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Prostitution : la pénalisation des clients, une mesure néfaste qui ne règlera pas le problème de la traite à des fins d’exploitation sexuelle
©Reuters

Retour à l’Assemblée nationale

Après trois passages dans l'hémicycle, l'Assemblée nationale a voté ce jeudi 4 octobre la proposition de loi socialiste visant à renforcer la lutte contre la prostitution et la traite humaine. Cette dernière prévoit de sanctionner l'achat d'actes sexuels du client par une amende de 1 500 euros. Une mesure bien plus idéologique que pragmatique.

Nicola Mai

Nicola Mai

Nicola Mai est sociologue et réalisateur, professeur de Sociologie et Etudes migratoires à l’Université de Kingston à Londres. Ses publications universitaires et ses films ont pour objet les expériences et perspectives des migrants qui travaillent dans l’industrie globalisée du sexe pour vivre leurs vies.

 
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Atlantico : La pénalisation des clients de prostituées est-elle susceptible d'avoir un quelconque impact sur la traite humaine, officiellement visée par le gouvernement à travers cette mesure ? Ou bien cette loi est-elle plus idéologique que pragmatique ?

Nicola Mai : Cette loi est bien plus idéologique que pragmatique. Les associations qui aident les travailleurs du sexe et connaissent leur quotidien sont toutes contre la pénalisation des clients. Le pragmatisme imposerait de respecter ces avis. Cette proposition de loi a été dictée par une certaine idéologie. Elle s’inscrit dans une conceptualisation de la prostitution comme relation d’exploitation des genres.  Cette idéologie est dangereuse parce que en s'adressant aux personnes qui travaillent dans la prostitution comme s'ils étaient toutes exploitées elle légitime des interventions et politiques qui les mettent en danger..

Certes, les intentions sont nobles. Combattre la traite, oui ! Qui ne veut pas la combattre ? Mais faut-il la combattre par une loi qui impliquera moins de sécurité pour les travailleurs du sexe, et qui finalement, ne concernera qu’une infime minorité d’entre eux ? 

La traite humaine existe et elle représente un réel problème. Cette dernière persiste même sous les formes les plus stéréotypées et sordides que nous pouvons voir dans les films. Seulement, les données scientifiques qui existent prouvent que la traite n’est pas une réalité pour majorité des hommes et femmes prostitués. Elle ne concerne qu’une petite minorité. Nous estimons entre 10 et 15% les hommes ou femmes qui travaillent dans la prostitution et sont soumis à la traite. Bien sûr, ces personnes méritent d’être protégées. Néanmoins, devons-nous fragiliser les 80-85% autres qui ne rentrent pas dans ce cadre, pour une loi dont nous ignorons les conséquences sur la traite ? 

Certaines voix affirment depuis longtemps que la pénalisation des clients aurait en réalité des effets contre-productifs, notamment sur les violences auxquelles sont exposées les personnes prostituées. Cette loi risquerait-elle au contraire de les mettre encore davantage en danger ?

Avec l’université d’Aix-Marseille, nous avons organisé un sondage auprès de 500 travailleurs sexuels en France. 98% d’entre eux étaient contre la pénalisation de leurs clients. Certains constataient même que la simple apparition du débat avaient des conséquences sur leur clientèle. Beaucoup des répondants, à la fois migrants et non-migrants estiment que les effets de la pénalisation des clients ont été partiellement anticipés car les prix ont diminué et que les clients les plus sûrs ont arrêté de les contacter par peur d’être condamnés à une amende.  

Cette loi va clairement fragiliser les travailleurs du sexe qui auraient pourtant grand besoin d’être protégés. Nous minimisons le rôle que peuvent avoir les clients dans leur protection. Souvent ces derniers sont aussi les témoins des agressions des prostitués et sont ceux qui les soutiennent pour porter plainte et dénoncer les exploiteurs. Si nous pénalisons le client, pourquoi continuerait-il d’aider ?

Avec cette criminalisation des clients fondée sur une volonté d'"abolir" l'activité de ceux et celles qui se prostituent librement, ne sommes-nous pas en train de mettre en place une police des mœurs ? A l'inverse, réouvrir les maisons closes ne serait-il pas la meilleure solution pour lutter contre le proxénétisme ? 

La prostitution est un sujet tabou et elle l’a toujours été. Ce dernier n’est pas seulement idéologique, mais aussi moraliste. Evidemment, la police de moeurs existe et est souvent présente.

Quant à la réouverture de maisons closes, il s’agit d’un débat plus compliqué. Elles ne sont pas la seule alternative que nous ayons. Encore une fois, il serait nécessaire de donner la parole aux travailleurs du sexe. Régulariser ne serait pas nécessairement une bonne solution ; en revanche, dépénaliser le serait. La majorité des personnes qui travaillent dans la prostitution sont des migrants, dont un grand nombre sont sans papier. Si nous régularisons le secteur, nous prenons le risque de créer un système parallèle, comme c’est le cas en Hollande. Il existera alors une prostitution sécurisée avec des Français ou des migrants qui possèdent des papiers et un permis de travail et dans l’obscurité subsistera ceux qui travaillent au-delà des règles. Nous ne devons pas oublier que le travail de prostitué est de plus en plus un travail de migrants. La possibilité de régulariser pourrait certes être explorée, mais l’imposer à tous serait dangereux.

En revanche, d’autres pistes peuvent être étudiées, comme celle qui donnerait la possibilité aux prostitués de s’associer entre elles et de gérer un appartement à plusieurs.

Le problème principal est que les politiques et les moralistes ont l’intention d’abolir un métier qui historiquement a toujours existé et qui ne disparaitra pas de si tôt. Evidemment, la volonté de lutter contre la traite est est noble, mais penaliser les clients ça ne va que empirer les choses.  Si les conséquences d’une loi sont terribles et contre-productives, à quoi sert-elle?

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