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Quand la Syrie risque de faire boum : la Turquie ET l’Arabie saoudite envisagent l’envoi de troupes au sol (mais pas du tout de manière concertée…)
©Reuters

Théâtre des opérations

Alors que la Russie suspecte la Turquie de préparer une invasion en Syrie, l'Arabie Saoudite a de son côté annoncé envisager l'envoi de troupes au sol en Syrie afin de vaincre Daech. Les Saoudiens veulent renforcer le camp sunnite pro-saoudien et pro-turc qui est en face du camp syrien pro-iranien afin de peser sur le terrain et donc dans les négociations qui sont toujours dans une impasse.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : L’Arabie Saoudite au travers du brigadier général Ahmed Asiri a annoncé vouloir envoyer des troupes en Syrie car elle considère que les frappes aériennes seules sont insuffisantes. Quelles motivations se cachent derrière la volonté saoudienne de s’impliquer davantage dans le combat contre Daech ?

Alain Rodier : Le général Asiri a totalement raison : les frappes aériennes seront insuffisantes pour vaincre Daech. Il est loin d’être le premier à l’affirmer. Par contre, la volonté de Riyad d’envoyer des troupes au sol en Syrie ne me paraît pas être une réalité. D’ailleurs, les Saoudiens ont ajouté à cette déclaration qu’ils allaient d’abord consulter leurs alliés (lesquels, ceux qui interviennent aussi au Yémen ?) avant de prendre la moindre décision. Comme personne n’est chaud pour y aller, il semble évident que cette intention restera au niveau du vœu pieux, ce qui n’exclut pas d’envoyer quelques membres des forces spéciales pour affirmer sa bonne volonté. C’est actuellement très à la mode : quand on n’a pas de moyens militaires suffisants à déployer, on dépêche des membres des forces spéciales. Cela impressionne le public qui va beaucoup au cinéma. S’il est parfaitement vrai que ces unités d’élite sont extrêmement performantes, elles ne peuvent mener que des actions ponctuelles et limitées dans la durée. Elles n’ont pas les moyens (en effectifs et en armements) de conduire une offensive de type classique suivi d’un contrôle du terrain par un maillage de troupes serré et surtout, ce n’est pas leur mission.

Alexandre del Valle : Tout d’abord, il faut préciser que l’envoi de troupes par l’Arabie Saoudite s’inscrirait dans le cadre de la Coalition internationale et en partenariat avec la Turquie. Les Saoudiens veulent peser davantage dans les négociations en cours sur la Syrie et ils savent que pour cela il faut aussi peser sur le terrain, or les islamistes sunnites qu’ils soutiennent ont subi ces derniers temps des revers face aux alliés russo-irano-Hesbollahis pro Assad. Certaines forces sunnites ont été affaiblies par les frappes russes et les soldats et mercenaires chiites. L’Arabie Saoudite veut rééquilibrer les forces en faveur des sunnites soutenus par les pays du Golfe et la Turquie d’autant plus que le leader de Jaïch al-Islam, Zahlane Allouche, a été tué ces derniers mois par le camp russo-syrien, ce qui a affaibli la position des Saoudiens en Syrie qui comptaient sur lui et son groupe sunnite pro-saoud. L’annonce saoudienne relève tant d’une volonté de peser et de renforcer le camps sunnite pro-saoudien et pro-turc, face au camp syrien pro-iranien que d’une dimension intérieure. En effet, elle fait partie de la stratégie de la monarchie saoudienne et du vice-prince héritier Salman qui consiste à se montrer capable de défendre les intérêts des sunnites dans le cadre de la lutte contre les chiites et de montrer que l’Arabie Saoudite n’est pas qu’une monarchie repue liée la finance occidentale mais aussi un régime sunnite qui tient à ses fondements wahhabites et qui assure sa mission de "parrain" du monde arabe et du monde sunnite face aux ennemis héréditaires chiites et perses. Cette annonce, mais aussi l’exécution du dignitaire Nimr al Nimr puis la guerre au Yémen contre les rebelles chiites zaidistes dis "boutistes" visent ainsi à combler la perte de légitimité du régime au sein de la mouvance islamiste mondiale sunnite dans le cadre d’une stratégie néo-interventioniste du régime sous l’influence de la relève saoud incarnée par les jeunes princes soudeiris.

