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Après la déchéance, la dégressivité des allocations chômage : mais quelle stratégie François Hollande est-il donc en train de poursuivre pour 2017 ?
©Reuters / Charles Platiau

Macronisation

Avec une nouvelle mesure qui ne plaira pas à la gauche du PS, François Hollande fait un nouveau pas vers un recentrage idéologique en vue de 2017. Une stratégie osée, mais qui pourrait bien ne pas se révéler payante pour lui.

Christelle Craplet

Christelle Craplet

Christelle Craplet est directrice de clientèle chez l'institut de sondage BVA Opinion.

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Jean-François Kahn

Jean-François Kahn

Jean-François Kahn est un journaliste et essayiste.

Il a été le créateur et directeur de l'hebdomadaire Marianne.

Il a apporté son soutien à François Bayrou pour la présidentielle de 2007 et 2012.

Il est l'auteur de La catastrophe du 6 mai 2012.

 

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Atlantico : Dégressivité des indemnités chômage, refonte du Code du Travail… François Hollande a fait dernièrement plusieurs annonces indiquant une orientation plus centriste. Peut-on estimer qu'il s'agit d'une stratégie délibérée en prévision de 2017, ou même une stratégie qu'il serait contraint d'adopter ?

Jean-François Kahn : Il y a incontestablement une stratégie, en même temps qu'une adaptation à la réalité. C'est-à-dire qu'il tient compte des conséquences du fait que la politique qu'il a menée lors de la première année de son quinquennat n'a pas fonctionné. Au-delà de cela, il y a une stratégie assez simple qui peut se résumer ainsi : il veut absolument et fera tout pour être confronté à Nicolas Sarkozy. Il pense que c'est sa seule chance d'être vraiment réélu. Pourquoi ? Parce que Sarkozy n'est pas populaire, mais surtout parce qu'il y a une très large fraction du centre et même de la droite qui aujourd'hui ne veut plus de Sarkozy. Il pense donc qu'en menant une politique qui va au-delà du centre, qui est presque de centre-droit et qui consiste en reprendre à son compte un certain nombre de mesures que la droite avait faites mais n'avait pas mené à bien, il séduira cet électorat qui ne veut plus de Sarkozy. Certes, il se coupera de l'électorat de gauche, mais cet électorat de gauche finira par revenir vers lui car le sentiment antisarkozyste sera prédominant.

Simplement, je pense que cette stratégie a toutes les chances d'échouer. Elle pourrait réussir au Parti socialiste si le candidat était Valls ou même Macron, qui écraserait Sarkozy. Mais le rejet de François Hollande, en particulier à droite et au centre, est tel que cela ne fonctionnera pas, selon moi. Même l'électorat de droite qui ne veut plus de Sarkozy ne se reportera pas sur lui, alors qu'en revanche il va perdre une grande partie de son électorat de gauche. Sa stratégie est bonne, mais pas pour lui.

Il y a enfin un autre risque, même s'il est lointain. La sécession sur sa gauche, l'opposition de plus en plus grande à sa politique au sein de ce qui reste de l'électorat de gauche est telle que si, par hasard, l'ensemble de la gauche contestataire qui ne soutient pas sa politique arrivait à s'entendre et à promouvoir par exemple une candidature de Christiane Taubira (ce qui n'est certes pas crédible pour l'instant car rien ne prouve qu'elle en ait envie et que la gauche serait capable d'un tel rassemblement), cette candidature obtiendrait à mon avis 18% des voix, devant François Hollande qui ferait le même score que Jospin, à savoir environ 16%.

Christelle Craplet : François Hollande a placé l’emploi et la lutte contre le chômage au cœur des priorités de son quinquennat. Il a fait de l’inversion de la courbe du chômage une condition de sa candidature en 2017. C’est sur ce sujet qu’il est attendu et c’est sur son bilan dans ce domaine qu’il sera en grande partie jugé par les Français. Leur préoccupation numéro 1 reste le chômage, même si la sécurité est redevenue un enjeu prioritaire suite aux attentats de 2015. François Hollande veut donc montrer qu’il continue de mener des réformes dans ce domaine jusqu’au bout et qu’aucune piste n’est exclue par principe.

Est-ce qu'on peut voir dans cette stratégie la validation de la note 2011 du think tank Terra Nova, qui recommandait à la gauche de se tourner vers un électorat moins populaire ?

Jean-François Kahn : A vrai dire, je ne pense pas. C'est vrai que la stratégie préconisée par Terra Nova disait que la gauche avait de toute façon perdu l'électorat populaire, ouvrier, employé, que cela ne valait pas la peine de se battre pour lui et qu'il fallait se tourner vers un autre électorat. Le résultat de cette perte, c'est que cela a donné un Front national à 30%. L'idée de Terra Nova était de se replier sur l'électorat immigré, sur les jeunes, sur les classes moyennes bobos, etc. Or, Hollande a perdu cet électorat ! Il a perdu l'électorat immigré qui avait effectivement voté massivement pour lui la dernière fois, il est en train de perdre l'électorat des classes moyennes (pensons à la déchéance de nationalité), et les jeunes votent aujourd'hui massivement Front national ! Je pense donc que c'est davantage une stratégie à lui, personnelle, qui consiste à arracher la bourgeoisie à la droite. Il sait qu'il n'aura pas beaucoup de voix aux élections. Il ne se fait pas d'illusion, il n'imagine pas un grand rassemblement qui lui permettrait d'arriver à 25%. Il sait qu'il fera dans les 20-21-22%, mais il pense que Sarkozy fera encore moins s'il arrive à lui piquer une grande partie de l'électorat du centre et de la droite modérée. Ce qu'il veut séduire, c'est donc bien l'électorat bourgeois de centre-droit.

Christelle Craplet : Pour être élu en 2017, aucun candidat ne peut se permettre de négliger une partie entière de l'électorat. Si François Hollande peut chercher à élargir le cercle de ses traditionnels soutiens, il devra avant tout convaincre que ces réformes peuvent faire la preuve de leur efficacité pour lutter contre le chômage. Or pour le moment, c'est le scepticisme qui domine chez les Français, y compris au sein des couches plus aisées de la population.

Est-ce un moyen de marcher sur les plates-bandes d'Alain Juppé, en tête dans les sondages à droite, et dans un second temps, de pousser cette dernière encore plus à droite ?

Jean-François Kahn : Alain Juppé est encore loin d'être le candidat de la droite pour 2017, ce n'est clairement pas fait. A mon avis, Nicolas Sarkozy garde toutes ses chances de gagner la primaire, lui qui tient le parti, rappelons-le. Mais si Juppé est effectivement candidat, François Hollande n'aura de toute façon aucune chance. Tout ce qu'il peut faire, c'est empêcher que Juppé soit désigné et faire en sorte que ce soit Sarkozy.

Selon vous, ce recentrage idéologique de François Hollande est-il pertinent ? Un électorat plus centriste, qui ne vote pas historiquement à gauche, le suivra-t-il ?

Christelle Craplet : Rien n’est moins sûr. Si les sympathisants Modem et UDI peuvent approuver certaines mesures gouvernementales, notamment celles liées à la réforme du code du travail ou aux indemnités chômage, cela ne signifie pas qu’elles sont prêtes à glisser un bulletin en faveur de François Hollande dans l’urne. L’image de François Hollande est très abimée dans l’opinion et si les sympathisants centristes ne sont pas aussi critiques que les personnes proches des Républicains ou du Front national, ils ont très majoritairement une mauvaise opinion de lui. Le fait qu’ils adhèrent ponctuellement à certaines réformes n’est donc en aucun cas une garantie de succès électoral futur.

La fin du clivage gauche-droite est souvent évoquée par les médias, les politiques et même les Français. Mais ces derniers veulent-ils vraiment abandonner ce marqueur idéologique selon vous ?

Christelle Craplet : Il est indéniable qu’une partie des Français ne se reconnaît pas dans le clivage gauche-droite traditionnel. Si vous leur demandez de s’auto-positionner sur une échelle gauche-droite, une minorité non négligeable d’entre eux va se déclarer "ni de gauche ni de droite". Pour autant, si l’on considère les choses dans l’autre sens, il reste une grosse majorité de Français pour qui ce clivage a toujours du sens et qui se positionnent sans aucune difficulté sur cette échelle. Même si elle est moins parlante qu’à une époque et qu’une partie des Français s’en détourne, l’opposition entre gauche et droite constitue toujours une grille de lecture parlante pour une grande partie de la population. Vouloir s’en affranchir n’est pas chose aisée, comme a pu l’expérimenter François Bayrou. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas plusieurs manières de se penser "de gauche" ou "de droite", comme le montrent les divergences évoquées précédemment chez les sympathisants de gauche !

Selon vous, le Parti socialiste est-il capable de gagner en 2017 sans son romantisme de gauche, sans Christiane Taubira, sans marqueur idéologique fermement ancré à gauche, sans un discours du Bourget de 2012…?

Jean-François Kahn : C'est une belle question que la presse et les médias ne se posent absolument pas. C'est LA question absolument essentielle et fondamentale. Nous avons un scrutin majoritaire à deux tours. Il permet d'avoir d'une part des majorités fortes (vous pouvez avoir 60% des députés avec 33% des voix), et d'autre part que le Front national n'ait quasiment pas de députés, même avec 18% des voix. Cela fonctionne tant que le FN fait 18%. Mais un Front national à 28-29-30-31% des voix change radicalement la donne ! Le Figaro a fait récemment une enquête absolument fondamentale. Il a projeté les résultats des dernières élections régionales sur les circonscriptions des élections législatives. Qu'est-ce que cela donne ? Cela donne 75 députés FN, aucune majorité claire, et plus de députés de gauche que de droite ! Et c'est évident. Imaginez un parti Les Républicains à 24-25%. L'ensemble des partis de gauche, faisant le plus mauvais score de leur histoire, font 33%. Et un Front national qui ferait 30%. Deux scénarios possibles alors : ou bien le FN et LR font alliance, et c'est un raz-de-marée, ou ils ne font pas alliance et la gauche, bien que minoritaire, peut gagner. C'est ce que montre très bien l'enquête du Figaro.

La situation serait différente si Juppé était le candidat, car il y aurait alors un mouvement autour de lui, mais si on reste sur un duel Sarkozy-Hollande, quel que soit le vainqueur, il sera si mal élu, avec un score tellement faible et un tel rejet au départ qu'il n'est absolument pas sûr qu'ils disposent d'une majorité législative. Il y a même toutes les raisons de penser qu'ils n'en disposeront pas, sauf si Les Républicains et le Front national trouvent un accord.

Théoriquement, le PS n'a aucune chance de rebondir. Pour des raisons purement mécaniques et arithmétiques, à cause de la force du Front national, il peut quand même non pas gagner les élections, mais comme le Figaro l'a montré, avoir plus de sièges que Les Républicains.

Christelle Craplet : La gauche aura du mal à gagner l’élection présidentielle si elle se présente en ordre dispersé et affiche ses désaccords sur des sujets aussi importants que la politique économique à mener pour faire baisser le chômage ou les moyens de lutter contre le terrorisme. Il y a une coupure de plus en plus importante à gauche entre la ligne sociale-libérale incarnée par le gouvernement et les positions défendues par les frondeurs ou Jean-Luc Mélenchon. Cette scission se retrouve dans l’opinion : il devient en effet de plus en plus difficile de parler des "sympathisants de gauche" comme s’il s’agissait d’un groupe de personnes partageant les mêmes points de vue sur les grands sujets économiques ou sociétaux. Dans la plupart de nos enquêtes, on mesure un écart de plus en plus grand entre les sympathisants PS, qui soutiennent un certain nombre de mesures du gouvernement, et les sympathisants de "la gauche du PS" (les personnes se disant proches du PC, du parti de gauche ou de mouvements d’extrême-gauche) qui affichent de plus en plus nettement leurs désaccords, surtout depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au gouvernement ou plus récemment, le débat sur la déchéance de nationalité.

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