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Le temps où le rire était banni des relations professionnelles est derrière nous.
Le temps où le rire était banni des relations professionnelles est derrière nous.
©Reuters

Not so funny

Le temps où le rire était banni des relations professionnelles est derrière nous. Place aujourd'hui à l'ère du diktat du rire, imposé par les entreprises comme outil de management.

Jawad Mejjad

Jawad Mejjad

Jawad Mejjad est docteur en sociologie, chercheur au Ceaq-La Sorbonne, enseignant et responsable pédagogique au Cnam, et gérant d'une société industrielle (Ermatel).

Ses réflexions et ses recherches portent principalement sur les valeurs et les structures d’organisation de la société, avec une focalisation sur l’entreprise, à l’aune de la postmodernité.

Il a publié Le rire dans l’entreprise, chez l’Harmattan, en 2010.

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S’il est un endroit où à priori, l’on ne s’attend pas à trouver une expression du rire, c’est bien l’entreprise. En effet, qui dit entreprise, dit travail, production, efficacité. Utilité et non futilité. Or, à y regarder de plus près, depuis plus de vingt ans, sans crier gare, le rire s’est installé dans l’entreprise. Non pas le rire expiatoire de l’ouvrier ou de l’employé, qui à la sortie de l’usine ou des bureaux, allait au bistrot du coin, et autour d’une bière, comme une forme d’abréaction, se libérait des frustrations subies. Non, le rire dont il s’agit aujourd’hui n’est plus banni de l’entreprise et prié d’aller s’exprimer au dehors. Au contraire, il a investi les lieux.

Nous assistons en effet à un rire à l’intérieur de l’entreprise,encouragé sinon imposé par la direction, et de plus en plus utilisé par cette même direction comme outil de management. Des mots-clés ont fait leur apparition dans le langage interne et incarnent cette évolution : le fun, la convivialité, une ambiance très détendue, une bonne humeur affichée…Tout devient prétexte à soirées organisées, pots divers et variés, grandes messes, bien sûr budgétés et financés par l’entreprise.

Le diktat du rire

Mais ne nous y trompons pas ! Ce rire n’est pas de joie, sa signification est plus à chercher dans la perte de pertinence des valeurs de la modernité dont l’entreprise est la fine pointe, et dans le décalage avec le vécu qu’instaure une postmodernité naissante. L’organisation industrielle, les process ne suffisent plus à fluidifier les relations, et afin de gérer la violence des conflits, tout en maintenant le principe d’une société fondée sur des individus concurrents, le rire est l’outil idéal :battez-vous mais avec le sourire !

Cette évolution de la conception du rire a d’ailleurs accompagné l’évolution des formesd’organisation. Ainsi, d’interdit dans les usines et sociétés industrielles (l’ouvrier sur sa chaîne de montage est sous le regard sévère du contremaître qui n’hésitera pas à lui rappeler qu’on n’est pas là pour rigoler !), le rire est devenu toléré puis encouragé dans les sociétés de service (où l’on se doit d’afficher sa bonne humeur en toute circonstance), pour devenir obligatoire dans les start-up (où tout, dans les comportements comme dans l’habillement doit refléter une ambiance festive).

Ce diktat du rire dans l’entreprise, rapproché de la souffrance qui s’est installée, est un indice que la forme « entreprise » telle qu’elle s’est développée avec la société industrielle arrive à saturation, et qu’une mutation est en cours pour inventer l’entreprise postmoderne. C’est en ce sens que le rire est vitaliste.

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