Cette annonce intervient dans un contexte de négociations sur la Syrie bloquées et de tensions entre la Turquie et la Russie, cette dernière suspectant la Turquie de préparer une invasion en Syrie. Peut-on craindre que l’escalade des tensions entre la Turquie et la Russie aboutisse à un affrontement direct ? La Turquie étant membre de l’OTAN, pourrait-elle invoquer l’article 5 ? Quelles seraient les conséquences ?

Alain Rodier : Tout dépend de qui déclenche les hostilités. Si le président Erdogan décide de faire franchir la frontière syrienne à ses troupes, il se met en défaut vis-à-vis des lois internationales s’il n’a pas reçu de mandat du Conseil de Sécurité de l’ONU. Et ce ne sera pas le cas car la Russie (et peut-être la Chine) mettront leur veto à toute proposition allant dans ce sens. Il ne pourra alors pas invoquer l’article 5 qui oblige les pays de l’OTAN à lui porter assistance. Par contre, si ce sont les Russes qui entrent en Turquie, cela est théoriquement automatiquement le cas. Mais je vois mal le président Poutine commettre cette erreur grossière car il n’a aucun intérêt à mener une telle provocation.

Depuis des années, Erdogan demande la création d’une zone tampon en Syrie pour permettre d’y établir une certaine sécurité, des camps de réfugiés mais surtout pour briser dans l’œuf les velléités kurdes d’y créer une zone autonome qui, à terme, pourrait se transformer en État. A savoir que cette zone tampon couperait le Kurdistan syrien (dit le Rojava) en deux.

La situation qui prévaut à Alep où les forces légalistes syriennes appuyées par les milices chiites (non seulement syriennes mais irakiennes et même des afghans encadrés par des pasdarans), par le Hezbollah libanais et surtout par l’aviation russe, sont en passe de couper l’accès qui mène la ville à la Turquie va créer une situation nouvelle qui embarrasse Ankara. Or, la Turquie a les moyens militaires nécessaires pour lancer une opération militaire d’envergure qui consisterait à pénétrer à une vingtaine de kilomètres à l’intérieur du territoire syrien du corridor d’Azaz qui borde la région kurde d’Efrin à l’ouest jusqu’à l’Euphrate à l’est. Ce serait la création de la fameuse "zone tampon". La justification qui pourrait être avancée est la lutte contre Daesh puisque ce mouvement tient la frontière de l’Euphrate jusqu’au corridor d’Azaz cité précédemment. Ce dernier est surtout aux mains de l’Armée de la conquête, une coalition de mouvements islamistes radicaux dont le Front al-Nosra est l’épine dorsale, sans compter quelques unités locales qui se revendiquent de l’Armée Syrienne Libre (ASL). Il n’est un mystère pour personne que ces unités sont soutenues en sous-main par la Turquie, par l’Arabie saoudite et le Qatar.

Mais, cette initiative qui violerait toutes les règles internationales mettrait la Turquie en porte à faux avec la communauté internationale même si cette dernière (particulièrement les États-Unis) semble parfois encline à détourner les regards. Militairement, cela poserait aussi un énorme problème aux forces turques qui se retrouveraient de fait opposées directement à Daech (avec les conséquences de représailles terroristes que cela ne manquerait pas de provoquer), aux Kurdes syriens du YPG, à l’armée syrienne et surtout à son allié russe. Le risque d’une confrontation frontale avec l’aviation russe serait alors quasi inévitable et les suites sont difficiles à imaginer mais elles peuvent être catastrophiques.

Cette initiative reste donc très peu probable même si Erdogan a toujours su se montrer imprévisible.

Alexandre del Valle : Je ne pense pas que les Turcs, même s’ils ont abattu un avion russe, soient capables d’aller jusqu’à une escalade avec les Russes, c’est beaucoup trop risqué pour eux dans la mesure où la Russie détient l’arme nucléaire et où les Turcs ne peuvent pas se permettre d’allier très loin contre un ennemi certes héréditaire mais détenteur du feu atomique. Par contre, dans le cadre d’un conflit de faible intensité, la Turquie sait que la solidarité inter-atlantiste peut lui permettre d’éloigner un peu plus le camp occidental de la Russie et de la sorte conjurer ce qu’elle craint le plus, à l’instar des stratèges américains de l’OTAN, à savoir une réelle entente occidentalo-russe face à la menace islamiste qui risquerait de se traduire par une aide à l’ennemi kurde et un rapprochement avec l’axe chiite iranien. Ankara poursuit bien sûr par ailleurs des desseins de reconquête d’une partie de la Syrie où vivent des minorités turcophones que la Turquie arme depuis longtemps. Au sein de ces minorités turcophones, il y a des légions pro-turques islamiques, les mêmes que celles qui ont abattu le pilote de l’avion russe accusé de viser les positions des Turkmèhes soutenus par Ankara en Syrie.

