Xavier Bertrand : "Initialement, j'ai pensé que les électeurs avaient voté pour moi pour faire barrage au FN. En réalité, les gens me disent qu'ils ont voulu nous laisser une dernière chance" <!-- --> | Atlantico.fr
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Xavier Bertrand, le nouveau président de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie.
Xavier Bertrand, le nouveau président de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie.
©Reuters

Grand entretien

Le nouveau président de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie souhaite expérimenter en impliquant davantage les institutions nationales pour résoudre le chômage et assurer l'essor du tissu économique local.

Xavier Bertrand

Xavier Bertrand

Xavier Bertrand est Président de la Région Hauts-de-France et Président de Nous France.

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Atlantico : Xavier Bertrand, vous avez décidé de vous éloigner de la politique nationale en choisissant d'abandonner votre mandat de député, pour quelle raison avez-vous fait ce choix alors que s'approchent des enjeux majeurs comme la primaire à droite puis l'élection présidentielle ?

Xavier Bertrand : La région et le pays ont des atouts formidables, l'un comme l'autre pourraient très bien rebondir, repartir mais aussi plonger dans le chaos. L'un et l'autre semblent hésiter entre les deux. Lors des dernières élections régionales, j'ai pensé, au début, que les gens, en votant pour moi, avaient voulu faire barrage au FN. En réalité, ils m'ont, ils nous ont, laissé une dernière chance. Ils nous ont dit : on veut bien vous croire, une dernière fois. Cela m’oblige. Beaucoup d’électeurs sont fermés, n'écoutent plus rien et j'ai compris que la seule façon de retrouver du crédit, de la confiance, c'était de me mettre au travail dans ma région et d'avoir des résultats.

Comment pensez-vous pouvoir agir avec des pouvoirs de président de région qui restent assez limités ?

J'ai quand-même quelques leviers d'action. Un président de Région doit s'appuyer à la fois sur ses compétences et sur son budget. Avec les nouvelles grandes régions, il s’agit d’inventer une nouvelle fonction : économiquement une fonction de VRP, incarner un leadership dans la région, donner confiance, montrer qu'un espoir est possible. Ensuite, il faut arrêter de mentir aux gens : je suis un président zéro promesse, zéro faux-espoirs. Je sais toute la désillusion que cela peut créer dans les entreprises de faire des promesses et de ne pas les tenir. La première fois que je me suis rendu chez Pentair à Ham, entreprise menacée de fermeture dans les trois mois, certains salariés ont commencé à applaudir. Je leur ai dit : ne m'applaudissez pas, je n'ai rien fait encore. Ils m’ont dit : oui mais déjà vous êtes là ! Ça ne suffit plus. La solidarité, ça ne suffit plus, il faut des résultats. J’ai réussi à obtenir un délai de 2 ans pour essayer de trouver un repreneur. S'il n'y a pas de résultats, la politique n'aura que ce qu'elle mérite. En allant à Calais, en interpellant le gouvernement, je pense aussi que je peux faire bouger les choses. Même si la loi ne donne pas certaines compétences aux régions, je souhaite alors proposer que la mienne fasse des expérimentations.

Des expérimentations, à quoi pensez-vous ?

L'exonération d’une partie des charges pour tout nouvel emploi, aucune région ne l'avait fait. Mardi prochain, je vais proposer à François Hollande et à Manuel Valls des expérimentations sur l'apprentissage, je souhaiterais que les salariés et les apprentis soient soumis à la même réglementation et qu'il n'y ait donc plus de différence en fonction de l'âge. La France est le seul pays au monde où, pour apprendre à être couvreur, on est obligé de rester au sol. Où un apprenti boucher de moins de 16 ans ne peut pas couper de la viande. Je ne demande pas d'argent au gouvernement, pas un euro. Je sais que ce combat-là est perdu d'avance. Sur Pôle Emploi, je veux que les formations soient attribuées en fonction des besoins déjà existants  des entreprises. Je demande à ce que les services publics de l'emploi soient copilotés par la Région et par l'État. Je vais aussi demander à la ministre de l’Éducation nationale que les collèges et les lycées de ma grande région accueillent des chefs d'entreprise et des salariés pour expliquer ce que sont les métiers. Ça ne coûte pas un euro mais la loi ne me permet pas de le faire seul. Les clivages politiques ne doivent pas être des limites. Je me moque de la couleur politique du gouvernement et je me moque de ce qu’on peut dire de moi dans les états-majors parisiens. J'ai une famille politique mais mon parti c'est la région. Ici, on n'a pas le droit d'être sectaire. Et même si ça ne plaît pas, ça n'est pas grave.

Dans quel état d'esprit est le gouvernement à votre égard ?

Manuel Valls me dit qu'il est intéressé par mes propositions, je le rencontre mardi, nous verrons bien...  J'attends des résultats concrets. Ce que je propose n'est ni de droite ni de gauche.

A propos de Calais et du problème des migrants, pensez-vous aussi pouvoir avancer ensemble?

