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Derrière l'attentat de Ouagadougou, la concurrence féroce entre mouvements islamistes en Afrique
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Al Qaeda contre Etat Islamique

Le samedi 16 janvier, l'AQMI attaquait le Burkina Faso, frappant Ougadougou. L'attentats a fait moins 29 morts, dont au moins deux français. Les conflits en Syrie et en Irak ne sont pas les seuls à compter leurs terroristes : en Afrique subsaharienne, les groupes islamistes sont légions... et pas toujours d'accords.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : L'attentat qui a eu lieu ce samedi 16 janvier à Ouagadougou au Burkina Faso a fait au moins 29 morts, dont deux français. Il a été revendiqué par l'AQMI et visait l'hotel Le Splendid, ainsi qu'un restaurant voisin, Le Capuccino. Les deux lieux ont été le théâtre d'une prise d'otages entre vendredi et samedi. Quels sont, aujourd'hui, les groupes actifs en Afrique Subsaharienne ? En quoi diffèrent-ils d'autres organisations terroristes islamistes ?

Alain Rodier : Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) est globalement divisé en deux branches composées de plusieurs katibats (compagnies ou brigades regroupant de quelques dizaines à une centaine d'hommes). L'entité centrale qui est dirigée par l'émir du mouvement, Abdelmalek Droukdel, et la choura (le "conseil" présidé par Abou Obeida Youssef al-Anabi) est basée en Kabylie à l'est d'Alger. Il existe aussi quelques groupes disparates à l'ouest et au sud de la capitale mais ils sont relativement peu actifs cherchant surtout à survivre. Ses effectifs combattants seraient environ un petit millier. Il convient d'ajouter les sympathisants convaincus ou forcés qui assurent la logistique. Le mouvement a essaimé plus à l'est passant en Tunisie et en Libye voisine.

>>>>>>>> A lire aussi : Burkina Faso : une attaque terroriste fait au moins 29 morts dont deux Français à Ouagadougou

Plus au sud dans le Sahel, c'est le domaine d'al-Mourabitoune, cette unité composée de la fusion des signataires par le sang, la katibat de Mokhtar Belmokltar (MBM) dit le borgne et du MUJAO. En 2015, il y a eu une tentative de scission d'une partie de ce mouvement emmenée par Adnane Abou Walid Al-Sahhraoui. A savoir que certains activistes, essentiellement originaires du MUJAO, souhaitant désormais se battre sous la bannière de Daesh. Ils ont été exclus du mouvement et sont pourchassés par leurs anciens frères d'armes.

MBM est un personnage central au Sahel. Chef charismatique ayant connu l'Afghanistan (après le départ des Soviétiques) sous l'autorité de Gulbuddin Hekmatyar, il est rentré en Algérie en 1992:1993 où il a rejoint le GIA avant de participer à la création du Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) puis d'AQMI dont il est devenu l' "émir du Sahara". Il connaît très bien le Sahel car il s'y livre depuis des années à des trafics divers et variés : drogues, armes, véhicules volés, migrants, pétrole, cigarettes (d'où son surnom de M. Marlboro). Il a épousé plusieurs femmes de la région dont une malienne pour s'attirer le soutien de certaines tribus avec lesquelles il est "en affaires". Il sillonne en permanence la zone depuis la Mauritanie à l'ouest, le Mali, le Niger, le Tchad et la Libye. Il avait rejoint ce dernier pays en 2011 au début de l'insurrection et il aurait participé aux combats de Derna sur la côte nord-est. Ensuite, il a établi des "comptoirs" dans le Fezzan (sud-ouest du pays près de la passe de Salvador), se livrant à un intense commerce des armes récupérées sur l'armée libyenne.

En 2013, après le début de l'opération Serval, il avait rompu avec AQMI et surtout avec son chef Abdelmalek Droukdel dont il ne supportait plus l'autorité. Ce dernier a réagi en créant l' "émirat du Sahara" mais il n'a jamais vraiment percé. MBM est le spécialiste des coups de main audacieux dont la prise d'otages d'In Amenas (Algérie), de raids dirigés contre AREVA au Niger, de diverses attaques au Mali dont l'action terroriste lancée contre l'hôtel Radisson Blu à Bamako le 20 novembre 2015. Il est aussi spécialisé dans le rachat d'otages à des groupes criminels pour ensuite négocier leur libération en faisant de juteux bénéfices.

