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Les Français, indécrottables monarchistes ? 84% d’entre eux favorables au droit de grâce
©REUTERS/Jack Hill/Pool

Pouvoir régalien

Le 31 janvier, François Hollande a fait usage de son droit présidentiel de grâce. Ce faisant, il a permis à Jacqueline Sauvage de quitter sa prison, revenant non pas sur sa condamnation, mais sur sa peine. Ce droit de grâce est une résurgence des pouvoirs monarchiques dont disposaient jadis les rois de France... et est pleinement accepté par la population française. Un sondage exclusif IFOP-Atlantico.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Au lendemain de la grâce présidentielle accordée à Jacqueline Sauvage, une grande majorité des Français se dit favorable au droit de grâce. Faut-il voir dans cette validation d'un pouvoir, à l'origine détenu par le roi, un côté monarchique chez les Français ?

Jérôme Fourquet : Il est important de préciser qu’une partie du résultat s’explique par le contexte dans lequel ce sondage a été réalisé. L’affaire Jacqueline Sauvage a bénéficié d’une très forte couverture médiatique. Ses caractères à la fois hors-norme et exceptionnels ont interpellé les Français. On constate, dans les chiffres de ce sondage, le très large consensus – eu égard à la teneur de ce dossier – dans l’opinion sur la nécessité de revenir sur la décision de justice qui frappait cette femme. Par conséquent, ce sondage n’est pas réalisé "à froid", mais dans un contexte très spécifique.

Néanmoins, au vu de l’ampleur de l’adhésion à la survivance de cet héritage monarchique, il est effectivement légitime de penser que – comme le dit la formule – la société française prend la forme d’une monarchie constitutionnelle. C’est, tout du moins, le cas pour ses institutions. Il existe un certain nombre de survivances, qui existent dans ces dernières, mais qui ne sont pas si anachroniques qu’on pourrait le croire. Et pour cause : leur existence n’est pas remise en cause par une majorité de Français. Force est de constater que la plupart d’entre eux ne trouvent même rien à redire à tout cela.

Enfin, nous ne sommes pas, au regard de ce qui s’est fait ces dernières années, dans une pratique comparable à une certaine forme de "fait et bon vouloir du prince". Le droit de grâce demeure quelque chose de tout à fait exceptionnel, généralement utilisé avec grande parcimonie par l’Elysée. On peut également dire, en s’appuyant sur l’absence totale ou quasi de tollés suscités par une grâce motivée par des considérations personnelles ou privées, que ce pouvoir régalien est communément utilisé à bon escient. Il s’agit, par définition, d’un pouvoir qui ne dépend que du libre-arbitre et de la conscience du Président de la République en exercice. Les différents locataires de l’Elysée n’ont pas fait abus de ce pouvoir monarchique, ce qui contribue à expliquer pourquoi l’opinion publique et la société sont aussi favorable à un ultime recours, capable de corriger un certain nombre de dysfonctionnements produits par l’institution judiciaire. Ces trois éléments que sont le contexte, la survivance monarchique – de nombreux oripeaux subsistent et sont d’autant plus acceptés qu’ils restent utilisés à bon escient et sur des cas de consensus, et leur capacité à revenir sur des erreurs de justice ou des dysfonctionnements majeurs sont les trois fondements qui permettent d’expliquer l’appétence des Français pour ces pratiques.

Étonnement, ce droit de grâce est plus approuvé (d'une courte tête) à gauche qu'à droite. Comment expliquer ce léger différentiel ? Jusqu'où le droit de grâce incarne-t-il le symbole d'un certain souverainisme, ou à l'inverse, une anomalie juridique ?

