La nouvelle ministre de la culture confrontée au retour du serpent de mer de la réforme de l’assurance chômage des intermittents du spectacle<!-- --> | Atlantico.fr
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La nouvelle ministre de la Culture, Audrey Azoulay, a passé huit ans au CNC, elle est donc issue du sérail culturel, contrairement à Fleur Pellerin.
La nouvelle ministre de la Culture, Audrey Azoulay, a passé huit ans au CNC, elle est donc issue du sérail culturel, contrairement à Fleur Pellerin.
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Clientèle électorale

Le dossier épineux des intermittents va-t-il être le baptême de feu de la nouvelle ministre de la culture ? Le patronat vient de mettre de l’huile sur le feu en annonçant vouloir neutraliser le surcoût, estimé à 200 millions d’euros, engendré par le régime spécifique des intermittents du spectacle qui concerne 150 000 bénéficiaires.

Josée Pochat

Josée Pochat

Josée Pochat est chef du service politique de Valeurs actuelles.

 

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Va-t-on assister à un nouveau bras de fer entre le gouvernement et le monde de la culture comme en 2014 ? 

Josée Pochat : C’est avant tout son manque d’autorité qui affaiblit l’exécutif qui n’est jamais capable de taper du poing sur la table. Sur le dossier des intermittents du spectacle, on connait le scénario par coeur avec leur menace récurrente de faire grève et de torpiller le festival d’Avignon. Mais les véritables acteurs du dossier, ce sont les partenaires sociaux qui tous les trois ans renégocient les conditions d’indemnisation des chômeurs. Et les intermittents représentent 150 000 chômeurs sur les 5 millions inscrits en catégorie de A à C et à eux-seuls ils représentent 1 milliards des 4 milliards de déficit annuel de l’assurance chômage. Ce sont eux qui cotisent le moins qui sont servis le plus. De toute façon il n’y a jamais de bons moments. Mais aujourd’hui, le déficit global de l’UNEDIC va atteindre à la fin de l’année la somme abyssale de 30 milliards. En 2012, le rapport de la Cours des comptes titrait «Le régime des intermittents du spectacle, la persistance du dérive massive ». Tout est dit.

Eric Verhaeghe : A moins que Manuel Valls (ou François Hollande) n'interviennent personnellement en amont pour désamorcer la crise, on voit mal comment le problème pourrait être évité. Rappelons ici que les intermittents contestent l'existence du surcoût qu'on leur impute et soutiennent même que l'application des règles de droit commun leur serait plus favorable. Ils n'en sont pas à un paradoxe près, puisque les intermittents adorent soutenir, dans le même raisonnement, qu'ils doivent bénéficier de la solidarité et qu'en même temps ils en sont les victimes! Sur le fond, c'est Manuel Valls qui était intervenu en 2014 pour assouplir les mesures que les partenaires sociaux avaient prises en ce sens. On ne serait pas à une contradiction près. Aujourd'hui, on vit sur le mythe embrouillé selon lequel le régime des intermittents est indispensable à la culture en France. Nous sommes le seul pays qui pense que la culture passe par des subventions aux chômeurs. Personne n'ose évidemment dire la vérité: depuis que la culture est une politique publique, le rayonnement de la culture française s'éteint. Depuis l'arrivée de Jack Lang rue de Valois, la France n'a plus produit aucun artiste de renommée mondiale, et le marché de l'art s'éloigne de la France. Cherchez l'erreur!

Après les profs, le gouvernement risque de se mettre à dos le monde de la culture à quelques mois des présidentielles, c’est encore la base électorale du ps qui s’effrite… L'exécutif peut-il prendre ce risque politique dans la situation actuelle ?

