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Retour vers le futur : comment, en 1988, les germes de la crise actuelle de l’euro étaient déjà présents
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Flash Back

Serge Federbusch avait publié dans le Monde en 1988 une tribune concernant les perspectives d'avenir d'une monnaie unique européenne.... Près de 24 ans après, que reste-il de ce panorama?

Serge  Federbusch

Serge Federbusch

Serge Federbusch est président du Parti des Libertés, élu conseiller du 10 ème arrondissement de Paris en 2008 et fondateur de Delanopolis, premier site indépendant d'informations en ligne sur l'actualité politique parisienne.

Il est l'auteur du livre L'Enfumeur, (Ixelles Editions, 2013) et de Français, prêts pour votre prochaine révolution ?, (Ixelles Editions, 2014).

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Comme l’écrivait le regretté Edgar Faure : « avoir raison trop tôt, c’est un grand tort ».

L’article qui a piqué la curiosité d’Atlantico et que vous lirez ci-dessous, posait trop tôt, en 1988 précisément, des questions auxquelles l’Union européenne n’a pas apporté de réponse crédible, la rapprochant aujourd’hui de la catastrophe.

A l’époque, la marche forcée vers un marché financier unifié devait selon ses concepteurs, faciliter la création de la monnaie unique. Chacun était censé tirer ensuite profit de l’abondance de capitaux qu’on pourrait se procurer, notamment en Allemagne. La France, en particulier, devait y financer à bon compte ses investissements et sa croissance. « L’Allemagne prêtera ! » titrai-je alors dans le Monde, en référence douce-amère à « l’Allemagne paiera ! », de l’après première guerre mondiale, mythe économique funeste qui contribua à préparer le terrain à un second conflit.

Où le bât a-t-il blessé ? Les pays membres ont conservé des budgets séparés et les marchés ont très vite exigé des taux d’intérêt différents selon la santé économique de chacun. Parallèlement, un euro surévalué a accentué les clivages entre les économies de l’Euroland. Effet pervers supplémentaire : pour maintenir la croissance, les pays les plus fragiles se sont endettés davantage. Tous les ingrédients étaient réunis pour que le cocktail explose.

En réalité, ce que paye aujourd’hui l’Europe, c’est la méfiance de sa technostructure dirigeante vis-à-vis des peuples. N’ayant jamais posé la question de l’unification politique qu’imposait nécessairement la création d’une monnaie unique, via un budget commun, les eurocrates et les gouvernements nationaux ont cru s’en sortir par un subterfuge et faire entrer les Européens dans l’Union en leur mettant des nouveaux billets de banque entre les mains. Les jolies images, comme disait feu Marcel Dassault …

Aujourd’hui, moins que jamais et en tout cas bien moins qu’en 1988, les Allemands n’ont envie de payer ni de prêter. Le coût énorme de leur réunification - les nouveaux länder vivent encore largement de transferts - les a mis en garde contre ce qu’il adviendrait de leur épargne si elle devait servir à renflouer Grecs, Italiens, Français ou Portugais.

Les Allemands ne sauveront pas l’euro et aucun système politique unifié ne pourra les y contraindre. Et je ne pense pas qu’il faudra 23 ans pour me donner raison.

Serge Federbusch avait publiée dans le Monde en 1988 une tribune concernant les perspectives d'avenir d'une monnaie unique européenne.... Dix ans après la création de l'Euro, retour sur ...

L'intégration industrielle doit aller de pair avec l'intégration financière.

Le débat sur la bonne politique de change et l'avenir du SME a mis au jour une question cruciale : celle du grand marché financier auquel travaille la Commission européenne et qui devrait se traduire, dans les années qui viennent, par une liberté quasi complète d'ouverture de succursales et de prestations de services financiers. L'économie française bénéficierait alors de financements plus abondants, d'origine allemande essentiellement, qui seraient, aux yeux de certains, la contrepartie des contraintes que la défense du franc nous impose. 

A l'heure actuelle, seules les grandes entreprises usent, très modérément, de la possibilité qui leur est offerte de s'endetter en marks, principalement par émission d'obligations sur le marché domestique allemand ou sur celui de l'euromark. En revanche, les PME et les particuliers continuent de recourir de manière quasi exclusive à des financements domestiques. La dette extérieure française libellée en marks s'élève à environ 40 milliards de francs, à peine 11 % de l'endettement extérieur total.

Une coopération plus étroite

Il est vrai que la faiblesse du recours aux marchés financiers allemands n'est pas une particularité française. Le montant total des titres et actions émis au profit de non-résidents sur ces marchés représentait, à la fin 1986, à peine 10 % des titres obligataires ou des actions en circulation. Ces derniers s'élevaient à la somme assez impressionnante de 6 600 milliards de francs. Le fait que des capitaux allemands soient désormais volontairement investis en bons du Trésor américain, malgré le risque de change encouru, semble témoigner de leur disponibilité.

