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La mer Jaune, objet de toutes les convoitises asiatiques
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Poudrière maritime

Depuis la fin du maoïsme et de la guerre froide, la Chine qui tournait le dos à l'océan trouve son élan économique par et sur la mer. Du commercial au militaire, les enjeux de cette ascension balaient tous les secteurs et de vieilles querelles de voisinage se nourrissent désormais de calculs planétaires ... "La Chine et la Mer". Extraits, deuxième partie.

Hugues Tertrais

Hugues Tertrais

Hugues Tertrais est Professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, il est Directeur du Centre d’histoire de l’Asie contemporaine (CHAC)

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La première chose qui frappe lorsque l’on s’intéresse de près à la mer Jaune en tant qu’espace maritime est sa relative discrétion. Les études qui lui sont pleinement consacrées sont particulièrement rares, bien moins nombreuses que celles qui concernent la mer de Chine méridionale et la mer de Chine orientale. Sa place dans les médias est également très en retrait par rapport à celle de ses deux voisines situées plus au sud.

Pourtant, en mer Jaune comme dans les mers de Chine méridionale et orientale, les frontières maritimes ne sont toujours pas délimitées. Certes, on ne trouve pas dans cet espace maritime de litiges insulaires opposant la Chine et les pays voisins, en l’occurrence les deux Corées, et aucun grand corridor maritime international ne le traverse. Toutefois, les questions d’hydrocarbure et de pêche sont susceptibles d’y créer des tensions et d’influer directement sur les processus de délimitations frontalières. De même, la division de la péninsule coréenne a en fait d’importantes répercussions en mer Jaune et fait de cette dernière un espace stratégique de premier ordre. Au total, la mer Jaune s’avère un espace complexe, dont la pleine compréhension nécessiterait toutefois de sortir des champs bilatéraux Chine-Corées pour prendre aussi en compte la dimension intercoréenne […]

Quels sont les enjeux géopolitiques en mer Jaune aujourd’hui ? Quels sont les facteurs qui influent sur les processus de délimitation frontalière ? Ceux-ci sont-ils en effet vecteurs de tensions ou de coopérations ? […]

Histoires des délimitations frontalières sino-coréennes

La dispute sur la délimitation de la mer Jaune entre la Chine et la Corée du Sud a surgi au début des années 1970. Si la position sud-coréenne, favorable à l’équidistance, a tout de suite été assez claire, celles de la Chine et de la Corée du Nord l’ont été un peu moins. La Chine a toujours prétendu défendre le principe d’équité dans les délimitations maritimes, mais s’est toujours opposée à la ligne d’équidistance, lui préférant le concept de plateau continental, basé sur des critères géologiques et géomorphologiques et beaucoup plus à son avantage. La position nord-coréenne est mal connue, même si des publications récentes semblent lui accréditer la pratique de la ligne médiane. […]

