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Alain Juppé et Emmanuel Macron, chouchous 2016 des Français ; mais auront-ils les ressources politiques nécessaires pour échapper à la malédiction de ceux qui font trop tôt la course en tête ?
©Reuters

Désillusion en approche

Publié ce dimanche 17 janvier, le sondage Odoxa-Le Parisien/Aujourd'hui en France présente Emmanuel Macron et Alain Juppé comme les candidats préférés des Français pour l'élection présidentielle de 2017. Le premier recueille 53% de bonnes intentions, le second 57%.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Atlantico : D'après un sondage Odoxa paru ce dimanche 17 janvier, Emmanuel Macron et Alain Juppé font office de candidats préférés des Français, pour la droite comme pour la gauche. Alain Juppé remporte 57% de l'opinion et Emmanuel Macron 53%. Faut-il s'attendre, cependant, à ce qu'ils soient les candidats des deux grands partis en 2017 ? Qu'apprend-t-on concrètement de ce sondage ?

Roland Hureaux : Depuis que les sondages existent, ils favorisent  les personnalités qui se trouvent à la limite de la droite et de la gauche : à la gauche de la droite ou l'inverse. Les exemples sont nombreux : Simone Veil, Jacques Delors, Bernard Kouchner, Jean-Louis Borloo. C'est normal : ils bénéficient d'opinions favorables dans leur camp (quand ils n'en changent pas comme Kouchner) et dans le camp d'en face.

Par ailleurs, les médias préfèrent les dissidents. Un socialiste qui se situerait dans le tout venant du parti socialiste ne les intéresse pas. Mais s'il est quelque part dissident en tenant des propos de droite, les micros se tendent vers lui. C'est le cas de Macron. Ce fut autrefois en sens inverse le cas de Roselyne Bachelot qui sortit de l'anonymat parce qu'elle était la seule femme de droite à être pour le Pacs. Si elle avait été pour le Pacs et socialiste, elle n'aurait pas intéressé. 

Mais ces hautes cotes de popularité n'ont jamais eu, à ce jour, de débouché électoral. Mitterrand, Chirac, Sarkozy ont été élus au centre de leur camp, pas à ses marges. Hollande aussi d'une certaine manière : "je suis un candidat normal" voulait dire "je suis un candidat socialiste normal".

Cela s'applique à Macron, que ses déclarations paradoxales pour un ministre socialiste ont propulsé très vite dans les sondages grâce à un apport important de suffrages de droite, sans qu'il ait pour autant une véritable assise quelque part. 

Le cas de Juppé est plus complexe. Il a, lui, une véritable assise historique (ancien Premier ministre), géographique (maire de Bordeaux), et partisane à l'UMP. Ses positions qui paraissent modérées puisque il ne veut apparemment rien remette en cause de l'héritage socialiste lui valent une certaine popularité à gauche, sans en faire pour autant une personnalité "volatile". 

En dépit de leur popularité auprès de l'ensemble des Français,  que représentent Emmanuel Macron et Alain Juppé auprès de leur camp respectif ? Disposent-ils de la capacité nécessaire pour rassembler chez eux avant de prétendre pouvoir concourir à l'élection de 2017 ?

Macron n'a pas d'assise propre, je vous l'ai dit. Personne ne le connaissait il y a quelques mois. Il a été propulsé sur le devant de la scène par François Hollande qui cherchait à élargir sa base vers la droite. Taubira pour l'extrême gauche, Macron pour le centre droit, il ratisse large. Mais Hollande veut se représenter, il ne pense même qu'à ça, dit-on ; Valls veut peut-être aussi se présenter. Ces deux là sont de vraies bêtes politiques avec une forte assise dans leur parti. Si Macron venait à leur faire ombrage, je pense qu'il serait vite renvoyé à la Banque Rothschild. Je pense en outre que la personnalité de Macron suscite quelques crispations à la gauche de la gauche, mais, après tout, ces gens ont bien voté Estrosi quand on le leur a demandé, alors ! 

Juppé, ce n'est pas pareil. Il fait aujourd'hui la course en tête au sein de  l'UMP, du fait de l'usure de l'image de Sarkozy et de la discrétion de Fillon. Si la primaire avait lieu demain et l'élection présidentielle après-demain, il serait à coup sûr élu. 

Son risque est de laisser trop d'espace entre Marine Le Pen et lui. Si l'espace est trop large, quelqu'un pourrait s'y engouffrer. Et si personne ne s'y engouffre (en dehors de Dupont-Aignan), il semble que 4 ou 5 % de l'électorat irait vers le Front national, ce que Juppé rattraperait assez facilement sur la gauche. Cela explique son démarrage en fanfare sur le thème assez droitier de la sécurité qui n'est pas mal pensé. 

Mais est-il nécessaire de dire que si  les sondages donnent aujourd'hui à Alain Juppé des scores à la Balladur cru 1994, cela ne préjuge évidemment pas de l'avenir ?   

Quelles sont concrètement les raisons de la popularité de ces deux hommes ? Ne profitent-ils pas du fait que les autres personnalités politiques (Nicolas Sarkozy, François Fillon, Jean-François Copé pour Alain Juppé ; François Hollande et Manuel Valls) déplaisent particulièrement en ce moment ?