Cependant, l'espoir d'un appel accru aux capitaux allemands ne doit pas brouiller la perception des nombreux obstacles qui se dressent sur la voie de l'intégration financière. En premier lieu, cette intégration nécessite une coopération beaucoup plus étroite que celle envisagée à l'heure actuelle et qui pourrait se heurter à de fortes réticences en Allemagne.

Depuis 1983, les taux d'intérêt réels français sont presque toujours supérieurs aux taux allemands, de plus de 1,5 point en moyenne pour les taux à long terme et davantage pour les taux à court terme. Qui plus est, la revalorisation du mark est inférieure aux différences d'inflation et de taux d'intérêt, rendant ainsi l'endettement en marks très attractif, sans que la réglementation constitue un réel obstacle.

Pourtant, les Français n'en font pas usage car ils surestiment le risque de change que comporte l'endettement en marks, tout comme les prêteurs étrangers surestiment la dévalorisation potentielle du franc. Les agents économiques anticipent sans doute une dévalorisation du franc supérieure à celle inscrite dans les différences d'inflation, du fait de l'existence d'un important déficit commercial.

Dès lors, une grille de parités présentée comme parfaitement rigide à long terme, afin de rassurer les emprunteurs et les prêteurs, ne suffira sans doute pas à vaincre les réticences liées aux déséquilibres commerciaux. En effet, l'endettement supplémentaire en marks aura un effet multiplicateur sur les dépenses des Français. Cela se traduira inévitablement par des importations supplémentaires, alors que le déficit commercial franco-allemand s'élevait déjà à 60 milliards de francs l'an dernier. Ces importations nouvelles risquent d'aviver les attaques contre le franc, malgré la possibilité offerte aux emprunteurs initiaux de se procurer des marks en dehors du marché des changes.

Une coopération monétaire extrêmement poussée serait alors indispensable. En effet, pour se protéger, la Banque de France devrait avoir recours à l'aide de la Bundesbank, qui lui fournirait des concours à court et à moyen terme, d'autant plus massifs et indispensables que la grille de parités à défendre sera devenue rigide. Mais la Bundesbank ne disposera pas forcément des capitaux requis, car le marché des changes ne se réduit pas à une confrontation franc-mark, pas plus que le commerce extérieur allemand ne se réduit à des échanges avec la France.

La Bundesbank a dû acheter des montants considérables de dollars pour éviter qu'une chute brutale du billet vert ne détériore la compétitivité des produits allemands exportés vers la zone dollar ou ne provoque une forte réduction des importations américaines. A titre d'exemple, en 1986, les exportations allemandes vers la zone dollar (Amériques, Moyen et Extrême-Orient) étaient approximativement deux fois plus importantes que les exportations à destination de la France. Le marché nord-américain absorbait, à lui seul, autant de produits allemands que le marché français.

Autant dire que les autorités monétaires allemandes risquent de ressentir encore fortement la nécessité de soutenir le dollar. Cela limiterait nécessairement l'ampleur de l'aide en marks que les autorités monétaires allemandes pourraient apporter à la France. Notons, d'ailleurs, qu'en 1987 le seul déficit commercial franco-allemand représentait déjà plus du quart des réserves de change de la Bundesbank.

Parallèlement, les capitaux provenant des excédents commerciaux allemands sont, avant tout, entre les mains des entreprises exportatrices, de leurs salariés et de leurs banques, qui s'en servent déjà en partie à des placements à long terme. Il faudra donc que la Bundesbank se procure des fonds, soit en créant des marks, ce qu'elle abhorre... soit en augmentant les dépôts obligatoires des établissements financiers, ce qui comporte des risques de remontée des taux d'intérêt en Allemagne et de pression supplémentaire à la hausse du mark.

En réalité, le recyclage des capitaux européens et l'intégration financière risquent d'être confrontés à des tensions qui ne pourraient être désamorcées que par l'instauration rapide d'une monnaie unique. Et par l'adoption d'une politique commune admettant la création monétaire au profit des pays déficitaires. Il suffit toutefois d'énoncer un tel projet pour imaginer la réaction des autorités monétaires allemandes.

Des clientèles solvables

En second lieu, investir en France n'est pas tout. Il faut également que les productions issues des investissements supplémentaires puissent être proposées à des prix attractifs et à des clientèles solvables. Le problème fondamental réside alors dans l'utilisation des financements supplémentaires que les agents économiques français auraient à leur disposition.

Un certain nombre d'utilisations creuseraient rapidement le déficit commercial sans favoriser le rééquilibrage à terme de nos échanges extérieurs ; crédit à la consommation, investissements faiblement orientés vers le financement de l'appareil exportateur, etc. Elles placeraient rapidement la France dans une situation de dépendance financière vis-à-vis des prêteurs très difficilement tolérable sur le plan politique, le recyclage des excédents allemands devant être permanent. A terme, la capacité d'emprunt des agents économiques français serait d'ailleurs réduite par le niveau élevé de leur endettement et par la faible rentabilité de l'appareil productif français qui générerait des revenus déclinants.

