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Présidence du Conseil constitutionnel : cette procédure de confirmation à laquelle aurait dû se soumettre Laurent Fabius si la France était une démocratie vraiment adulte
©Reuters

Fait du prince

L'équivalent du Conseil constitutionnel aux Etats-Unis, la Cour suprême, tolère mal les entorses à la séparation des pouvoirs... De même, le candidat à sa direction passe une batterie d'auditions, et ses compétences de juristes doivent être reconnues.

Bertrand Mathieu

Bertrand Mathieu

Bertrand Mathieu est un professeur et juriste français, spécialiste de droit constitutionnel. Il est notamment professeur de droit à Paris-I, membre du Conseil de la magistrature et Président de l'Association française de droit constitutionnel. C'est un ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature. Il est Vice président de l’Association internationale de droit constitutionnel. Son dernier ouvrage paru s'intitule "Justice et politique: la déchirure?"  Lextenso 2015.

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Atlantico : Mercredi 10 février, François Hollande a annoncé la nomination de son ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, au Conseil constitutionnel. Une telle nomination aurait-elle pu avoir lieu à la Cour suprême américaine, l’équivalent de l’institution de la rue de Montpensier aux Etats-Unis ?

Bertrand Mathieu : La situation aurait été différente aux Etats-Unis. La Cour suprême américaine est au sommet de l'ensemble des juridictions et elle ne juge pas seulement des questions de constitutionnalité. Ses membres sont essentiellement des juristes et il est extrêmement rare d'y voir des politiques.

En France, il s'agit d'arriver à un équilibre au sein du Conseil constitutionnel entre la présence des personnalités politiques et des juristes. Les différences se vérifient aussi au niveau de la procédure. Les conditions ne sont pas les mêmes.

En France, il ne faut pas qu'il y ait une opposition des commissions parlementaires de l'Assemblée Nationale et du Sénat alors qu'aux Etats-Unis il faut un accord du Sénat qui est en général assez difficile à obtenir puisque le Sénat met en place tout un processus d'auditions plus élaboré où l'intéressé est beaucoup plus bousculé qu’en France.

Il est arrivé que le Sénat américain ait par exemple refusé des nominations proposées par le président des Etats-Unis, notamment parce que tel ou tel candidat avait pris position sur des thèmes sujets à polémique comme l'avortement. 

Existe-t-il des examens pour évaluer la déontologie et la crédibilité du candidat en France ?

Oui bien sûr ! Mais ces examens sont moins exigeants que ceux faits aux Etats-Unis. La différence fondamentale entre la Cour suprême et le Conseil constitutionnel, c'est l'expression de l'opinion. Les juges de la cour suprême peuvent prendre position sur des opinions dissidentes à propos de tel ou tel jugement alors qu'un membre du Conseil constitutionnel français doit conserver une position impartiale. Il est donc très délicat de demander à un futur membre du Conseil constitutionnel son opinion sur tel ou tel sujet…

Et quels seraient les conséquences des éventuelles affaires judiciaires qui toucheraient le candidat en voie d'être proposé à la cour suprême ?

Certes, le système américain est plus strict qu'en France. Mais à partir du moment où le candidat n'est pas impliqué dans une affaire judiciaire et n'est pas condamné il n'y aucune raison de ne pas le nommer.  Ce qui est plus inhabituel même si ce n'est pas la première fois, c'est le passage direct d'une personne de gouvernement au Conseil constitutionnel. Avec la nomination de Laurent Fabius, la séparation des pouvoirs entre le gouvernement et une juridiction est moins bien assurée que lorsque c'est une personnalité qui a exercé des fonctions gouvernementales, mais qui a laissé le temps s'écouler avant d’être nommée. Aux Etats-Unis ce type de fonctionnement qui entremêle les pouvoir est impensable.

Fabius n'aurait donc eu aucune chance d'être nommé à la cour suprême...

Oui sa nomination ne correspondrait pas aux critères de choix en vigueur au Etats Unis. En revanche en France, elle correspond plus aux us et coutumes du système français. Il est de tradition en France que les présidents du conseil constitutionnel aient eu des responsabilités politiques. C'est le cas de Jean-Louis Debré, de Pierre Mazeaud, de Roland Dumas. En revanche, il est plus inhabituel qu'il passe directement du gouvernement au conseil constitutionnel. Mais il n'existe pas d'obstacle juridique à cette façon de procéder.

Comment expliquez-vous ce désir de procédure chez les Américains ? Est-ce pour sanctuariser les institutions ?

L'explication est historique. Dès l'origine, la cour suprême est une véritable juridiction au sommet d'un ordre juridictionnel unique. Alors qu'en France, le conseil constitutionnel est une institution particulière qui n'était pas véritablement conçue comme une instance qui juge la constitutionnalité des lois même si aujourd'hui elle est devenue. Les traditions ne sont pas les mêmes.

Ce n'est pas seulement une question d'exemplarité mais il s'agit de préserver la séparation des pouvoirs qui est un principe presque sacré aux Etats-Unis sur lequel repose le système fédéral américain.

La séparation des pouvoirs est plus effective aux Etats-Unis qu'en France parce que dès l'élaboration de la constitution américaine, l'existence d'un véritable pouvoir judiciaire a été acceptée, mise en place et préservée. En France l'existence d'un pouvoir judiciaire est contesté et la justice est divisée en trois ordres juridictionnels : le constitutionnel, l'administratif et le judiciaire.  Les traditions sont encore une fois bien différentes.

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