Si on veut éviter un drame, c’est indispensable. Je me suis entretenu mardi dernier avec Bernard Cazeneuve, en tête à tête. A Calais, s'il n'y a pas de réaction maintenant, il va y avoir un drame. Un drame humain mais aussi un drame économique. Tout ce qu'on peut faire pour promouvoir le tourisme et l'activité économique à Calais est réduit à néant quand on voit les images intolérables de samedi dernier avec l’envahissement du port et la dégradation de la statue du Général de Gaulle. Il faut donc, tout d'abord, rétablir la sécurité dans la ville, mais aussi dans la lande et sur la rocade portuaire. Et pour cela, il faut des militaires. Pas pour faire la guerre évidemment, mais afin de renforcer les forces de sécurité avec un véritable effet dissuasif. Ensuite, il faut une vraie réponse économique. Les Calaisiens sont au bord de l'asphyxie, il y a moins de touristes, moins de clients donc, les commerçants ne s'en sortent plus. Avec Natacha Bouchard, j’ai rencontré le ministre des Transports car la ligne de ferroutage Calais-Perpignan qui doit ouvrir prochainement est un signal économique fort, mais nous ne connaissons toujours pas la date effective de lancement. Le gouvernement doit comprendre que tout ne repose pas sur les seules épaules du ministre de l'Intérieur. C’est pourquoi je demande la tenue d’un conseil interministériel sur Calais, et à Calais même.

Enfin, il y a un problème majeur avec les accords du Touquet (signés en 2003 après la fermeture de Sangatte, ils font reposer sur la France le contrôle de la frontière franco-britannique NDLR). Calais est aussi le concentré de toutes les erreurs de gestion du dossier des migrants par l'Europe. L'Europe est vraiment en danger aujourd'hui à cause de son incapacité à gérer les flux migratoires. Il faut donc agir à tous les niveaux: au niveau local, au niveau national et au niveau européen. Et il faut agir vite car si un jour il y a un drame, il y aura un retentissement médiatique terrible, et là les politiques prendront enfin des mesures. Moi j'aimerais qu'on les prenne avant. Sinon, c’est encore au FN que la situation profitera. Le Conseil Régional va d'ailleurs aller prochainement s'installer à Calais pour quelques jours pour étudier en prenant le temps, les dossiers qui relèvent de la région. Ce que je veux montrer c'est que si la région le fait, l’État peut le faire. Je dis au Président de la République: venez voir les problèmes de Calais monsieur le Président, ne lisez pas seulement les notes qui vous sont transmises. Je le lui redirai car de Paris, on ne voit pas les problèmes de la même manière. Ce sont les vertus du terrain : ça n'est pas une mode, le terrain. Voir les problèmes de près aide à trouver des solutions.

Vous travaillez beaucoup avec Manuel Valls et les membres du gouvernement. Vous avez aussi reçu François Hollande, quatre jours après votre élection, autour du Monument des fraternisations de Neuville-Saint-Vaast, est-ce symbolique de la politique que vous voulez mener ?

François Hollande a décidé de venir. Et si, à la tribune, il a parlé beaucoup de ma région et m’a cité demandez-lui pourquoi. De mon côté, je lui ai dit que les responsables politiques que nous sommes avaient peut-être intérêt à faire cesser ce climat de guerre civile que l'on entretient, comme si chacun cherchait à chauffer à blanc ses militants, ses électeurs, alors qu'en fin de compte les Français sont beaucoup plus soudés, solidaires que les responsables politiques. C'est vrai sur la question du terrorisme mais aussi en matière économique. Le bon sens des Français, rien ne vient le polluer ! Je me suis aperçu que, lorsque je remercie les électeurs de gauche, les militants de droite applaudissement aussi. Lorsque j'ai dit, le lendemain des attentats du 13 novembre, que je voterai toutes les mesures que le Président de la République proposera pour assurer la sécurité des français, les militants de droite ont applaudi. Eux ne sont pas dans la querelle permanente, dans la guerre civile. Je suis prêt à discuter avec le Président de la république, je serai à l’Élysée mardi où se tiendra un déjeuner. J'ai vu qu'il y avait eu débat chez certains présidents de régions de droite pour savoir si l'on allait assister au séminaire de travail à Matignon, je ne me suis jamais posé cette question. C’est évident qu’il faut y participer .

Vous travaillez donc aussi avec les gens qui étaient présents sur les listes PS aux régionales en Nord-Pas-de-Calais-Picardie ?

Comme j'en avais pris l'engagement, j'ai rencontré les élus, Fabien Roussel puis Pierre de Saintignon. Les élus EELV n'ont pas donné suite. Je vais aussi réunir un conseil des parlementaires, de tous les parlementaires, y compris les députés européens, on verra si Marine Le Pen vient et je veux enfin réunir une conférence territoriale régionale. Ce que je vais faire ici, c'est ce que font plein de maires, mais dès que l'on dépasse l'échelon municipal, certains observateurs trouvent ça incongru.

Est-ce que le dépassement des clivages est l'une des clés de la réussite ?

