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Ce que l’anomalie des taux négatifs traduit de l’état de nervosité des investisseurs internationaux
©Reuters

Moins que zéro

En totale opposition avec le pronostic de nombreux analystes, les taux d'intérêts de la dette d’État de nombreux pays de la zone euro sont aujourd'hui négatifs. Un état de fait pas inquiétant en lui-même, mais qui révèle que les investisseurs font des anticipations négatives de l'évolution de l'économie.

Frederik Ducrozet

Frederik Ducrozet

Frederik Ducrozet est économiste senior chez Pictet Wealth Management, en charge de l'Europe, depuis septembre 2015. Auparavant, il était économiste chez Credit Agricole CIB entre 2005 et 2015. Spécialiste de l'économie européenne, et de la politique monétaire de la BCE en particulier, ses travaux portent notamment sur le cycle du crédit, les politiques monétaires non-conventionnelles et leurs conséquences pour les marchés financiers.

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Atlantico : En totale opposition avec le pronostic de nombreux analystes, les taux d'intérêts de la dette d’État de nombreux pays de la zone euro sont aujourd’hui négatifs. En quoi ce contexte est-il dangereux pour l'économie européenne, que révèle-t-il réellement ?  

Frederick Ducrozet : Ce ne sont pas les taux négatifs dans l'absolu – que ce soit ceux d'une banque centrale, des obligations d’État voire de certaines dettes d'entreprise privées comme en Suisse - qui posent problème pour l'économie. Plus les taux sont bas, plus ils sont censés stimuler l'investissement et la consommation. Cependant, la situation devient anormale lorsque les taux sont excessivement bas jusqu'à être négatifs, y compris sur de longues maturités comme au Japon, pouvant aller jusqu'à quinze ans Suisse. La règle étant qu'un taux d'intérêt à long terme reflète l'anticipation de taux d'intérêt à court terme. C'est pourquoi si on prend un taux d'intérêt sur une dette d’État à dix ans négative, cela signifie que les investisseurs anticipent une croissance nominale – à la fois la croissance réelle et l'inflation – négative en moyenne pendant dix ans. Et cet état de fait est inquiétant. C'est donc l'anticipation des investisseurs provoquant ces taux négatifs qui est inquiétant, plutôt que l'existence de ces taux négatifs eux-mêmes qui sont au contraire stimulants pour l'activité économique.  

Peut-on incriminer l'action de la Banque centrale européenne ? 

Elle n'est pas toute seule. Elle agit d'ailleurs souvent en réaction à des événements qui surviennent à l'extérieur de l'Europe. Depuis 2012, la Banque centrale européenne (BCE) est active mais une partie des chocs qu'elle affronte viennent de l'extérieur. C'est particulièrement vrai depuis l'année dernière au cours de laquelle l'intégralité des chocs négatifs nous ont été importés de Chine, des États-Unis, ou encore de la politique pétrolière du Golfe.

Il est vrai néanmoins qu'elle participe en tant que grande banque centrale à un équilibre qui est devenu un déséquilibre monétaire international. Elle est partie prenante d'une course vers le bas entre les principales banques centrales du monde. Lorsque l'une baisse ses taux, assouplit sa politique monétaire - je pense au Japon notamment - les autres banques centrales sont souvent conduite à faire de même, voire à aller un cran plus loin. Cependant nous sommes actuellement à un point de basculement. Pendant des années la situation économique pouvait justifier des actions radicales de certaines banques centrales. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation en Europe dans laquelle la situation économique s'améliore doucement. Et pourtant la BCE pourrait probablement rester sous pression pour en faire encore plus que l'année dernière ou les années précédentes, et baisser encore plus les taux en territoire négatif. Cette situation est fondamentalement inquiétante et malsaine. Elle n'est pas seulement du seul fait de la BCE mais également à cause de ce qui se passe ailleurs dans le monde, des déséquilibres et du manque de coopération internationale, notamment entre banques centrales.

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, s'est inquiété de l'impact des taux bas sur la zone euro, craignant des risques de bulles et affaiblissement des marges bancaires. Ces arguments sont ils valables ? Ne peut-on pas considérer, comme Mario Draghi, que le plus grand danger serait de ne rien faire ?

Sur ce point-là je suis d'accord avec le président de la BCE. Je pense que le gouverneur de la Banque de France a bien sûr raison, mais il faut prendre cette citation dans son contexte : je ne suis pas certain que ces inquiétudes-là soient les principales dans son ordre de priorité. Comme tous les autres pays de la zone euro, il est membre du conseil des gouverneurs de la BCE et regarde la politique monétaire et la situation dans l'ensemble de la zone euro. Effectivement les taux bas sont un problème à court terme pour les marges bancaires et à long terme pour les marchés financiers et la création de bulles. Cependant tout cela représente à mes yeux, et je pense dans l'esprit de la BCE aussi, des problèmes d'ordre secondaire. Il n'y a pas d'urgence à ce niveau-là dans le contexte actuel. Donc le risque le plus important est celui suscité par une inaction ou éventuellement par une hausse des taux pour éviter d'avoir des taux négatifs.

