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Quand la Chine projette sa fierté retrouvée à l'assaut des mers
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Poudrière maritime

Depuis la fin du maoïsme et de la guerre froide, la Chine qui tournait le dos à l'océan trouve son élan économique par et sur la mer. Du commercial au militaire, les enjeux de cette ascension balaient tous les secteurs et de vieilles querelles de voisinage se nourrissent désormais de calculs planétaires ... "La Chine et la Mer". Extraits.

Hugues Tertrais

Hugues Tertrais

Hugues Tertrais est Professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, il est Directeur du Centre d’histoire de l’Asie contemporaine (CHAC)

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"Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera". Cette prophétie attribuée à Napoléon, reprise par Alain Peyrefitte, a connu un énorme retentissement national en 1973. L’auteur opposait, dans le réveil de la Chine l’impératif d’indépendance à la course à la prospérité. Concluant que la Chine voulait être comme le loup, maître de ses mouvements, et non comme le chien gras mais portant colliers. [...] Cette fierté, on la retrouve symboliquement dans le refus des Chinois d’accepter l’idée d’une origine unique de l’humanité, située en Afrique, et la croyance en un homo asiaticus, originaire de Chine. Mais elle est surtout présente dans l’attachement des Chinois à l’ "empire du Milieu", né autour des rives du fleuve Jaune, étendu jusqu’à Taiwan et au Tibet, et dont le caractère chinois est inviolable et sacré.

La faiblesse de la Chine, du milieu du XIXe au milieu du XXe siècle, marquée par l’intrusion des Occidentaux, l’humiliation de la diplomatie de la canonnière et le conflit avec les Japonais, explique son acharnement à redresser sa fierté nationale depuis 1949, sans perdre son âme. [...]

Perception de la nouvelle approche stratégique chinoise

La stratégie chinoise s’inscrit dans la durée ; elle se base sur la patience, l’usure, parfois l’intimidation et non l’affrontement direct. […] Ainsi, le président Deng Xiaoping déclarait : "La Chine d’aujourd’hui est une grande puissance en voie de se réformer et de s’ouvrir, en voie d’ascension pacifique".

  • Cette « ascension pacifique », reflet de la culture chinoise, se traduit par :
  •  Un affichage de puissance tiers-mondiste et d’intérêts partagés entre la Chine et les pays en voie de développement (PVD);
  • Le respect de la doctrine de souveraineté étatique et du principe de non-ingérence ;
  • Un développement économique libéral débridé ;
  • Le développement du multilatéralisme afin de ne pas entrer dans un bipolarisme avec les États-Unis et de contrer la politique étrangère d’une Inde multipolaire depuis longtemps.

La Chine différencie soigneusement sa politique en fonction de zones déterminées par leur proximité de l’Empire du Milieu. Elle crée des relations de dépendance dans sa zone, notamment pour protéger ses  intérêts. Ses revendications territoriales à l’égard de ses voisins russe, japonais ou indien lui permettent de renforcer à la fois son sentiment national et son rang régional. Cela se ressent aussi avec son implication dans le forum régional de l’Asean qui lui permet de mieux affirmer ses revendications en mer de Chine du Sud.

La Chine refuse tout hégémonisme américain et réfute une éventuelle suprématie occidentale, considérant que le centre de gravité s’est déplacé des États-Unis vers l’Asie Pacifique.

Son niveau de sécurité intérieure, sa souveraineté et son unité nationale priment encore sur son ascendant international. Aussi, le développement de ses relations bilatérales, répond d’abord à ses intérêts économiques et stratégiques (satisfaire ses besoins en énergie) mais doit également tenir compte des critiques contre son régime. Il en est ainsi du "Beijing consensus" qui privilégie auprès des PVD la résolution de leurs problèmes de développement avant toute approche politique, en opposition avec la démarche américaine et la primauté des droits de l’homme. […]

Elle élabore pragmatiquement ses alliances et investissements. Il en va ainsi de la pénétration chinoise en Amérique latine : Beijing a jeté son dévolu sur le grenier à blé sud-américain comme sur le pétrole d’Amérique centrale ou les richesses de la forêt amazonienne. Mais son investissement dans le continent américain répond aussi à une logique politique. Présentant une alternative à la tutelle des États-Unis, elle permet à la Chine d’isoler Taiwan, qui compte dans cette région près de la moitié des pays ayant maintenu des relations diplomatiques.

