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Le travail ne va pas de soi, 
il faut donc l'apprendre…
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Le travail c'est la santé

Ancré dans le quotidien de millions de personnes, le travail semble chose banale. Il n'en est pourtant rien, d'aucuns soulignent les risques insupportables qu'il fait courir alors que tant la société que les personnes ont besoin de ses fruits. " Le travail, ça s'apprend" ouvrage de Maurice Thévenet analyse les représentations du travail... Extraits.(1/2)

Maurice Thévenet

Maurice Thévenet

Maurice Thévenet est professeur au Cnam et à Essec Business School. Membre du Cercle de l'Entreprise et de la commission Repères des EDC, il est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages et de très nombreux articles sur le management et la gestion des personnes.

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Le travail c’est comme la santé, mais pas au sens où le dit la chanson. Chacun a une impression sur sa propre santé, il se sait en forme ou fatigué, bien ou pas bien ; d’ailleurs combien de personnes vous posent quotidiennement la question sans écouter la réponse ? L’impression est forte ; on ressent les choses comme une réalité criante et malvenue celui qui chercherait à contester cette impression, comme ces médecins qui veulent vous rassurer sans être toujours crédibles, quand la douleur ou les inconvénients sont là.

Il en va de même pour le travail. Tout le monde a son opinion, son expérience définitive à laquelle il résume la complexité de la réalité : certains sont même capables d’écrire des livres sur le travail à partir de quelques études sur un seul terrain… On en a une vision précise et définitive qui n’accepte pas la contradiction, la nuance ou le contrepoint.

Cependant, de la même manière qu’il est toujours utile de suivre quelques cours d’anatomie et de médecine, ce texte aura peut-être permis au lecteur d’élargir son regard sur une réalité nuancée, multiple, diverse et complexe qui rassemble parfois improprement une multitude d’expériences dites de travail sous un même vocable. Il est donc toujours nécessaire d’apprendre : comme le fait le musicien qui se confronte à d’autres rythmes, l’athlète qui s’investit dans une distance ou une discipline qu’il ne pratiquait pas jusque-là : le travail doit s’apprendre. Mon expérience ne suffit plus à savoir ce qu’est le travail ; mon manque d’expérience du travail me le permet encore moins.

Le travail, une évidence ?

Les approches du travail collent à des évidences. Comme toutes les évidences, elles s’imposent sans jamais être vraiment discutées et elles correspondent à une partie de la réalité à laquelle on veut réduire le tout.

Des visions diversifiées

Pour certains, le travail ne serait qu’un sujet juridique, une fiction régie par des lois et de la jurisprudence, c’est-à-dire le fruit des luttes et des arrangements entre des pouvoirs. Le travail se résumerait à des droits et devoirs. Il est bon d’être dans un état de droit, mais le souci de réglementer par un même droit et de mêmes règles des activités très différentes, des organisations de tailles diverses, des circonstances variées, s’avère souvent inefficace et peu réaliste. Certains recruteurs sont parfois surpris par les premières questions posées par un candidat sur ses droits et les modalités de RTT. Cela leur paraît être une curieuse entrée en matière que d’aborder par là un nouveau travail ; cela traduit surtout une certaine vision de la société protectrice – ou devant l’être – quand les droits constituent le premier aspect de l’existence.

Pour d’autres, le travail ne serait qu’une affaire de compétences, de qualification, de définition de fonction, de position dans une grille. Les institutions de travail ne seraient que d’immenses puzzles où se combinent harmonieusement les différents opérateurs qui n’existent que par ce qu’ils sont censés faire. Cette vision est attirante pour beaucoup. Elle flatte l’orgueil technocratique du manager qui croit aux référentiels de compétences pour rendre son organisation efficace ; elle s’adapte bien à de nombreux salariés qui ne voient leur travail que comme l’accomplissement programmé d’une tâche. D’ailleurs, dès l’enfance, parents ou enfants raisonnent en termes de compétences pour un métier futur, et s’interrogent sur le métier acquis quand il ne permet pas d’utiliser les connaissances apprises.

Pour certains, les plus cultivés, tels les citoyens grecs, le travail serait torture, selon l’étymologie latine que beaucoup se complaisent à rappeler. La torture du travail, ce sont les expressions courantes depuis "ça va comme un lundi" jusqu’à  "vivement les vacances" en passant par  "travailler moins comme progrès social" : les exemples ne manquent pas de cette assertion sous ses formes les plus diverses. Nous sommes là au niveau des idées reçues et des brèves de comptoir : de la même manière qu’il vaut mieux être beau, riche et intelligent que pauvre, vieux et malade, il est également préférable d’être en vacances qu’au bureau… Le travail peut être torture : s’il n’y avait que lui ! Il peut aussi être autre chose, car il serait aberrant de réduire la réalité de cette expression à une seule dimension de douleur/satisfaction. On se demande comment les sciences humaines, qui nous ont habitués à tant de nuance sur la compréhension des choses humaines, peuvent encore laisser aborder les choses avec autant de simplisme et aussi peu de déconstruction.

D’autres encore verront le travail comme une expérience séparée de la vie, la vraie. Ce serait un domaine à part : on y ferait des choses différentes, les personnes seraient différentes, les psychologies et les comportements humains seraient autres. Non seulement les deux vies, professionnelle et personnelle, devraient être soigneusement séparées, mais ce ne serait en plus pas les mêmes personnes dans l’une et l’autre. Au point que les spécialistes du management peuvent parfois conseiller des pratiques relationnelles et professionnelles qui s’adressent plus à des robots martiens qu’à des personnes normales. Au point également que l’on aborde les relations au travail avec la naïveté de celui qui n’aurait jamais observé une réunion de copropriétaires ou des conflits de famille.

Enfin, d’après les enquêtes d’opinion, une grande majorité de personnes s’accordent à percevoir une détérioration des conditions d’un travail qui apporterait moins pour plus de souffrance. Le travail fait partie de ce cercle des concepts disparus, ou qui ont empiré. Pour suivre ces questions du travail depuis une trentaine d’années, je ne sais pas vraiment à quelle époque font référence tous ceux qui affirment péremptoirement que le travail – au singulier – a empiré, mais force est de reconnaître que cela rencontre un large assentiment.

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Extraits de Le travail ça s'apprend, de Maurice Thévenet Eyrolles (octobre 2011)

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