Il est à la fois recherché par les Américains qui offrent cinq millions de dollars pour tout renseignement permettant sa capture (ou sa neutralisation) et par l'Etat Islamique qui le veut "mort". Il faut dire que MBM, même lorsqu'il était au plus mal avec Abdelmalek Droukdel, a toujours revendiqué haut et fort son allégeance au docteur al-Zawahiri, l'émir d'Al-Qaida "canal historique". Al Mourabitoubne porte aussi le nom d' "Al-Qaida dans l'ouest africain", ce qui est tout un programme... Le 4 décembre, il aurait rallié AQMI, ce qui constitue une surprise quand on connaît l'indépendance de l'individu. Des observateurs se demandent s'il n'a pas été tué et que son décès n'a pas été gardé secret comme ce fut le cas pour le Mollah Omar dont la mort avait été dissimulée pour des raisons tactiques pendant deux ans. Cela expliquerait qu'al Mourabitoune ait été réintégré dans le "califat du Sahara". Mais, MBM a été annoncé plusieurs fois tué dont la dernière en 2015 après un raids aérien américain ayant eu lieu en Libye au sud de Benghazi. Il est toujours réapparu par la suite ajoutant le surnom de M. Fantôme à la longue liste de ses alias.

Pour être complet, il convient de détailler le dispositif de l'adversaire au Mali. AQMI est présent dans la région de Tombouctou, Ansar Eddine toujours emmené par le contoversé touareg Iyad Ag Ghaly, est actif dans la région de Kidal. Le Front de libération du Macina d'Hammadoun Kouffa (composé d'ex-MUJAO à majorité peul) s'est développé dans le centre du pays en coopération avec Ansar Dine. Ce denier écumerait le sud du Mali près de la frontière ivoirienne. Dans l’est du pays, des restes du MUJAO continuent de s’opposer à des communautés touarègues hostiles et mènent quelques incursions au Niger voisin.

Que dire de l'Etat Islamique ? Quelle place occupe-t-il dans ses pays ? Peut-on parler de véritable difficulté à s'installer ?

L'Etat Islamique tente de s'implanter en Afrique. Il a réussi une percée en Libye dans la région de Syrte où il tient 250 kilomètres de côtes et a progressé vers le sud. Mais il n'y rencontre pas tous les succès fulgurants qu'il y attendait, s'opposant à d'autres groupes islamiques radicaux dont AQMI qui est implanté dans le pays depuis très longtemps. Cela ne l'empêche pas de mener des actions terroristes d'envergure en Tunisie voisine mais, là aussi, Daesh est en concurrence avec AQMI via sa branche "Okba ibn Nafa". Bien sûr, Daesh a bénéficié de l'allégeance en 2014 de Boko Haram au Nigeria. Il a étendu les actions terroristes dans les pays voisins, en particulier dans la région du Lac Tchad et au nord du Cameroun. Il tente des ouvertures vers les shebabs somaliens mais la majorité du mouvement reste sourde à ses appels pour le moment...

Certaines unités d'AQMI ont fait défection pour rejoindre l'EI alors en "odeur de victoire" comme le Jund al Khifala à l'origine de l'assassinat d'Hervé Gourdel en septembre 2014. En 2015, c'est le Ansar el Khilafa actif dans la région côtière de Skikda qui a prêté allégeance à Daesh. Mais ces groupuscules se retrouvent pourchassés à la fois par les autorités algériennes et les unités fidèles à AQMI (qui n'hésitent pas à transmettre des tuyaux sur ces dissidents aux forces algériennes afin qu'elles fassent le ménage).

Comment ce rapport de force modèle-t-il le terrorisme, et les actions, dans la région ? Faut-il s'attendre à davantage d'attentats en Afrique ? Quelles pourraient-être les prochaines cibles ?

Le rapport de forces existant entre Al-Qaida "canal historique" et Daesh est à inscrire dans le contexte beaucoup plus global. Bien que les deux mouvements partagent la même idéologie, le salafisme-djihadisme, ils diffèrent sur les moyens pour parvenir à terme à l'établissement du califat mondial qu'ils appellent de leurs voeux. Plus encore, c'est une affaire d'ego entre Abou Bakr Al-Baghdadi qui remet en question l'autorité morale et opérationnelle du "vieux" docteur Al-Zawahiri "planqué" dans sa grotte au Pakistan (en fait, comme Ben Laden, il est plus probable qu'il se trouve dans une grande ville, en particulier pour pouvoir communiquer, ce qu'il fait abondamment ayant par exemple émis plusieurs messages en janvier).