  • 1950 : la Chine définit une zone de conservation de pêche, parallèle à sa côte en mer Jaune et en mer de Chine orientale, d’une largeur de 80 mille nautiques. La pêche étrangère y est interdite.
  • 1952 : la Corée du Sud proclame sa souveraineté sur les espaces maritimes, incluant les ressources et le sous-sol, adjacents à la péninsule. Les autorités sud-coréennes cherchent à exclure tous les navires étrangers de cette zone qui par endroits s’étend au-delà des 200 milles nautiques et de la ligne médiane hypothétique.
  • 1955 : la Chine établit une zone de sécurité dans le golfe de Bohai, mais signe un accord de pêche officieux avec le Japon qui réglemente la pêche japonaise en mer de Chine orientale et dans la partie chinoise de la mer Jaune.
  • 1958 : la Chine proclame une mer territoriale de 12 milles nautiques de large et la mer de Bohai comme eau intérieure chinoise, ce qui est alors en totale contradiction avec le droit de la mer élaboré aux Nations Unies, mais dont la Chine est exclue.
  • 1965 : la Corée du Sud établit une zone de pêche exclusive dont la limite extérieure est située à 12 milles nautiques de ses côtes. Les années 1970 sont ensuite marquées par l’émergence des enjeux pétroliers et l’apparition des premières contestations. 
  • Dès 1969 et 1970, la Corée du Sud délimite le plateau continental de la mer Jaune en six concessions, dont quatre sont situées complètement ou en partie en mer Jaune.  Elle signe parallèlement des contrats d’exploration et d’exploitation du pétrole offshore avec des grandes compagnies pétrolières occidentales. La ligne extérieure de ces concessions témoigne toutefois de l’adoption par les autorités sud-coréennes du principe d’équidistance tel qu’il avait été défini par la Convention de Genève sur le plateau continental de 1958.[…]
  • Enfin, la seconde moitié des années 1970 a aussi vu l’apparition de revendications maritimes de la part de la Corée du Nord qui délimite en 1977 une zone militaire de 50 milles nautiques pour défendre sa souveraineté, son intérêt national et sa sécurité.
  • À partir de la fin des années 1970, le droit de la mer évolue progressivement en faveur des pays en voie de développement jusqu’à aboutir, en 1982, lors de la Conférence de Montego Bay, à l’élaboration d’un nouveau texte promulguant officiellement une mer territoriale de 12 milles nautiques et une Zone Économique Exclusive (ZEE) de 200 milles nautiques. Les États chinois et sud-coréens ont tous deux ratifié ce texte en 1996, définissant dans le même temps leurs points de ligne de base respectifs qui, rappelons-le, permettent ensuite, via un système de projection, de délimiter les différentes juridictions maritimes. Or la définition de ces points de ligne de base a mis à jour quelques zones de chevauchement des deux limites hypothétiques des ZEE chinoise et sud-coréenne dans la partie sud de la mer Jaune. Depuis cette date, les deux États ont donc l’obligation de trouver une solution quant à la délimitation de leur frontière maritime, laquelle s’avère toutefois dépendante des questions halieutiques et pétrolières

Pas d’îles, mais du poisson et du pétrole

[…] Les États, même si c’est parfois tendu et compliqué, ne rechignent pas à s’entendre pour essayer de régler les problèmes halieutiques. Ainsi, la Chine et le Japon ont signé un accord de pêche dès les années 1950, soit deux décennies avant la normalisation de leurs relations diplomatiques. Or la période récente, avec l’avènement du nouveau droit de la mer et de la coopération économique, facilite fortement, voire encourage, ce type d’entente. Autour de la mer Jaune, l’émergence de la Corée du Sud et de la Chine et leur volonté d’approfondir leurs relations économiques ont donné naissance à des accords de pêche. Ainsi, deux ans après leur ratification du droit de la mer, les deux États ont signé un premier accord, reconduit en août 2000, qui met en place différents quotas pour les pêcheurs chinois et sud-coréens en fonction des espèces et sur des espaces maritimes bien définis et qui joue dans le même temps un rôle de palliatif à l’absence de délimitation maritime formelle.

L’intérêt pour le pétrole en mer Jaune, on l’a également vu ci-dessus, n’est pas nouveau et émerge au tournant des années 1970 sur l’initiative de la Corée du Sud. Son objectif était alors d’alimenter sa croissance économique et d’essayer de limiter dans la mesure du possible sa dépendance aux importations. Cinq puits d’exploration ont ainsi été creusés dans le bassin de Kunsan en mer Jaune méridionale. Toutefois, la structure géologique de ce bassin enjambe la ligne médiane hypothétique avec la Chine et n’a jamais été pleinement explorée.

