Marrez-vous plus pour produire plus ?

L’humour est une notion familière pour chacun d’entre nous : il est présent dans nos relations sociales au quotidien et sans cesse mobilisé par les médias. Nous nous proposons ici d’explorer la notion d’humour dans le cadre bien particulier de l’entreprise. L’humour accroît-il la motivation et la performance ? Quelles fonctions remplit- il dans les relations professionnelles ? Est-il illusoire d’envisager les relations au travail sous un autre mode que celui de la subordination ?

Notre analyse prend pour point de départ les résultats de deux enquêtes, l’une menée en France auprès de plus de 300 salariés sur leurs pratiques et attentes vis-à-vis de l’humour, l’autre conduite par un universitaire italien sur les différentes formes d’humour rencontrées dans les entreprises européennes. Ces résultats ont été complétés par une recherche bibliographique sur les pratiques d’humour dans les pays anglo-saxons, notamment aux États-Unis où l’autodérision a une valeur quasi culturelle.

Des salariés français en manque d’humour

Dans le cadre de l’enquête que nous avons réalisée en 2009 et 2010, 321 salariés ont répondu via Internet à trente questions sur l’humour dans les relations professionnelles.

L’échantillon compte 60 % de salariés du secteur tertiaire, appartenant majoritairement à de grandes entreprises. Il s’agit à 78 % de cadres, de cadres supérieurs et de dirigeants. 67,3 % ont une formation de niveau bac+4 ou bac+5. Ils se répartissent assez équitablement entre les différentes classes d’âge. Les trente questions auxquelles ont répondu ces salariés ont été regroupées en trois thèmes :

• leurs constats sur l’humour ;
• leurs pratiques en matière d’humour ;
• leurs attentes vis-à-vis de l’humour.

Les constats suivants sont issus de cette enquête réalisée pour mieux comprendre les attentes des salariés en termes d’humour dans leur environnement professionnel. Les constats : pas assez d’humour

Pour 96 % des salariés interrogés, l’humour est indispensable, très important et important dans les relations professionnelles. Dans les faits, toutefois, cette très forte attente n’est satisfaite que de façon imparfaite. Ils sont ainsi 63 % à estimer que l’humour n’est pas suffisamment mobilisé au travail  Cela nous conduit à avancer que près de 60 %1 des salariés sont mécontents de la façon dont l’humour est mobilisé dans leur entreprise. "Peut mieux faire", dirait-on sur un bulletin de notes !

L’humour est surtout attendu dans les relations entre collègues au quotidien, mais aussi pour briser la glace à l’occasion d’une rencontre et pour obtenir la participation. On pourrait croire que l’humour est très attendu dans les moments "hors travail". Or, seules 38 % des personnes interrogées le jugent important pendant les pauses-café.

Une analyse croisée des réponses avec des critères socioprofessionnels révèle que les salariés diplômés de l’enseignement supérieur sont les plus sensibles à l’humour. C’est probablement dû au fait qu’ils occupent le plus souvent des postes de coordination où la dimension relationnelle est prégnante. L’humour n’est pas considéré comme important par 88% des titulaires d’un BEP, alors que cette proportion tombe à environ 30 % pour les diplômés de l’enseignement supérieur

Le temps qu’un salarié passe dans une organisation influence-t-il sa perception de l’humour ? Il apparaît que plus une personnea de l’ancienneté dans l’entreprise, plus elle estime quel’humour est important dans les relations au travail.

L’humour est un facteur de bien-être des individus : tel est l’avis partagé par 92 % des personnes interrogées. Elles déclarent vouloir utiliser et développer l’humour comme un moyen d’améliorer la vie au travail. « L’humour, ça nous fait du bien, on a l’impression de s’amuser de notre quotidien, de le rendre plus humain alors qu’il peut être pitoyable », explique un salarié, établissant un lien direct entre humour et bien-être. Parmi les avantages de l’humour en entreprise sont cités avant tout la qualité de vie au quotidien et la dédramatisation des situations. De fait, l’humour ne pourrait-il pas contribuer à lutter contre les risques psychosociaux de plus en plus prégnants dans les entreprises ?

Les pratiques : l’humour se heurte au sérieux de l’entreprise

L’humour est-il soluble dans l’entreprise ? Pour beaucoup, les deux sont encore incompatibles. Si 18 % des personnes interrogées déclarent utiliser très souvent l’humour au travail, 38 % l’utilisent rarement et 11 % jamais. Du reste, ce n’est pas dans l’entreprise que l’on mobilise le plus l’humour mais dans les relations entre amis.

« Avec nos amis, on cherche à s’amuser et à prendre du bon temps, alors qu’en entreprise on est là pour produire. Et puis, la compétition entre les personnes nous fait réfléchir avant de pratiquer l’humour », témoigne un salarié, confortant l’idée que l’humour ne serait pas autorisé au travail. Pourtant, le besoin d’humour s’exprime à toute heure… et surtout quand la fatigue se fait sentir. C’est un petit « plus » qui permet de se donner du courage et de rester attentif dans les moments de creux.

Comme le dit un salarié, « il n’y a rien de plus dur qu’une réunion en fin de journée ; et s’il n’y a pas une petite étincelle de joie et de dynamisme pour l’animer, c’est l’horreur ! » On ne saurait être plus clair sur les vertus dynamisantes de l’humour !

Le chemin semble être long avant que l’humour soit considéré comme naturel dans le monde professionnel.

Pour 51 % des salariés, l’humour ne fait pas partie de la culture des entreprises et n’est pas revendiqué comme une valeur forte de leur fonctionnement. S’il est pratiqué, c’est davantage le fait de quelques individus que d’un système de valeurs affiché. Rares sont les chartes de valeurs ou les modèles de management qui mentionnent l’humour. Verra-t-on un jour le slogan « Marrez-vous plus pour produire plus » ?

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Extraits de Petit traité de l'humour au travail, Editions d'Organisations (décembre 2011)