Eric Verhaeghe : L’exécutif fait aujourd'hui un calcul totalement suicidaire. Hollande est convaincu qu'il sera le seul candidat de gauche au premier tour, en dehors de Mélenchon qui ne pèse même plus 5%. Il ne fait donc plus d'effort pour rassembler à gauche, mais a décidé de piéger la droite en proposant des textes qui la mettent en difficulté. Soit la droite les vote, et elle se compromet, tout en permettant à Hollande de mordre sur ses voix. Soit la droite les refuse, et Hollande pourra reprocher le jour j à son adversaire son manque de cohérence. Dans tous les cas, on voit bien que le discours qui se met en place est celui du rassemblement et de la main tendue à droite pour le second tour, sans trop se soucier des gens de gauche. Cette démarche a une logique: si Hollande affronte Marine Le Pen au second tour, il pourra revendiquer un libéralisme compatible avec une bonne partie de l'opinion de droite. C'est sa seule façon de convaincre les électeurs de droite de voter Hollande plutôt que Le Pen. Dans ce cas de figure, Hollande part du principe que les voix de gauche lui seront acquises.

La création d’un fond de soutien à l’emploi culturel prévu pour juillet 2016 ne pourrait-il pas apaiser les tensions ? Sinon, quelles autres pistes existent ?

Josée Pochat : En France, on considère qu’indemniser les chômeurs doit servir à financer une politique culturelle. On doit cesser de mélanger les genres. L’assurance chômage n’est pas faite pour subventionner la culture. Il faut distinguer ces deux sujets et ne pas les mettre sur un pied d’égalité. On parle de deux choses différentes. C’est au ministère de la Culture de financer éventuellement avec le budget qui est le sien un fond culturel. Et l’indemnisation des chômeurs est un autre sujet.

Mais dès que le dossier sur les intermittents revient sur la table, les personnalités du monde de la culture montent au créneau et dénoncent l’injustice des mesures en martelant qu’elles visent les plus précaires. C’est faux. Le statut des intermittents pose deux problèmes majeures qu’il faut absolument résoudre. Le premier problème est posé par la fameuse « annexe 8 » qui concerne des métiers qui n’ont absolument rien à voir avec le monde du spectacle comme les coiffeurs, comptables, tapissiers, stylistes, maçons… Lorsqu’ils arrivent à Pôle emploi, ils se définissent par leur statut d’intermittents du spectacle et non par leur métier. Et lorsque les conseillers de Pôle emploi leur proposent des offres en rapport avec leurs spécialités, ils refusent pour ne pas perdre leur statut d’intermittent, plus avantageux que le régime général. L’autre problème à régler c’est la situation des « permittents »: qui vient de la contraction entre le permanent et l’intermittent.

Le phénomène est tellement massif qu’on a du inventer un mot pour désigner ces personnes qui ont le statut d’intermittent du spectacle mais qui sont employées depuis des années par un seul et même employeur. Il y a une fraude généralisée. Prenons un exemple réel de quelqu’un qui travaille dans une société de production et qui touche 3000 euros par mois. La société de production lui verse 2000 euros net par mois du 1er au 20 de chaque mois et du 20 au 30, Pôle emploi lui verse 1000 euros. Mais en réalité elle travaille le mois entier pour la société de production. C’est donc de l’argent détourné. C’est le cas en radio et en télé où pendant la période des grilles d’été, les contrats des intermittents s’arrêtent et c’est Pôle emploi qui leur rémunèrent leurs vacances. Il y a un exemple célèbre, celui de Stéphane Guillon qui s’est fâché avec France Inter après 7 ans de collaboration. Les prudhommes ont requalifié ses contrats en CDI et Radio France a été condamnée à verser 212 000 euros à Pôle emploi qui payait indument les vacances de l’humoriste. Le problème c’est que ce système est utilisé à grande échelle dans les radios, les télévisons, les sociétés de production ce qui leur permet de vendre leurs programmes à des prix dérisoires. Ce n’est donc même plus de la culture que Pôle emploi finance mais de la sous-culture ! Peut-on encore se permettre cela? Jusqu’où va-t-on aller ? Est ce que 30 milliards de déficit ne suffisent pas?

Eric Verhaeghe : Le bon sens devrait d'abord consister à se demander si oui ou non la culture française a besoin de financer les intermittents. La culture française rayonne-t-elle plus depuis que le régime des intermittents existe? Je ne crois vraiment pas, et on peut même préjuger du contraire: le régime des intermittents attire, grâce à ses bons soins, des gens qui n'ont aucun talent mais qui peuvent vivoter en se livrant à quelques impostures artistiques et en insultant le système qui les fait vivre. En outre, il permet à des majors de dégager d'importantes marges de profit en reportant le coût de la précarité sur le smicard qui travaille à l'usine. Dans la culture comme dans d'autres domaines, la "solidarité" est la meilleure arme que le grand capital utilise pour tenir la base et saigner les classes moyennes, tout en préservant ses profits. Le bon sens serait de demander aux entreprises culturelles de financer leur propre régime d'indemnisation, s'il est plus favorable que le régime ordinaire.

