme, puis c’est en septembre 1918 la grande offensive américaine en direction de l’Argonne. Dans l’espace, les Éparges au sud-est et Vauquois à l’ouest ne sont qu’à une vingtaine de kilomètres de Verdun, et les combats y ont fait rage pendant l’année 1915. Les Éparges faisaient en outre partie de la Région fortifiée de Verdun (RFV) dont le front ne s’arrêtait vers le sud qu’à quelques kilomètres de Saint-Mihiel. Pétain commandait l’ensemble de ce front.

Ces choix géographiques et chronologiques font ressortir le contraste entre les significations que Français et Allemands donnent à la bataille. Vue du côté allemand, cette bataille est une grande offensive comme il y en eut beaucoup, de part et d’autre : un engagement massif d’hommes et d’artillerie, un grand espoir de succès et celui de déboucher ainsi sur la paix, puis une rapide déception devant un enlisement qui se prolonge. C’est le scénario de l’offensive française de septembre 1915 en Champagne, ou celui de la Somme en 1916. Les Français, en revanche, construisent leur bataille de Verdun de telle sorte qu’elle se termine après la reconquête de Douaumont et de Vaux : elle devient ainsi une métaphore de toute la guerre, d’une guerre qui ne peut se terminer qu’après la reprise du terrain perdu en 1914 mais aussi en 1871. Verdun, symbole d’un patriotisme terrien et défensiste, pour lequel gagner est regagner ce que l’on a perdu.

Extrait de "Verdun 1916" d'Antoine Prost et Gerd Krumeich, publié aux éditions Tallandier, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !