Pourquoi Laurent Fabius aura été un très mauvais ministre des Affaires étrangères <!-- --> | Atlantico.fr
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Laurent Fabius
Laurent Fabius
©Reuters

Vivement la quille

L'heure du bilan a sonné. Depuis sa nomination le 16 mai 2012 à la tête du Quai d'Orsay, Laurent Fabius a mené une politique hésitante et pleine de revirements. Malgré la COP 21 ou encore l'intervention au Mali, la diplomatie française a multiplié les échecs, parfois très douloureux.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Atlantico : Quel bilan global peut-on faire de l'action de Laurent Fabius au quai d'Orsay ? Quels adjectifs le qualifieraient le mieux ? 

Roland Hureaux : Désastreux. Il suffit de comparer l'image de la diplomatie française avant lui et aujourd'hui. Elle avait certes pris du plomb dans l'aile avant son arrivée, mais depuis quatre ans rien ne s'est arrangé. A l'alignement euro-atlantique s'est ajouté une impression de servilité qui ne grandit pas l'image de la France.

La seule question est : quelle est dans cette dérive la part de Fabius et la part de Hollande. Il ne faut pas dédouaner trop facilement le président qui, dans cet affaiblissement de la diplomatie française, a la première responsabilité. Mais sur tous les sujets, il semble que Fabius ait plutôt aggravé les choses.

On pouvait pourtant espérer en 2012 que dans un gouvernement médiocre et inexpérimenté, Fabius, surdiplômé qui avait été premier ministre, qui avait été à l'école de Mitterrand, qui avait fait preuve d'une belle indépendance d'esprit en appelant à voter non au référendum du 29 mai 2005, porterait avec une certaine dignité l'image de la France. Il n'en a rien été.

Sur le fond, notre politique s'est volontairement privée de ce qui pouvait lui rester de marge de manœuvre vis à vis des conditionnements euro-atlantiques. L'affaire clef a été celle des Mistral que Sarkozy avait vendus aux Russes et que, au détriment du crédit de la France, nous avons, sous pression bien entendu, refusé de livrer. Il était pourtant facile de dire : "Je déplore cette affaire mais c'est mon prédécesseur qui l 'a engagée, la France ne peut plus se dédire". Nous avons offert là le spectacle affligeant de l'inféodation la plus servile. Même inféodation dans les affaires de l'Ukraine où la France n'a pas joué le rôle modérateur qui aurait pu être le sien, laissant ce rôle à Mme Merkel, et en Syrie où nous n'avons cessé de verser de l'huile sur le feu. De même Laurent Fabius n'a cessé de vouloir faire échouer la négociation ente les Etats-Unis et l'Iran : qu'elle ait abouti malgré lui montre bien la piteuse place qui est désormais celle de la France. Il n'aura été finalement que la mouche du coche. Dans les affaires européennes, on ne se souvient pas d'une affaire où la France aurait infléchi la position allemande, même dans l'affaire grecque où, ne nous y trompons pas, c'est Obama qui a joué le rôle le plus décisif pour parvenir à un accord.

Sur la forme, il y a eu cette parole malheureuse à l'ONU en 1992 : "Bachar el-Assad n'a pas mérité d'être sur la terre". Ce ne sont pas des choses qui se disent. Quel mépris ! Un chef d'Etat, bon ou mauvais, représente toujours un peuple. Roosevelt n'a jamais parlé ainsi d'Hitler, ni Truman de Staline. Derrière, il y a une grossière erreur d'analyse sur la longévité de ce régime et un comportement qui a contribué à faire durer une guerre atroce. Il y a aussi le reniement de ce qui était tenu, y compris par la République laïque de 1905 pour une mission historique de la France : protéger les chrétiens d'Orient. Fabius a eu beau aller se balader dans leurs camps en Irak, il a armé, avec d'autres, leurs bourreaux.

Son attitude vis-à-vis de la Russie n'a-t-elle pas été l'un des gros points noirs de son passage aux affaires étrangères ? Et son préjugé anti Assad dans le conflit syrien une erreur ? La propagande en faveur d'un front anti Assad - notamment diffusée sur le site de son ministère - n'a-t-elle pas favorisé le renforcement de l'Etat islamique ?

Il est clair que, puisque la priorité française dans le conflit syrien était la défaite et le départ d'Assad, nos alliés naturels ne pouvaient être que les islamistes. C'est ainsi : dans une guerre totale comme celle qui a lieu, les clivages se simplifient, même en Orient. Si vous voulez défaire l'un, c'est que vous êtes l'allié de l'autre. Les soi-disant Armée syrienne libre et autres organisations "modérées", qui sont au mieux des forces islamistes camouflées, n'étaient que des alibis. Quand Fabius dit en 2012 que "le Front Al-Nosra fait du bon boulot", il faut savoir que ce Front Al-Nosra est plus particulièrement responsable d'atrocités envers les chrétiens - et pas seulement les chrétiens - et qu'il partage l'idéologie des Frères musulmans fondée sur la haine de l'Occident. Aujourd'hui il a été désigné par la résolution du Conseil de sécurité du 16 décembre 2015 comme une organisation terroriste au même titre que Daech.

Quand en août 2013, la rumeur s'est répandue qu'Assad avait utilisé des armes chimiques (nous savons aujourd'hui que c'est un groupe islamiste qui l'a fait), les Occidentaux voulaient intervenir, ce qui aurait pu déclencher une guerre mondiale. Là encore Fabius a été en flèche. Heureusement qu'Obama, qui a un peu plus de plomb dans la cervelle, a arrêté les frais à temps.