C'est un peu vrai pour Sarkozy et Hollande : le relatif rejet dont ils semblent faire l'objet favorise une proposition alternative  dans chaque camp. Une mais pas deux. C'est ce qui explique la faveur de Macron et Juppé : pour le moment, ils apparaissent en pole position, chacun dans son camp, en tant que solution alternative. Copé fait aussi l'objet d'un rejet pour le moment, même s'il tente (un peu prématurément selon moi) de revenir dans le jeu. Mais pas Fillon, ni Valls. Fillon est simplement trop discret et Valls n'est pas si mal placé. Bayrou non plus d'ailleurs. Si au sein de l'UMP, l'alternative Juppé, pour une raison ou pour une autre perdait de sa pertinence, Fillon pourrait à son tour remplir le vide.

Je note que l'un fait partie des plus jeunes et l'autre des plus âgés, pourtant ils sont dans la même position ce qui prouve que ce n'est pas l'âge qui importe mais le positionnement.

Il y a le positionnement interne dont je vous ai parlé. Il y a aussi le positionnement international. Il faut s'y habituer : la France n'est plus tout à fait un pays indépendant. Sa politique est surveillée de près à Washington, à Berlin, à Bruxelles, comme peut l'être par exemple aujourd'hui celle de la Pologne. Or je gage que dans ces trois capitales, Alain Juppé et Emmanuel Macron sont les mieux considérés. François Hollande l'est aussi, mais a-t-il encore ses chances ? La relative proximité de Sarkozy et de Fillon avec Poutine les rend moins fiables dans ces sphères. Par des canaux pas toujours clairs, les opinions, bonnes ou mauvaises, circulent à l'échelon international. Par le biais des grands médias nationaux, rarement indépendants, par le bouche à oreille, par les ambassades, les clubs les plus sélect, la faveur internationale dont bénéficient les deux dont nous parlons se répand dans l'espace français. Mais les peuples savent parfois ménager des surprises. 

Jusqu'où cette popularité peut-elle durer ? N'y a-t-il pas le risque qu'au-delà des personnalités, la campagne politique ne leur soit pas si favorable ? Pourquoi ?

Je ne poserai pas la question comme cela. Macron n'est pas en position de devenir le candidat du parti socialiste. Il n'en a manifestement pas la légitimité. Je ne vois pas quelqu'un comme Martine Aubry se ranger derrière lui. Et comme il n'y a pas de primaire prévue et que Hollande ne laissera pas sa place, la question risque de ne jamais se poser. 

Pour  Alain Juppé, il est affronté dans la primaire à quelqu'un de plus politique  qui est Nicolas Sarkozy et, si l'on en croit les sondages, ça ne lui réussit pas trop mal. En politique il n'est pas un perdreau de l'année pour craindre une vraie campagne. 

Le problème de l'un et de l'autre est que personne ne leur a fait encore du rentre dedans. Macron pour évoquer le creux du personnage, l'absence d'intérêt de ses propositions qui sont un peu les tuyaux crevés de l'administration française que l'on a déjà essayé sans succès (par exemple, rémunération des fonctionnaire aux résultats : il y a depuis 2000 une loi pour ça, il semble l'ignorer et, soit dit en passant, elle a mis une belle pagaille). Ou bien ce sont des propositions qui trainent depuis cinquante ans, comme la libéralisation du statut des notaires ou de pharmaciens qui figurait déjà dans le rapport Rueff-Armand remis au général de Gaulle en 1958. Si on ne l'a jamais fait, c'est que c'était probablement inutile. On dit "il est jeune, il va amener de l'air frais", mais rien de plus vieux que ses idées.   

Quant à Juppé, personne ne semble avoir envie de l'attaquer sur son bilan comme premier mestre ou ministre des affaires étrangères. Peut-être parce que c'est trop tôt ou parce que ses rivaux de la primaire manquent aujourd'hui  de punch. 

Aussi bien Macron que Juppé ont quelque chose en commun, c'est d'être des centristes. Quand ils proposent, chacun à sa manière, de dépasser les clivages, c'est toujours bien perçu. Dès que vous parlez d'union  nationale et  que  vous m'apparaissez  pas sectaire, les gens apprécient. 

Mais il est une chose dont les sondés, pris à froid, ne se rendent pas compte, c'est que la politique centriste, c'est celle qui est menée peu ou prou depuis vingt ans. Les centristes ne sont pas contrariants, ni vis-à-vis de Bruxelles, ni vis à vis des Allemands, ni vis à vis des Américains. Ils ne le sont pas non plus, quand ils sont de droite, vis à vis de la gauche, dont ils acceptent l'héritage, même quand  il est calamiteux comme il peut l'être à l'Education Nationale.

Or  sans que les gens s'en rendent  toujours compte, ce sont les effets de cette politique centriste menée depuis vingt ans,  qu'ils  vomissent: chômage, immigration, insécurité, dégradation de l'école,  justice arbitraire , réformes technocratiques absurdes  etc. Ecœurés par ces politiques  ils aspirent à un changement  radical. Or parmi les candidats possibles, les deux dont nous parlons  sont précisément  ceux dont on a le moins de rupture à   espérer.

Les Français attendent pour 1997 une grande rupture, un grand chambardement et en même temps, ils privilégient dans les sondages les hommes qui leur paraissent exprimer le consensus, la modération. Ils n'ont pas encore compris que ces deux aspirations sont contradictoires. Ils ont encore le temps d'y réfléchir.  

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