D'autres utilisations seraient susceptibles d'améliorer nos recettes en devises dans les pays arabes et ceux du tiers-monde. Ces zones nous procurent aujourd'hui nos principaux soldes positifs pour les échanges industriels. Mais ces marchés se réduisent, et nos positions commerciales y sont menacées. Un financement allemand permettrait peut-être aux entreprises françaises de réduire le prix de leur offre sur ces marchés par différents moyens : crédits avantageux ou rabais sur les ventes notamment.

Cependant, les entreprises françaises auront beaucoup de mal à facturer leurs exportations en devise européenne ou en francs " forts " en raison du refus de ces pays d'acquitter les achats dans ces devises devenues onéreuses. Au même moment, la concurrence des pays de la zone dollar, qui vendront leurs produits en une devise plus " faible " se renforcera. Si les entreprises françaises facturaient leurs exportations en dollars après s'être endettées en marks ou en quasi-marks, elles seraient placées dans une sorte de tenaille financière. Leurs recettes risqueraient d'être menacées d'érosion, au contraire de leurs dettes.

En définitive, l'utilisation la plus satisfaisante serait, en théorie, l'investissement pour rééquilibrer à terme nos échanges avec les pays européens et notamment l'Allemagne. Cependant, cette perspective pose des problèmes délicats en termes d'intégration et de spécialisation industrielles.
Les secteurs où le rééquilibrage des échanges est le plus nécessaire sont ceux qui génèrent le plus d'excédents en Allemagne : mécanique, chimie, machine-outil, automobile, etc. Par conséquent, le rééquilibrage pourrait se traduire par une diminution à moyen terme des revenus des Allemands, qui sont le mieux à même de nous prêter.

Ce risque ne peut être conjuré que par un niveau des taux d'intérêt suffisamment rémunérateur pour que le prêteur puisse mener à bien sa reconversion vers des produits plus élaborés : automobiles à fort contenu d'équipements électroniques, machines-outils numérisées, chimie élaborée, etc. Mais ces produits sont précisément ceux que l'industrie française devrait développer pour reconquérir des parts de marché. Récupérer les techniques et les créneaux actuels des Allemands n'aurait aucun sens puisque leurs nouveaux produits seront plus performants que les nôtres.

Le partage des activités

La meilleure solution passerait, en définitive, par l'utilisation des prêts allemands pour développer des produits qu'eux-mêmes ne développeront pas. Encore faudra-t-il que la rentabilité de ces investissements soient suffisamment forte pour contrebalancer le déséquilibre persistant des échanges actuels.

On sent bien, en réalité, que la solution économique à la fois la plus logique et la plus vraisemblable tend plutôt vers un partage des activités entre France et Allemagne pour éviter les doubles emplois. Mais le partage auquel conduira l'intégration financière jouera-t-il en notre faveur ?

Les banques universelles allemandes ont aujourd'hui une très grande maitrise de tous les compartiments de leur marché financier. Elles possèdent une grande partie du capital des entreprises germaniques, orientent fréquemment leurs principales décisions et vont parfois jusqu'à changer leurs dirigeants. Ainsi, en 1985, la Deutsche Bank a créé le plus grand conglomérat industriel allemand en regroupant Daimler-Benz, AEG, MTU et Dornier.

Ces banques ne seront pas incitées à favoriser des stratégies productives françaises qui contrarieraient celles des entreprises qu'elles possèdent.
Parallèlement, les flux financiers allemands vers la France risquent d'emprunter de manière privilégiée le canal des prises de contrôle de capital, qui sont plus intéressantes pour les Allemands que les prêts simples et se traduiront par une perte d'autonomie importante de notre industrie. Ces investissements seront avant tout guidés par la faiblesse du coût de la main-d'oeuvre en France ou la possibilité de mieux pénétrer encore le marché domestique.

Deux variables qui ne laissent augurer rien de bon quant à la spécialisation et au développement de notre économie. Au même moment, l'endettement en marks des Français rendrait difficile le retour vers une politique financière moins subordonnée. Des réajustements monétaires provoqueraient, en effet, un alourdissement immédiat des dettes en devises.

En définitive, le grand marché financier risque de souffrir du même mal que celui qui mine le SME. En faisant précéder la coopération industrielle par une coopération monétaire et financière, il met la charrue devant les boeufs. Par-delà les apparences, les tensions qu'il porte en germe ne sont pas forcément moins fortes que celles d'une sortie de la France du SME.

L'Europe gagnerait plus à développer fortement les programmes qui, à l'instar d'Airbus, d'Esprit, de Race ou de Brite, favorisent l'intégration de son appareil de production pour des biens nouveaux. Le financement de ces projets pourrait être confié à la Banque européenne d'investissement, qui lève déjà des emprunts en ECUs et participe à de nombreuses opérations comme Eurotunnel. Cette dernière pourrait gérer un fonds alimenté par des créations d'ECU et la mise en commun d'une fraction significative des réserves de change des différentes banques centrales.

De cette façon, intégration financière et intégration industrielle pourraient marcher, prudemment, du même pas. L'antienne " l'Allemagne prêtera " ne succéderait pas à " l'Allemagne paiera ", comme résurgence d'un vieux mythe.

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