Quels seraient les moyens à la disposition de la BCE pour sortir de cette situation et relancer l'économie ?

Il y a deux types de moyens, et de mon point de vue, certains sont plus dangereux que les autres. Malheureusement, les deux ont de grandes chances d'être mis en œuvre dès le mois de mars. Les premiers sont les taux d'intérêts de la BCE qui ont une action directe sur tous les taux d'intérêts des États, et par contagion, sur ceux des entreprises. La méthode serait de baisser davantage ce taux, qui est le taux sur le dépôt excédentaire des banques à moins 0,30%, que la BCE peut baisser d'au moins dix points de base. Plus les jours avancent, plus le taux de change de l'euro contre un ensemble de devises est en train de se renforcer très fortement. Je pense que c'est la raison pour laquelle la BCE va baisser les taux cette année. Le risque est pour moi qu'elle en fasse plus de ce côté-là.

Une autre arme qui est assez naturelle pour la BCE - quoique non conventionnelle - c'est le rachat d'actifs de la BCE directement sur les marchés et notamment en premier lieu de la dette publique. C'est l'outil que la BCE a mis en œuvre il y a exactement un an pour assouplir sa politique monétaire et augmenter son bilan, alors qu'elle ne pouvait plus baisser les taux. Et entre-temps elle s'est ré-ouverte la possibilité de baisser les taux, ce qu'elle a effectivement fait et qu'elle va sans doute continuer à faire.

Mais la principale arme c'est d'augmenter le programme de rachat.C'est à mon avis la plus radicale et la plus efficace pour contrer les risques que l'on observe notamment sur l'inflation. Pour être précis, il ne s'agit pas d'augmenter ce programme dans la durée puisqu'on sait déjà qu'il va être au-moins étendu jusqu'en mars 2017, ce qui n'a aucun impact sur les marchés. Il s'agit plutôt d'augmenter le rythme. Il va falloir peut-être passer de 60 à 80 milliards d'euros de rachat par mois, voire plus. 


Quels sont les facteurs extérieurs susceptibles d'agir sur une remontée des taux ?

On a beaucoup parlé de pétrole et effectivement cela demeure un facteur de l'existence de ces taux négatifs. Ses variations sont une conséquence de ce qui se passe dans les pays du Moyen-Orient ou en Chine, mais il reste également une cause par la suite d'autres prix d'actifs et évidemment de l'inflation. Donc un pétrole qui remonterait très rapidement serait de nature à faire monter aussi les taux d'intérêt.

Il y a également tous les éléments de la croissance mondiale comme la situation en Chine qui est très incertaine. Des chiffres quelque peu rassurants de ralentissement ordonné, maîtrisé de l'économie chinoise me semble indispensable pour qu'ensuite les taux repartent à la hausse.

Depuis qu'ils montrent des signes de ralentissement un peu plus marqués, les Etats-Unis deviennent est un facteur potentiel important.

Le dernier facteur ce sont les autres banques centrales. Si la banque du Japon n'assouplissait pas davantage sa politique monétaire par exemple. Or pour l'instant clairement, on en est pas là, les indicateurs laissent plutôt présager l'inverse.

A l’inverse, les taux d'intérêts de la dette grecque repartent à la hausse. La Grèce, et les autres pays périphériques sont-ils à nouveau en danger ? 

Non, il n'y pas de risque systémique pour ces pays, que ce soit l'Italie, le Portugal, l'Espagne et même la Grèce, qui justifierait une hausse des taux d'intérêt. Ce n'est toujours pas le cas. La Grèce reste toujours un cas à part, car les taux d'intérêt sur la dette grecque ne représentent quasiment rien, c'est un marché qui est très illiquide et qui ne reflète pas vraiment les anticipations des investisseurs. Effectivement dans d'autres pays comme au Portugal les taux se tendent aussi mais c'est un mouvement de pure contagion, d'aversion généralisée pour le risque où l'on vend pour vendre, y compris la dette périphérique.

Comment expliquer cependant cette divergence de tendance ? 

Quand vous êtes dans un mouvement de panique généralisée sur les marchés comme c'est le cas en ce moment, vous vendez ce que vous pouvez vendre. Les dettes publiques de certains pays comme l'Espagne et l'Italie restent suffisamment liquides pour que les investisseurs puissent se débarrasser de ce type d'actifs qui sont encore jugés risqués, pour se diriger vers les dettes allemandes et françaises.

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