Très clairement, pour répondre à cette question il faut la considérer sur différents niveaux d’analyse. Sur l’ensemble de ces sujets, nous sommes toujours – d’une certaine façon – tributaires du clivage partisan et de l’étiquette politique du locataire de l’Elysée. De la même façon, l’intervention militaire au Mali a été plus soutenue par l’électorat de gauche que par l’électorat de droite quand, historiquement, l’électorat de gauche est moins avenant sur les questions militaires et d’interventions extérieures. Quelques années auparavant, quand le locataire de l’Elysée portait le nom de Nicolas Sarkozy, l’intervention en Lybie – motivée par des questions de respect des Droits de l’Homme – avait été plus soutenue par l’électorat de droite que par celui marqué plus à gauche. Ce réflexe partisan, qui existe dans chaque situation, provoque une position partielle de l’électorat (tout le monde ne se positionne pas uniquement en fonction de cet unique aspect) relative à l’identité du tributaire de la fonction.

S’arrêter à ce seul niveau d’analyse ne permet pas de compléter l’ensemble de l’équation mais explique pourquoi sur cette question précise, la gauche semble plus favorable que la droite. Cependant, il est intéressant de constater que tout n’est pas lié uniquement au contexte et à l’appartenance de François Hollande à la gauche. Dans l’électorat du Front de Gauche, une très large majorité (91%) se prononce favorable à l’existence d’un droit de grâce… Ce qui nous ramène à notre question première : y compris dans l’un des électorats que l’on pourrait décrire comme étant historiquement le plus républicain et le plus antimonarchiste, ce type de survivance – utilisée très ponctuellement – ne choque pas. Par ailleurs, il peut être intéressant de revenir sur les différents propos que François Hollande a pu tenir sur le droit de grâce, avant d’accéder à la présidence de la République. Il s’est toujours placé de façon très cartésienne, dans le combat politique et historique de la gauche : ce n’était pas du tout sa conception des institutions ; le pouvoir en question – personnel et au-dessus des règles – s’apparentait à un pouvoir monarchique, etc… aujourd’hui installé à l’Elysée, il a eu recours à ce droit de grâce, dépassant les arguments traditionnels de la gauche… ce qu’ont fait ses électeurs également. Les rares à être choqués sont les républicains les plus zélés. Ceux-là s’ancrent plus, quelque part, dans un aspect très théorique des principes. La grande majorité des Français, pragmatique, trouvent à l’inverse que cette possibilité de recours ultime en dernière instance permet de revenir sur les fautes de l’institution judiciaire. Que dire de l’affaire d’Outreau ? Tout avait été respecté sur le plan purement juridique, mais le scandale est indéniable.

Cette validation de la grâce présidentielle est-elle récente ? Le cas Jacqueline Sauvage a-t-il ému au point d'inverser une tendance ?

Nous n’avons pas retrouvé d’historique sur cette question. De facto, il existe un poids du contexte évident, mais au vu du niveau particulièrement élevé et spectaculaire, il est légitime de penser que l’adhésion au droit de grâce était déjà forte, et stable. Encore une fois, hormis chez quelques constitutionnalistes et au sein de quelques milieux politiques très pointus, ça n’est pas là question qui fait débat, pas en France. C’est un véritable consensus, tant que le droit de grâce demeure exceptionnel. Quand, à l’inverse, il était utilisé pour vider les prisons chaque 14 Juillet, la question était réelle. Nicolas Sarkozy l’avait bien compris et était revenu dessus. Aujourd’hui, l’exercice de ce droit de grâce est suffisamment borné pour éviter ce genre d'événements, quand bien même le principe peut interpeller – il interpellait bien François Hollande, quand il était candidat à la présidence.

Qu'est-ce que cela traduit, finalement, de la conception des Français du rapport de force entre justice et exécutif ?

Les Français sont très attachés à la notion d’indépendance, en matière de justice. Ils n’en sont pas moins attachés à la Vème République, laquelle donne beaucoup de pouvoir au Président de la République. Dans la mesure où le Président de la République est élu par le peuple, l’opinion publique est loin d’être assez mure pour revenir sur le suffrage universel et se déposséder de ce droit. A partir du moment où nous avons élu le Président – avec les problèmes que cela implique, notamment en matière de l’espoir investi dans la capacité d’une seule personne à faire changer les choses – et où l’acceptation du fait que la Justice n’est pas infaillible, l’intervention d’une certaine forme de main divine n’est pas considérée comme inutile ou impossible.

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