La Corée du Nord a de son côté lancé des explorations dans la baie de Corée occidentale, appartenant au golfe de Corée, au large de la ville d’Anju, au début des années 1980, en coopération avec l’URSS, la Tchécoslovaquie et la Norvège, auxquelles se sont jointes par la suite l’Australie, en 1987, et la Suède, en 1993. Des réserves équivalant à 12 milliards de barils auraient été localisées, mais les explorations qui portent sur une zone d’environ 18 600 kilomètres carrés ont été longuement paralysées par le manque d’investissement et les tensions géopolitiques suscitées par la question nucléaire. La grande importance que revêt aujourd’hui le pétrole pour une Corée du Nord à la recherche d’un second souffle économique redonne un intérêt particulier à ces gisements offshore que les autorités nord-coréennes tentent d’ouvrir un peu plus à la coopération et aux investissements étrangers.

Enfin, si des explorations chinoises ont bien été menées depuis la décennie 1970, celles-ci ont toutefois été limitées. La Chine se concentre en fait sur l’exploitation et l’exploration pétrolières dans le golfe de Bohai où se situent encore ses principales ressources offshore.

Au total, la Chine, la Corée du Sud et la Corée du Nord semblent avoir adopté une attitude plus prudente concernant les ressources pétrolières en mer Jaune. La non délimitation des frontières maritimes empêche toute tentative d’exploration sérieuse et ne permet pas d’avoir une idée précise des réserves prouvées ou potentielles. Les prévisions les plus optimistes concerneraient pour l’instant le bassin de Kunsan au sud de la mer Jaune et le bassin de la baie de Corée occidentale au large de la Corée du Nord. En février 2007, quelques experts chinois ont ainsi lancé le chiffre de 2 à 2,8 milliards de tonnes de pétrole et de gaz naturel en mer Jaune méridionale.

Dans un contexte de raréfaction d’une ressource dont on sait qu’elle est primordiale pour le développement économique des trois États riverains, le pétrole offshore de la mer Jaune est donc bien placé pour alimenter les tensions maritimes régionales. Malgré tout, il pourrait être au contraire un facteur de coopération, et ce d’autant plus que des initiatives récentes ont été prises dans ce sens et que d’autres semblent être en préparation. Les pourparlers entre les deux Corées visant à préparer le sommet intercoréen de juin 2000 ont par exemple évoqué une possible coopération intercoréenne dans le secteur pétrolier. De même, la Chine et la Corée du Nord se seraient engagées à entreprendre prochainement une exploitation conjointe d’une partie du pétrole offshore de la mer Jaune. Enfin, l’hypothèse de mettre en place une zone de développement conjointe qui serait gérée par une Commission du plateau continental réunissant des membres de chacun des trois États a déjà été mentionnée.

La situation est même telle que cette coopération pourrait paraître incontournable. Il est désormais clair que les délimitations maritimes ne seront pas négociées tant que les États n’auront pas une idée précise des potentialités des bassins pétroliers, mais, dans le même temps, cette indétermination des espaces rend les explorations quasi-impossibles. Une entente à trois ne permettrait-elle pas de sortir de cette impasse ? Elle pourrait aussi, avec l’apport d’investissements étrangers, faciliter la résolution des problèmes d’ordre technique et financier qui pourraient se poser lors de l’exploration et de l’exploitation de ces gisements. La politique adoptée pour la pêche, même si elle n’empêche pas quelques petites disputes entre pêcheurs chinois et coréens d’éclater de temps à autre, lesquelles sont toutefois souvent causées par le non-respect d’une partie ou de l’autre des règles décidées au niveau bilatéral, ne pourrait-elle pas servir de modèle ? À moins que les trois États, dans une perspective d’après pétrole ou pour des raisons de rentabilité, aient finalement décidé de faire une croix sur ces bassins, ce qui, avouons-le, ne serait pas une mauvaise chose et permettrait peut-être de résoudre la question des délimitations maritimes en mer Jaune, à condition bien sûr que les accords réguliers sur la pêche soient maintenus.

Pour lire d'autres extraits du livre La Chine et la mer, c'est ici.

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Extraits de,Chine et la Mer Securite et Cooperation Régionale en Asie Orientale et du Sud Est L' Harmattan, (novembre 2011)



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