La nouvelle ministre de la Culture, Mme Azoulay, a passé huit ans au CNC, elle est donc issue du sérail culturel, contrairement à Fleur Pellerin. N'est-elle pas mieux armée pour parler avec les partenaires sociaux lors des futures négociations de l’assurance-chômage qui auront lieu au printemps prochain ?

Josée Pochat : Pour comprendre le dossier des intermittents, a-t-on besoin  de faire parti du milieu de la culture ou d’avoir faire l’ENA? Non, la seule chose dont on a besoin c’est de courage politique. C’est le seul enjeu. 

Eric Verhaeghe : C’est précisément ce qu'on va vérifier dans les semaines à venir. Dans la pratique, il ne suffit pas d'avoir passé 8 ans dans une structure, ni de venir d'un sérail, pour savoir négocier avec ce sérail. Mais, permettez-moi de dire que vous posez mal la question. Il faut redire ici que la convention assurance chômage concerne tous les salariés, parce que les ressources de l'UNEDIC sont uniques, sans intervention de l'Etat, et prélevées sur l'ensemble des entreprises qui ont des salariés. L'intervention des pouvoirs publics dans ce dossier est une aberration pure. On voit mal au nom de quel principe de solidarité farfelue le gouvernement impose des mesures spécifiques pour des populations spécifiques, qui bénéficient d'une différence de traitement qu'aucune raison autre que les intérêts particuliers ne justifie. 

Comment expliquez-vous que depuis des décennies qu’aucun ministre de la Culture ne se soit attaqué de front à ce problème ? 

Josée Pochat : C’est peut-être une manière de ménager les intérêts des chaines de télévisions et des producteurs d’émissions de télé et de radio. Mais il y a un moment où il faut mettre les pieds dans le plat. Et celui qui peut se permettre de le faire en ce moment c’est le MEDEF.  On arrive à un stade où les charges qui pèsent sur les entreprises tuent à petit feu l’économie française. Que cela soit sur les prélèvements sociaux, les retraites, l’assurance chômage, on joue uniquement sur le levier des cotisations et sur aucun autre. Le régime français des cotisations chômage est le plus généreux au monde. On commence à être indemnisé au bout de 4 mois de travail. La personne au chômage est indemnisée particulièrement rapidement, particulièrement longtemps et à un niveau particulièrement élevé. Conséquence de cette générosité subventionnée : le déficit est massif. Toutes ces charges pèsent sur les entreprises et sont à l’origine du manque de compétitivité de l’économie françaises. L’entourage de Pierre Gattaz laisse entendre que le MEDEF pourrait dire stop et refuser de signer un accord laxiste. A suivre. 

Eric Verhaeghe : Pour deux raisons évidentes! La première est que c'est un dossier glissant où il n'y a que des coups à se prendre de la part des artistes ou des gens qui se prétendent tels. La seconde est que le régime des intermittents est une subvention indirecte de toutes les entreprises au secteur de la culture, qui se montre très ingrat. Prenez l'exemple de Radio France. Cette radio de service public est l'un des principaux consommateurs d'intermittents du spectacle. Que n'y entend-t-on pas sur les horreurs de l'entreprise? Un Daniel Mermet, par exemple, est spécialiste de la commisération hypocrite sur la méchanceté des entrepreneurs, mais il serait intéressant de savoir combien d'intermittents financés par ces entrepreneurs il a employé au cours de sa carrière. Quel ministre va s'exposer à sa colère en dénonçant le système? Combien d'artistes adorent cracher sur les entreprises et les employeurs? Combien d'artistes vivent pourtant grâce à ces horribles patrons tant vilipendés? Pourquoi diable un ministre de la Culture irait-il saper, dans ces conditions de risque, un système qui lui permet d'abonder son budget sans passer par Bercy?

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