Il en est également ainsi dans la mise en œuvre de sa stratégie dite du « collier de perles » qui lui permet de sécuriser ses lignes de communication et de consolider ses positions sur la route de ses approvisionnements pétroliers vers le Golfe.

Le multilatéralisme prôné par la Chine se traduit aussi par un investissement accru dans les instances internationales, une approche pragmatique dans les crises de notre planète avec un faible recours au droit de veto et des propositions de partenariat privilégié avec les PVD notamment africains lorsque cela bénéficie à son économie. Elle peut avoir un pouvoir d’influence bénéfique (crise nucléaire avec la Corée du Nord) ; encore faut-il réussir à l’y intéresser : on le voit dans le cas de l’Iran (prolifération nucléaire) ou du Darfour. […]

L'intégration de la chine dans la stratégie occidentale 

Comme dans les relations commerciales, il faut être ni naïf ni dupe avec la Chine mais jouer le "gagnant – gagnant" dans nos relations de puissance. Plus exactement, il s’agit de tenir bon sur la réciprocité, notion bien comprise des Chinois.

Tout d’abord, il ne faut pas surévaluer la puissance chinoise ; elle est encore loin de rivaliser avec celle des États-Unis. Mais les Chinois sont aujourd’hui incontournables compte tenu de leur position sur le plan économique, de leurs réserves maritimes et de l’importance de leur comportement pour la préservation de l’environnement. Il ne faut pas nourrir de complexes.

Sur mer, on ne peut ignorer les enjeux de sécurité maritime en Extrême-Orient, notamment la région du détroit de Malacca et leurs conséquences avec la mondialisation. Nous avons des intérêts partagés (un porte-conteneurs CMA/CGM appareille de Chine toutes les sept heures) et une coopération opérationnelle peut s’amorcer. Elle doit cependant s’appuyer sur une forme de réciprocité au risque d’être  dévalorisée et de nous voir considérés par les Chinois comme des acteurs de troisième zone.

La Chine dans sa stratégie africaine est d’abord intéressée par les ressources énergétiques. Ses relations peuvent à terme aggraver la déstabilisation de ce continent et présenter des risques pour l’Europe.

Notre intérêt est donc de nous imposer dans certains projets menés par la Chine sur ce continent afin de la contraindre à dépasser une approche mercantile pour intégrer le développement. Par exemple, la sécurité maritime, l’aide à la prise en compte de leur souveraineté maritime par les pays africains, la préservation de leurs ressources halieutiques par une exploitation contrôlée peuvent constituer des axes de partenariat.

La position européenne sur l’embargo chinois, sur les jeux de Beijing, sur son approche multipolaire et sa richesse culturelle nous placent en position favorable pour nos relations avec la Chine. La Chine, adepte du multilatéralisme, préfèrera toujours un dialogue séparant l’Europe des États-Unis. Notre relation avec notre allié américain doit s’apprécier sous cet angle.

La Chine constitue un acteur clef de la mondialisation. Notre stratégie ne peut que prendre en compte ce fait majeur. Pour nous, Occidentaux, la Chine est une grande puissance ; pour les Chinois, elle est avant tout la Chine, l’ "empire du milieu". La Chine reste maître dans l’art du Yin et du Yang, dans la maîtrise des principes masculins et féminins et il sera toujours très difficile à des Occidentaux de comprendre sa psychologie.

Pour conclure, je me réfèrerai à André Malraux s’exprimant dans La tentation de l’Occident. Le jeune Chinois Ling, dans sa correspondance avec un occidental, décrivait ainsi en 1926 la différence fondamentale d’approche entre la démarche occidentale et orientale : " L’une veut apporter le monde à l’homme, l’autre (l’orientale) propose l’homme en offrande au monde". Il surenchérissait en affirmant que  "les Chinois ont naturellement le sens de l’univers comme les Occidentaux ont celui de la patrie".

On peut se demander si, en ce début du XXIe siècle, ce rapport ne s’est pas inversé. En tout cas, sur mer, la puissance maritime et navale chinoise semble d’abord servir leurs propres intérêts nationaux, notamment en matière de prospérité économique, avant de prendre en compte les enjeux du développement durable de la planète ou de sécurité internationale. Sans être naïfs, à nous de convaincre les dirigeants chinois de leur intérêt de retrouver cette dimension universelle.

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Extraits de,Chine et la Mer Securite et Cooperation Régionale en Asie Orientale et du Sud Est L' Harmattan, (novembre 2011)

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