Ça dépend. Est-ce que pour lutter contre le terrorisme il faut dépasser les clivages ? Oui. Tout le monde le comprend aujourd'hui, en revanche personne ne réalise qu'en matière économique les mesures de bon sens peuvent aussi échapper aux clivages. Quand je vais voir Manuel Valls, je n'en ressors pas socialiste et lui n'en ressort pas gaulliste et pourtant certains mauvais esprits y voit de la collusion et de la confusion. Je ne me pose pas ce genre de question. Si le gouvernement peut m'aider à gérer des drames industriels, j’accepte son aide. Et ensuite, à moi de faire le VRP. Alors certes, comme je m'expose, je vais être une cible, on va me critiquer. Mais je préfère être critiqué pour mon action plutôt que pour n'avoir rien fait, rien essayé.

Vous parliez, au début de notre entretien, de chaos mais il y a déjà longtemps que les responsables politiques crient au loup, or Marine Le Pen ne semble toujours pas en capacité d'emporter une présidentielle. Qu'est-ce qui vous fait dire le contraire ?

Durant la campagne des régionales, j'ai vu beaucoup de nos concityens complètement fermés à tout argument, la phrase que j'ai entendue maintes fois est terriblement violente : "on n'est pas pour le Front National, on est contre vous". Le FN symbolise pourtant tout ce que les Français détestent dans la politique : le rapport à l'argent, le cumul des mandats, le népotisme, la technocratie. La France est le seul pays au monde où il y a autant de représentants d'une même famille qui pilotent le même parti. Même chez les Bush il n'y en a pas eu autant, et je connais mal la Corée du Nord. Cette famille est, de plus, entourée d'énarques et de technocrates…  Mais certains Français sont tellement en colère contre nous qu'ils ne regardent pas la réalité du Front National. Le FN peut faire ce qu'il veut dans l'hémicycle, beaucoup continueront à voter pour lui car c'est leur manière à eux de faire un bras d'honneur à la classe politique, de renverser la table.

Je suis très inquiet pour la prochaine présidentielle car si celui qui est élu n'a pas le courage de dire les choses et de conduire les réformes qu'il faut et s'il n'a pas le savoir-faire, la bonne méthode, pour réformer sans casser la société française alors je crains le pire: le déclassement économique et le chaos politique. Je le dis car j'ai eu à conduire des réformes : quand on a imposé l'interdiction de fumer dans les lieux publics, cela n'a pas été simple. Le service minimum non plus, la démocratie sociale idem. Celui qui sera élu ne devra pas compter uniquement sur la croissance qui réduit le chômage car ce serait oublier ceux qui travaillent et qui sont aujourd'hui les nouveaux grands perdants. Depuis la fin des heures supplémentaires défiscalisées, ils n'en peuvent plus et je ne parle pas seulement des travailleurs pauvres. D’où notre idée de créer une aide pour ceux qui prennent leur voiture pour aller travailler, de 20 euros par mois, que nous avons votée jeudi. Nous allons aussi mettre en place une aide pour les gardes d'enfant pour les parents qui travaillent. Beaucoup de nos concitoyens se disent "je travaille et je suis puni parce que je travaille" ; c’est ce sentiment que je veux combattre.

Et ça ne vous donnerait pas envie d'être candidat à la primaire de la droite et du centre ?

Je ne me sens pas légitime pour dire : voilà ce qu'il faut faire. Il faut d'abord que je fasse mes preuves ici. Et en plus, comme on dit en picard, c'est un "full time job". Que se passerait-il si j'étais candidat ? Il y aurait aujourd'hui une session, la veille j'aurais siègé à l'Assemblée, je serai en train de me dire: il faut que j'écrive un livre comme les autres… La politique ne peut se concevoir que sur le terrain. Je ne suis jamais dans mon bureau de l’hôtel de région, d’ailleurs il faut se méfier des beaux bureaux. A la première réunion des conseillers régionaux de la majorité, je leur ai dit "avez-vous vu ce qui est écrit au-dessus de l’entrée ?". Ils m'ont répondu "oui, Conseil Régional". Je leur ai répondu: "non, il y a marqué "piège". Beaux bureaux, bonnes conditions de travail, des gens attentionnés, c'est formidable mais tout ça vous éloigne des électeurs, vous n'êtes plus à portée d’engueulade, alors faites attention". C'est le problème de la plupart des politiques nationaux, ils sont déconnectés.

Est-ce que vous jouerez un rôle pour les primaires ?

Oui, je défendrai les idées auxquelles je crois, sur lesquelles j'ai travaillé ces dernières années et qui peuvent être utiles à ma région comme à mon pays : la révision des accords du Touquet, le septennat non renouvelable ou encore le rétablissement d’un service national pour les jeunes. Je verrai quel est le candidat qui aura la sincérité de les reprendre et de les défendre. En attendant, j'ai reçu Jean-François Copé le 20 janvier, je déjeune avec Alain Juppé à Lille dans 15 jours, je recevrai François Fillon ainsi que Frédéric Lefebvre qui me l'a demandé.

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