Par ailleurs, une partie du Nord de la Syrie est kurde et est donc considérée comme "ennemie" par la Turquie. Cette dernière aimerait utiliser le prétexte de la protection des minorités turques pour intervenir et empêcher la constitution d’un Etat kurde. Or la formation d’un état kurde souverain devient une possibilité de plus en plus menaçante puisqu’en Irak, les Irakiens kurdes ont lancé un référendum en vue de l’indépendance. Les Turcs ont peur que d’autres kurdes en Syrie et en Turquie rejoignent l’indépendantisme des kurdes d’Irak qui est déjà assez avancé.

Toujours est-il que la Turquie demeure un pays très nationaliste, de surcroit fort marquée par le syndrome du "traité de Sèvres" (1920), lorsque l’on avait promis un Etat kurde et un Etat arménien libres dans le territoire turc actuel dans le cadre du démantèlement de l’empire ottoman. Pays récent et écorché vif depuis la perte de ses possessions ottomanes, la Turquie moderne balance entre son complexe d’encerclement et son irrédentisme revanchard. Ankara a en effet toujours rêvé d’élargir son territoire, et a toujours été frustrée d’être privé d’une partie de son ancien empire, ce qui explique ce genre de velléités et aussi sa recherche de leadership panislamique incarnée par Erdogan.

Est-ce que l'annonce de l'Arabie Saoudite pourrait pousser le rival iranien à envoyer lui aussi officiellement des troupes au sol ?

Alain Rodier :Les Iraniens sont déjà présents au sol via le Hezbollah libanais, les milices chiites irakiennes et les mercenaires afghans, le tout encadrés par des pasdarans qui viennent encore de perdre un officier général tué au combat dans la région d’Alep. Et comme je l’écrivais précédemment, il y a très peu de chances que les Saoudiens s’engagent au sol en Syrie déjà que leur participation aux frappes aériennes est déjà limitée.

Alexandre del Valle : Dans l’hypothèse d’une présence militaire saoudienne conséquente, ce qui n’est pas certain, mais admettons que les paroles soient suivies d’actes, il est certain que les Iraniens eux-mêmes voudront rééquilibrer, du moins officiellement, les forces à leur avantage.

En effet, ils ont déjà plus de 15 000 hommes présents sur le terrain sans parler des conseillers aux différentes milices irakiennes liés aux différentes brigades, notamment à celle du général Soleimani, commandant de la Force AL-Qods. Même si les Iraniens ne l’annoncent pas, ils ont déjà de nombreuses forces présentes sur place et ont subi des lourdes pertes, y compris d’officiers supérieurs. C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’intervient l’annonce de l’Arabie Saoudite. Les Russes et les Syriens ont profité de la perspective d’une trêve partielle dans certaines zones pour reconquérir une partie de la région autour d’Alep et reprendre des positions au cours des derniers jours. C’est dans ce cadre-là que l’Arabie Saoudite durcit le ton, mais elle est relativement dépassée en Syrie. Je ne vois pas comment elle peut y renverser la situation. D’ailleurs, elle se montre prudente en annonçant qu’elle n’enverra des troupes qu’avec l’accord de la Coalition. On est loin d’une volonté ferme et unilatérale.

Sur le plan opérationnel, qu’est-ce que ces éventuelles évolutions pourraient changer au niveau de la coordination des opérations entre la coalition internationale dont fait partie la France et les autres acteurs ?

Alain Rodier : Rien car ce sont les Américains qui sont aux commandes de la coalition en Syrie.

Alexandre del Valle : La coordination entre tous les acteurs est presque impossible aujourd’hui. C’est bien l’origine de l’échec des négociations en cours. Les accords sont le fruit de rapports de force. Aujourd’hui, chaque élément essaie de renforcer son camp avant de céder. Aucun des deux camps à ce jour ne s’est senti suffisamment affaibli pour céder.