A des positions géopolitiques discutables - mais qu'on peut après tout trouver défendables - s'est ajouté chez Laurent Fabius un parti pris tout à fait en dehors des habitudes de la diplomatie française. On a eu le sentiment que le Quai d'Orsay s'était transformé en une officine de propagande grossière, contre Poutine et surtout contre Assad. Ce faisant, nos dirigeants se sont auto-intoxiqués : il est bien connu que les diplomates et autres agents tremblaient à l'idée de faire remonter des informations n'allant pas dans le sens de la propagande officielle. Les choses ont eu peu changé depuis l'attentat du Bataclan, du moins à ce qu'il semble, mais il y a deux mois encore, la propagande française ne cessait d'accabler Assad bien au-delà de ce que faisaient nos alliés occidentaux.

Comme je vous le disais, l'ennemi de mon ennemi, c'est notre ami. Et l'ami en l'occurrence, c'était l'EI.

Une des raisons de cet aveuglement, c'est l'idéologie qui semble désormais dominer le Quai d'Orsay. Pour l'idéologie, spécialement celle des droits de l'homme, la diplomatie n'est pas un jeu d'intérêts complexes mais la lutte du Bien contre le Mal. On oublie de se demander où sont nos véritables intérêts : quels que soient les défauts bien réels du régime d'Assad (mais est-ce que ça nous regarde ?), il y avait une différence très grande entre lui, qui ne posait pas de bombes à Paris, et ses adversaires islamistes, qui se sont vantés de le faire et qui vont sans doute continuer à essayer de le faire.

A trop vouloir se mettre en avant à l'occasion de la COP 21, Laurent Fabius n'a-t-il pas délaissé des points importants pour la diplomatie française ?

Il valait mieux au contraire qu'il s'occupe de la COP 21 qui était un terrain moins miné que le Proche-Orient et où il ne pouvait pas vraiment faire de mal.

En définitive, cette COP 21 n'a pas été une mauvaise affaire en matière de communication. Il ne s'y est rien passé, les résultats tangibles sont très minces mais notre gouvernement, Fabius en tête, a laissé croire que c'était un événement considérable.

Je ne sais s'il faut saluer la performance de communicant du ministre des affaires étrangères - qui s'est tenu au premier plan - ou la servilité de notre presse qui a joué les thuriféraires emphatiques.  

La politique de Laurent Fabius a-t-elle pêché aussi par suivisme vis-à-vis des Etats-Unis ?

Absolument. Mais pas seulement vis-à-vis des Etats-Unis, il y a aussi la Turquie, Israël, et surtout l'Arabie saoudite et le Qatar qui voulaient la peau de Bachar el-Assad, au point que notre diplomatie laisse, s'agissant de ces deux derniers pays, une impression fâcheuse d'affairisme. Et sur les questions économiques, il y a eu suivisme par rapport à l'Allemagne.

Depuis que nous avons réintégré complètement l'OTAN, sous Nicolas Sarkozy, la France s'était alignée. Mais Sarkozy, qui avait maintenu des relations convenables avec Poutine et lui avait vendu les Mistral, préservait une apparence d'autonomie. Maintenant, c'est fini.

Notez qu'il ne s'agit pas tant de suivisme par rapport au gouvernement américain en tant que tel que par rapport aux milieux les plus conservateurs de Washington (les néo-cons comme on dit), sachant qu'Obama est plus modéré qu'eux.

Il fut un temps où la France, tout en étant sur les grands sujets un allié loyal, se démarquait de la position de Washington en étant plus modérée, en gardant plusieurs fers au feu, ce qui lui permettait à l'occasion de jouer un rôle de médiateur. Avec Fabius, il semble que notre pays ne se soit distingué que dans la surenchère belliqueuse, sans doute pour complaire aux monarchies pétrolières. Quel rôle voulez-vous jouer après cela ? Vous ne servez plus à rien ? Vous êtes simplement ridicule, comme dans l'affaire iranienne, quand les grands se sont mis d'accord en nous laissant de côté. Ridicule, Fabius l'a été aussi quand il a tenté en 2014 une médiation ente Israël et la Palestine, sans disposer d'aucun poids politique.

Au-delà de ce constat, en quoi peut-on parler d'une certaine continuité dans la diplomatie française ? Est-ce donc la faute de Laurent Fabius ou celle de ses conseillers ?

Il y a sans doute une certaine continuité dans l'alignement atlantique de notre pays qui s'est beaucoup rapproché de la ligne américaine depuis 1981. Le dernier président qui ait affronté vraiment les Etats-Unis, c'est Valéry Giscard d'Estaing ; cela lui a sans doute coûté sa réélection. Mitterrand savait sauver les apparences. Et Chirac sut faire, au moins une fois, preuve d'indépendance de manière retentissante dans la deuxième guerre d'Irak, ce qui valut à notre pays une grande impopularité aux Etats-Unis et une grande popularité dans le monde. Sarkozy a navigué à sa manière, parfois imprévisible (ce qui n'est pas forcément un défaut en diplomatie). Avec Hollande et Fabius, au contraire, nous somme à la fois parfaitement prévisibles et profondément méprisés.

Une seule action vraiment positive : l'intervention au Mali, mais il semble que Hollande et Le Drian - et bien entendu nos militaires - y aient joué un rôle plus important que Fabius.   

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