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Aveu de faiblesse ? Quand Israël entreprend de renouer les liens avec un très vieil allié : la communauté juive américaine
©Reuters

Diaspora

Malgré le désenchantement d'une partie de la diaspora juive, le gouvernement israélien cherche à reconquérir une partie des Juifs américains, sur fond d'échec de sa politique internationale.

David Elkaïm

David Elkaïm

David Elkaïm est fonctionnaire détaché au ministère des Affaires étrangères, chargé de conférences à Sciences Po Paris et chercheur au CF2R. Il est notamment l'auteur aux côtés de Eric Dénécé de l'ouvrage Les Services secrets israéliens (Tallandier, 2014).

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Atlantico : On peut sentir outre-Atlantique une certaine désaffection des Juifs américains, particulièrement parmi les jeunes générations, envers Israël. Peut-on imputer ce revirement à la politique du gouvernement de Netanyahou, qui cherche par ailleurs à reconquérir la partie la plus libérale (et majoritaire) de la communauté juive aux Etats-Unis ?

David Elkaïm : Je ne parlerais pas nécessairement de désaffection. En effet, les liens entre les Juifs américains et Israël restent forts : les communautés juives américaines organisent énormément d’activités en Israël (camps de vacances, tourisme, visites d’études, etc.), il y a beaucoup de jumelages entre universités, des bourses d’études, etc. 

Il y a peut-être néanmoins une forme de "désenchantement", dans une partie au moins de la diaspora : la dureté de la société israélienne qui n’a plus grand-chose à voir avec l’idéal du kibboutz, les tensions avec la minorité arabe d’Israël et la société civile du "camp de la paix", la présence de personnalités controversées au Gouvernement, la persistance de l’occupation, la non résolution du conflit avec les Palestiniens et, plus largement, les orientations diplomatiques du Gouvernement actuel sont critiquées ouvertement.

Traditionnellement proche du parti démocrate, porteuse de l’héritage de la lutte contre la ségrégation et en faveur des droits des minorités, dans le sillage du Civil rights movement, la partie la plus "progressiste" de la communauté juive américaine reste attachée à Israël mais, par certains aspects, "ne la reconnaît plus"…

Le rapprochement entre les Etats-Unis et l’Iran ne constitue-t-il pas un échec pour l’actuel Gouvernement israélien, qui semble perdre un soutien majeur pour sa géopolitique ? Est-ce pour autant dommageable pour les intérêts à long terme des Israéliens ?

Il me parait incontestable que c’est un échec personnel pour le Premier ministre qui n’a eu de cesse d’appeler la communauté internationale à la fermeté et de dénoncer la duplicité (selon ses termes) du régime iranien, les violations des Droits de l’Homme dont il s’est rendu, et se rend encore, coupable, son soutien à des mouvements terroristes, etc. Il a même agité à plusieurs reprises la menace d’une intervention militaire contre les sites nucléaires iraniens. Il faut dire que l’Iran n’a pas fait grand-chose pour lui donner tort...

Mais il me paraît clair que, dans une certaine mesure, l’épouvantail iranien était bien utile : comment demander au Gouvernement israélien de faire des gestes envers les Palestiniens et les pays arabes quand l’Iran par la voix de son Président Ahmadinejad tenait des propos négationnistes, poursuivait un programme nucléaire et souhaitait ouvertement la destruction d’Israël ?

Or, cet argument est tombé avec l’élection du Président Rohani, qui s’était donné pour objectif le retour de l’Iran dans la communauté internationale. 

Le paradoxe, c’est que l’Iran, lui aussi, surjouait et surjoue encore l’hostilité à Israël : être à la pointe du combat contre "l’entité sioniste", clamer haut et fort son refus de toute normalisation, c’est un bon moyen pour un Iran perse et chiite de s’acheter une légitimité dans le monde arabe sunnite !