L’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie a fait un véritable effort, il a vraiment essayé de réunir toutes les parties, mais cela n’a pas porté ses fruits : les Saoudiens ont accusé Bachar-el-Assad et les Russes de profiter de la situation pour renforcer leur camp sur le terrain et les ont rendus responsables de l’impossibilité de former des couloirs d’aide humanitaire, le camp irano-syrien-Hezbollah, quant à lui, accuse le camp sunnite de l’inverse, c’est-à-dire d’avoir fait saboter toutes les négociations en exigeant au préalable la fin de Bachar el-Assad, condition absolument inacceptable à leurs yeux. Les deux côtés s’accusent  d’être à l’origine de l’échec des pourparlers en vue d’un sauvetage humanitaire. La situation n’est donc pas encore assez intenable pour contraindre à une coopération, ce qui est triste, car le peuple, les innocents et les civils qui meurent de faim et sont bombardés sont les premières victimes de cette mésentente entre des puissances rivales qui veulent défendre leurs positions respectives.

Au regard des évolutions, est-ce que la stratégie et la ligne diplomatique de la France vis-à-vis du conflit syrien étaient les bonnes ? 

Alain Rodier : Cet avis n’engage que moi mais je reste persuadé que, depuis le début, la ligne diplomatique de la France a été catastrophique. Il semble que le Quai d’Orsay s’est trompé sur toute la ligne. Bien que parfaitement informé de la situation (je pense que les décideurs n’ont pas voulu croire les renseignements qu’ils ont reçu), le Quai a été persuadé que Bachar el-Assad allait tomber rapidement. A sa décharge, il n’a pas été le seul. Il n’a pas considéré objectivement la situation sur le terrain la voyant à travers un prisme idéologique qui m’étonne de professionnels de la diplomatie. Le Quai n’a pas respecté la mission première d’une diplomatie normale qui veut que l’on parle avec tout le monde, même avec le diable (ce qui ne veut pas dire que l’on est d’accord avec lui). Enfin, il serait intéressant de connaître les vraies raisons du suivisme de la France sur les États-Unis.

Je remarque que les dirigeants politiques trouvent sans doute les électeurs trop niais pour leur expliquer le pourquoi de cet atlantisme forcené. Il y a bien eu l’affaire des bombardements chimiques attribués à Damas mais la véracité des preuves présentées reste encore à démontrer. Je ne parle pas de la manière dont sont présentées les informations sur la situation en Syrie qui semblent plus relever de la propagande que d’une juste présentation des choses. On semble revenu au temps de l’ORTF qui retranscrivait fidèlement la voix de son maître.

Résultat des courses : la France est aujourd’hui disqualifiée au Proche-Orient pour ne pas dire plus.

Alexandre del Valle : Je ne sais pas si elle était la bonne aujourd’hui, mais ce qui est certain c’est qu’elle n’était pas la bonne jusqu’aux attentats du Bataclan. Avant la Bataclan, la position de la France était idéaliste voire dogmatique et absolument pas pragmatique. Après ces attentats, la position de François Hollande a semblé légèrement s’infléchir et être un peu plus réaliste puisqu’il a désigné le terrorisme comme un ennemi. A un niveau un peu plus concret, les services français ont renoué le dialogue avec les Syriens, dialogue qui était coupé depuis un certain temps.

La position de la France avant les attentats du Bataclan, position incarnée par Fabius, était totalement déséquilibrée parce qu’elle était totalement alignée sur la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar.

Une puissance comme la France, héritière de de Gaulle, doit avoir une position d’équilibre à équidistance de la position des Etats-Unis et de la position de la Russie. La France doit essayer de faire en sorte que ces deux acteurs ne se livrent plus une Guerre froide. La France aurait pu jouer une carte de coalition, de réunion, de réconciliation des contraires. Cela aurait dû être la vocation de la France, qui a malheureusement décidé de s’aligner en étant même plus radicale que les Etats-Unis.

Daech ne pourra être vaincu sans l’envoi de troupes au sol. Depuis le début de la guerre, les parties prenantes au conflit se sont appuyées sur des alliés locaux (kurdes, milices iraniennes) et sur les acteurs régionaux (pays du Golfe). Des troupes saoudiennes au sol combinées aux frappes aériennes seraient-elles suffisantes pour vaincre militairement Daech ?

Alain Rodier :Les Kurdes et les milices chiites (dont le Hezbollah) sont des adversaires à la hauteur de la situation. D’ailleurs, ce sont les seuls que Daesh craint vraiment. Pourquoi : parce qu’ils ont tous une "cause" à défendre et pour laquelle il acceptent de se sacrifier. Qui est prêt à faire de même pour les "causes" défendues par l’Occident ?

