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Jeunes « surqualifiés » : des baristas titulaires de doctorats?
©Reuters

Une thèse et un café !

Le chômage touche 25% des jeunes diplômés en France. Plus de la moitié de ceux qui travaillent le font de manière temporaire. Au Canada, le nombre de jeunes surqualifiés pour leur emploi est en hausse sur les cinq dernières années. Un constat d'autant plus effrayant que la majorité des emplois pratiqués par ces jeunes sont concernés par l'automatisation et la robotisation du travail.

Usman W. Chohan

Usman W. Chohan

Usman W. Chohan est docteur en philosophie (PhD), spécialiste dans l'analyse des politiques fiscales.

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Il existe une crainte récurrente parmi les jeunes entrant dans le marché du travail en France : ils ne trouveront pas d’emploi correspondant à leur niveau d’éducation parce qu’ils sont « surqualifiés », ou pire : ils ne trouveront aucun d’emploi du tout.

Iniquité intergénérationnelle

Il semble que ces craintes soient fondées, avec près de 25 % des jeunes (15-24 ans) actuellement au chômage et 5 à 10 % d’entre eux sous-employés en France. En outre, plus de 50 % des jeunes travailleurs (15-24 ans) sont condamnés à prendre des emplois de nature temporaire.

Il ne faut pas prendre cette situation à la légère car elle reflète une « iniquité intergénérationnelle » – une rupture du contrat social entre deux générations. La situation est également inquiétante pour les étudiants, les parents et la société en général.

Pour cette nouvelle génération, l’important investissement en temps et en argent que représentent les études supérieures n’aboutit pas à des débouchés satisfaisants : les jeunes finiront par exercer des emplois qui ne requièrent pas les compétences pointues qu’ils ont acquises. On vit par conséquent dans « l’ère des baristas avec des doctorats ».

On remarque une tendance pernicieuse vers des emplois précaires et de faible qualité qui n’offrent ni la sécurité du revenu ni le développement professionnel souhaité. Consciente de cette peur, l’Organisation internationale du travail (OIT) a averti que, dans le monde, une génération entière se retrouve à faire face au chômage et au sous-emploi.

Canada : un récit édifiant

On peut aussi faire une comparaison avec un pays qui a un profil économique et démographique similaire à la France, le Canada, et qui souffre aussi du même mal. Une analyse récente du marché du travail par le Bureau du directeur parlementaire du budget (DPB), se fondant sur les recherches antérieures de Statistiques Canada livre ainsi des éléments pertinents quant à nos préoccupations en France.

Selon l’évaluation du DPB, il existe ainsi un grave déséquilibre pour les jeunes Canadiens entre leur niveau d’éducation et le niveau des emplois qui leur sont offerts.

Tout d’abord, 40 % des jeunes diplômés canadiens sont surqualifiés pour le travail qu’ils font, contre 36 % il y a à peine cinq ans. Cela indique une tendance alarmante qui aggrave le décalage énorme pour les jeunes diplômés entre leurs compétences et leurs possibilités.

En France, le résultat est un peu différent car l’angoisse des jeunes concerne principalement « le chômage pur » (25 % des jeunes de 15-24 n’ont pas de travail), mais il faut noter aussi le fait que plus de 50 % des jeunes ont un travail de nature temporaire.

Deuxièmement, au Canada, les niveaux de scolarité plus élevés augmentent le risque d’inadéquation entre les compétences et les possibilités, et des docteurs (Ph.D.) et étudiants en maîtrise sont encore plus touchés par le risque de « sous-utilisation ».

Troisièmement, certains secteurs sont plus concernés que d’autres, tels que : les affaires, la gestion, le droit et les sciences humaines. Nous observons un problème similaire en France avec des domaines spécifiques tels que le droit et les affaires.

Quatrièmement, le Canada et la France sont tous deux aux prises d’un « new normal » de stagnation économique, dans lequel la difficulté de créer une haute qualité d’emplois augmente considérablement.

Des menaces structurelles

Ces points devraient soulever des inquiétudes dans les deux pays au sujet de l’avenir des jeunes diplômés incapables de trouver les moyens de réaliser leurs aspirations. La surqualification crée une forte frustration et démoralisation chez les jeunes, ce qui impacte visiblement la productivité de l’économie nationale.

Il y a en outre des forces structurelles qui pèsent sur les opportunités d’emploi pour les jeunes en France. Premièrement, la force de l’automatisation du travail signifie que la plupart des emplois dont les jeunes disposent aujourd’hui seront bientôt pris en charge par des robots.

En Australie, par exemple, 70 % des emplois actuellement occupés par des jeunes fraîchement diplômés sont concernés par le risque d’automatisation.

Deuxièmement, le phénomène de délocalisation en France est, en moyenne, à l’origine de la suppression de 36 000 emplois par an.

Comment atténuer cette crainte colossale en France et à l’étranger ?

Les experts suggèrent différentes méthodes dont certaines des plus prometteuses comprennent des partenariats industrie-éducation (Australie), des programmes d’emplois axés sur la formation (Hong Kong), des fonds de développement des compétences (Singapour), des incitations fiscales (Australie), des conseils nationaux pour des interventions actives dans le marché de travail pour les jeunes (Uruguay), des programmes d’entrepreneuriat chez les jeunes (Argentine), ainsi que des efforts pour conseiller et orienter les futurs étudiants dans le choix de leur domaine de formation académique.

Oscar Wilde disait qu’on ne pourrait « jamais être trop habillé ou trop éduqué », mais Wilde n’a pas vécu dans notre ère de baristas surqualifiés.

Les impacts négatifs du chômage et du sous-emploi chez les jeunes sont énormes, que ce soit en terme de productivité économique, d’inquiétudes budgétaires, de problèmes de santé mentale, ou d’instabilité sociale. Par conséquent, la résolution de ce problème devrait continuer à constituer une priorité dans le paysage politique.

Sinon, assurez-vous de demander à votre barista une bonne thèse avec votre latté.

Usman W. Chohan, Doctoral Candidate, Economics, Policy Reform, UNSW Australia

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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