Pourtant, sur beaucoup de dossiers, les intérêts iraniens et israéliens convergent : stabiliser la situation en Syrie, stopper l’essor des mouvements djihadistes, trouver un modus vivendi avec la Turquie d’Erdogan, canaliser l’influence de la Russie, voire à terme co-gérer avec ces acteurs un Moyen-Orient dont les Etats-Unis comptent se désengager (ou en tout cas comptaient le faire avant les Printemps arabes) dans le cadre de leur rééquilibrage, appelé aussi "pivot", vers le Pacifique.

Même s’il reste extrêmement difficile d’évaluer réellement les intentions de l’Iran à long terme, il n’est donc pas interdit d’espérer une baisse des tensions avec Israël, mais cela nécessiterait des initiatives politiques et diplomatiques majeures de la part de chacun des gouvernements. Aucun des deux ne semble prêt à le faire pour l’instant.

Qu’en est-il de la position de la communauté juive française vis-à-vis de ces questions ?  Quelle importance la question israélienne revêtira-t-elle par exemple dans le choix des candidats en 2016 aux USA et en 2017 aux élections présidentielles en France ?

Tout d’abord, il faut souligner que, comme aux Etats-Unis, une partie des Juifs de France n’ont pas d’attachement particulier à Israël. Ensuite, il faut rappeler que c’est très difficile de disposer de chiffres précis sur les orientations politiques des Juifs en France, compte tenu de l’interdiction des statistiques ethniques, contrairement aux Etats-Unis.

Néanmoins, beaucoup de personnes qui s’intéressent à ce sujet considèrent que la communauté organisée, longtemps plutôt à gauche, a glissé à droite depuis les années 2000. Aux Etats-Unis, près de 80% des Juifs votent pour le parti démocrate et ce n’est probablement pas Donald Trump qui les fera changer de camp !

Cela s’explique à mon sens d’abord par des facteurs sociologiques : plus vieille, plus riche, la communauté devient plus conservatrice. Il y a aussi bien sûr la hausse des actes antisémites mais également le procès fait à la gauche sur cette question. Pourtant, bien que certaines personnalités de gauche se soient illustrées par des propos ou des prises de positions pour le moins problématiques, il me semble tout simplement faux de dire que la gauche a collectivement fait preuve d’ "aveuglement" ou de "complaisance" sur la question de l’antisémitisme.

Donc, concernant les prochaines élections présidentielles en France, il me semble que la différence ne se fera pas sur ces questions : tous les partis de l’arc républicain ont pris des positions fermes sur l’antisémitisme et soutiennent à peu près dans les mêmes termes la solution à deux Etats.

En dehors de cet arc, le Front National se démène pour s’attirer les faveurs de la communauté juive. Le CRIF a heureusement exhorté les Juifs à ne pas se laisser duper.

Plus récemment, le gouvernement israélien a incité les Juifs français à faire leur alya, ce qui a suscité l’indignation de nombreux hommes politiques en France. Dans quelle mesure la communauté juive est-elle sensible à ces appels ?

Appeler les Juifs du monde à l’alya fait partie de la fiche de poste de Premier ministre d’Israël ! Israël a été pensé et se pense toujours comme le foyer national juif, l’Etat refuge pour tous les Juifs du monde, c’est la raison d’être du projet sioniste. A mon sens, les appels à l’alya posent question si et seulement s’ils s’accompagnent de propos laissant entendre que la France est antisémite ou que le Gouvernement ne protège pas les Juifs. Le Premier ministre Netanyahou n’a, à ma connaissance, pas franchi cette ligne.

Aujourd’hui, selon l’Agence juive, environ 15 000 Juifs ont quitté la France pour Israël en 2014. Cela constitue une nette augmentation par rapport aux années précédentes, mais cela reste une proportion très faible de la communauté juive française, estimée à environ 600 000 personnes. Il convient d’ailleurs de souligner que les causes de départ sont multiples : s’il est probable que certains font ce choix parce qu’ils ne se sentent pas en sécurité, d’autres partent pour vivre plus facilement leur foi, d’autres encore pour des motifs économiques. Quelle que soit son ampleur, qui reste donc toute relative, il me parait erroné de croire que le phénomène de l’alya trahirait un quelconque divorce entre les Juifs et la France.

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