Mais, on se heurte au fait que les forces actuellement engagées ne peuvent vaincre durablement en terre sunnite (certes, la majorité des Kurdes sont sunnites, mais ce ne sont pour la plupart pas des salafistes) car la haine entre les communautés est désormais telle que l’on voit mal comment il est possible de revenir en arrière. Il faudra sans doute une ou deux générations ! En fait, "LA SOLUTION" n’existe pas. Tout doit passer par des négociations une fois que les combattants seront trop épuisés pour poursuivre le combat.

Alexandre del Valle : L’Arabie Saoudite peut nous aider à combattre Daech, mais uniquement Daech. En effet, elle va s’appuyer pour cela sur d’autres groupes djihadistes qui ne sont pas beaucoup plus fréquentables et beaucoup plus modérés que Daech. Personne ne doute de l’intérêt des Saoudiens à réduire Daech qui les menace, mais tout le monde doute de la cohérence de l’Arabie Saoudite dans le mesure où elle continue à soutenir et entretenir de nombreux mouvements islamistes radicaux en Arabie Saoudite ou ailleurs.

Avec des alliés comme l’Arabie Saoudite, on pourra se débarrasser de Daech mais pas d’autres mouvements djihadistes assez proches de l’idéologie d’Al Qaïda mais considérés comme "respectables" par l’Arabie Saoudite, la Turquie ou le Qatar au motif qu’ils combattent Daech.

Tout le problème repose sur la désignation de l’ennemi : est-ce que l’ennemi est Daech ou tous les mouvements djihadistes en général ? À mon avis, l’ennemi est l’ensemble de la mouvance islamiste totalitaire mondiale dont Daesh n’est que la face la plus immergée..

L’Arabie Saoudite a-t-elle les moyens de se battre sur deux fronts (Yémen et Syrie) ? Quelle est la véritable priorité de l’Arabie Saoudite ?

Alain Rodier : Cela aurait dû être la première question. L’Arabie saoudite n’a absolument pas les moyens de se battre sur deux fronts. Tous ses effectifs opérationnels sont engagés au Yémen ou pour assurer la sécurité de la frontière irakienne. Et l’ennemi prioritaire de Riyad, ce sont les Perses et leurs alliés chiites. Preuve en est, au Yémen Al-Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA) et Daech évoluent relativement librement et surtout, sans subir les foudres de l’aviation de la coalition (seuls les drones américains effectuent des frappes ciblées).

De plus, la confiance qui peut être accordée dans l’armée de terre saoudienne dans un combat contre Daech est plus que limitée. La famille royale a trop peur que ces troupes refusent de combattre ce mouvement salafiste-djihadiste dont l’idéologie est si proche du wahhabisme inculqué à tous les Saoudiens des classes populaires depuis leur plus jeune âge. C’est différent pour l’armée de l’air dont les personnels qui proviennent majoritairement de l’aristocratie ont été formés aux États-Unis.

Alexandre del Valle : Je ne sais pas si elle a les moyens, mais elle est obligée de se battre en Syrie ou de le faire croire si elle veut jouer le rôle de leader du monde sunnite. Elle est du moins obligée de communiquer là-dessus et de donner l’impression qu’elle n’est pas complétement dépassée sur le terrain afin de conserver sa légitimité pansunnite islamique et panarabe. L’Arabie Saoudite va donc être contrainte de s’embourber si elle poursuit la voie actuelle tracée par les faucons de la heure garde des Soudeiris. Elle en a les moyens, mais a-t-elle des combattants aguerris ? Au vu de la situation au Yémen, ce n’est pas sûr…

Le Yémen reste la priorité dans la mesure où c’est un pays frontalier de l’Arabie Saoudite, où il y des cellules d’Al Qaïda et de Daech et des mouvements houthistes chiites séparatistes qui veulent établir un foyer chiite zaydite aux portes de l’Arabie Saoudite et qui risquent d’inspirer les chiites radicalisés de l’Est de l’Arabie Saoudite puis de devenir un bastion pro-iranien à terme. Il y a eu une rébellion chiite qui a voulu se séparer du rester du pays au Yémen et depuis l’exécution du dignitaire Nimr, un certain nombre de chiites en Arabie Saoudite souhaiteraient imiter leurs frères du Yémen. L’Arabie a donc très peur d’une menace si voisine et directe. En comparaison, si les Turcs craignent l’influence des kurdes irakiens sur les kurdes turcs, de même, les Saoudiens craignent l’influence des chiites yéménites sur leurs propres chiites nationaux. 

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