Partout, les forces d'Al-Qaida "canal historique" s'opposent à celles de Daesh en particulier en Syrie, au Yémen, en Afghanistan, en Libye, dans le Caucase, en Extrême-Orient (notamment en Indonésie et aux Philippines) et accessoirement au Pakistan, au Bengladesh, en Égypte, au Liban... Les deux mouvements se livrent à une concurrence acharnée de l'horreur. Ainsi, les attentats de janvier à Paris ont été le fait de la branche yéménite d'Al-Qaida (Al Qaida dans la Péninsule Arabique -AQPA-)(1) et ceux du 13 novembre de Daesh. Leur objectif est de faire la "une" des medias et, en retour d'obtenir une popularité qui leur permet de recruter de nouveaux adeptes et de recevoir des fonds. A noter une différence d'action tactique : Al-Qaida tente de "cibler" ses objectifs (des journalistes ayant croqué le prophète, des juifs, des représentants de l'autorité -militaires, policiers, fonctionnaires-, etc.), en limitant les "pertes collatérales" alors que Daesh considère que tout est bon à tuer (attentats de novembre de Paris visant indistinctement des civls de tous types, confessions). Pour les idéologues de l'EI, tout ce qui n'est pas comme eux est un kafir (mécréant). Pour eux, le devoir de tout musulman vivant en terre infidèle est de rejoindre l'"Etat Islamique", tous les autres sont des traîtres qu'il convient d'éliminer.  

1. AQPA entretient les meilleures relations avec  AQMI, des déclarations conjointes des deux mouvements étant relativement fréquentes. Il est possible d'en déduire que ce sont les deux unités de pointe d'Al-Qaida central.

Une opération française a actuellement lieu en Afrique. Qu'est-il possible de dire sans risquer de mettre en danger les troupes sur places ?

L'opération Barkhane qui a succédé à Serval et Épervier engage quelques 3000 hommes sur tout le Sahel où les militaires français pourchassent les groupes islamiques radicaux AQMI, Ansar Dine, etc. en soutient des forces locales. Plusieurs hauts responsables d'Al Mourabitoune ont d'ailleurs été neutralisés (Omar Ould Hamaha, El-Hassen Ould Khalil, Ahmed al-Tilemsi, Abou Bakr Al-Nasr, etc.) grâce à l'efficacité des unités engagées. Mais il faut se rendre compte de l'immensité des territoires à couvrir. Pour faire une comparaison géographique, c'est comme si 3000 hommes devaient surveiller une surface allant de Gibraltar à Moscou !

Il serait peut-être utile de revoir l'ensemble du dispositif militaire français actuellement déployé de par le monde, bien sûr en accord avec tous nos alliés, en particulier avec les Américains. A savoir que sur le plan opérationnel, ils n'ont pas réellement besoin de nous sur le front-syro-irakien (peut-être que notre présence est surtout d'ordre "politique", mais tout cela devrait pouvoir se négocier). Notre présence dans le cadre de l'ONU pourrait aussi être reprise par d'autres nations (par exemple par des pays européens qui hésitent à s'engager plus avant en Afrique à nos côtés car ils considèrent que c'est le pré-carré de la France). L'utilité de la base française d'Abou Dhabi pourrait peut-être aussi être revue alors que la situation semble se normaliser avec l'Iran.. Enfin, l'opération Sentinelle pourrait passer peu à peu à des unités de réserve (certes à construire -l'idée d'une sorte de "garde nationale" n'est pas mauvaise- mais cela prendra beaucoup de temps) et à des société de sécurité privées. En matière d'efficacité, les militaires seraient consacrés à ce pourquoi ils ont été formé: le combat. Les employer comme vigiles armés est un sous-emploi très démotivant.

L'objectif consisterait à regrouper tous les moyens militaires sur le Sahel où l'armée française a une bonne expérience en sachant qu'à un moment ou à un autre, il faudra bien se pencher sur le cas libyen. Bien sûr, tout cela ne peut se faire qu'avec l'approbation des autorités politiques locales et avec la participation directe des forces africaines. L'appui de nos alliés est obligatoire, là encore les Américains sont incontournables car ils ont les moyens qui nous manquent cruellement. Cela n'interdirait pas la poursuite des individus impliqués dans des actions terroristes en France, cela en coopération avec les services alliés. Cela a été le cas au Yémen en 2015 lorsque les responsables d'AQPA qui avaient menacé la France et revendiqué les attentats de janvier ont disparu dans des conditions tragiques.  

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