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Que risquerions nous vraiment à laisser de grandes banques faire faillite ?
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Sauve qui peut

La Banque centrale européenne a accordé 500 milliards d'euros à 523 banques de la zone euro. Le plus gros prêt de son histoire. Mais faut-il sauver les institutions bancaires lorsque celles-ci profitent des deniers publics ?

Driss Lamrani

Driss Lamrani

Driss Lamrani a exercé pendant plus de 10 ans les métiers de banquier d'affaires, d'opérateur de marché sur les produits dérivés et d'analyste financier au sein de divers établissements bancaires. Il a aussi participé à plusieurs ouvrages, en tant que spécialiste des opérations de marché.

Il a récemment publié, aux Editions Mélibée, un ouvrage intitulé "Vers de nouvelles bulles spéculatives... Comment les éviter ?", préfacé par Jacques Attali. Il est actuellement  stratégiste et économiste au sein d'un fonds alternatif à Londres spécialisée dans le Global Macro.

Il s'exprime sur Atlantico à titre personnel, et ses propos n'engagent en aucune façon son employeur.

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Après le sauvetage des institutions bancaires en 2008, une question a commencé à se propager dans le débat public : faut-il sauver les institutions bancaires lorsque celles-ci profitent des deniers publics pour payer bonus et dividendes?

L’interrogation sur le sauvetage des banques de taille importante est loin d'être le monopole d’un bord politique. L'école de Chicago de Milton Friedman, majoritaire dans la pensée économique qui conduit les affaires privées et publiques, préconise que tout acteur économique devrait pouvoir faillite. Cette pensée économique repose sa réponse sur la nécessité de se « débarrasser » des institutions qui prennent des risques trop importants ou qui font des mauvais choix stratégiques pour laisser émerger des entreprises mieux gérées qui apportent le meilleur rapport qualité / prix.

Cette philosophie économique a conduit à la mise en liquidation de la banque Lehman Brothers, lorsque celle-ci s’est trouvée prise dans une spirale de liquidité, compte tenu de l’effet de levier que la banque a accumulé et des craintes des marchés financiers sur sa solvabilité. Cependant, la faillite du 16 septembre 2008 a mis en évidence la particularité du secteur financier quand aux conséquences du défaut d’une de ses composantes.

Le secteur financier fait partie des secteurs réglementés pour lesquels le défaut d'un acteur peut avoir des conséquences sur d'autres acteurs qui ne sont pas décisionnaires dans la prise de risque ou dans le choix stratégique (1). Concrètement, le défaut d'une banque a des conséquences sur l'épargne (pour le montant des dépôts non garantis par les États), la disponibilité de crédit pour les entreprises et pour les ménages et pour la fluidité des financements du système bancaire et de l’économie.

La particularité du secteur bancaire naît de deux phénomènes : le mécanisme de la toile d'araignée (ou l'enchevêtrement des acteurs) et l'effet "sauve-qui-peut" (ou dit du co-risque).

L'effet toile d'araignée

Le marché interbancaire relie les banques entre elles par des crédits à court terme. Les banques excédentaires de liquidité utilisent ce marché pour prêter leurs excédents à des banques ayant des besoins de liquidité. Dans le cas ou une banque venait à faire faillite, les banques prêteuses enregistreraient des pertes sur leurs créances.

Ces pertes impactent les banques à deux égards : directement, la banque prêteuse est fragilisée par une réduction de ses fonds propres, indirectement, la réduction des fonds propres réduit la force de frappe que la banque peut déployer pour financer entreprises et ménages (le volume de crédit). Cet enchevêtrement explique une grande partie de l'effet de contagion que nous expérimentons depuis l'été 2011, puisque depuis juillet, les banques européennes subissent de plein fouet le manque d’appétit des investisseurs pour leurs apporter les liquidités en dollars dont elles ont besoin.

Lorsque Lehman Brothers a fait défaut en septembre 2008, le marché interbancaire s'est grippé avec une envolée du coût de liquidité. Le crédit à destination des entreprises et des ménages est devenu plus cher, et les entreprises commerciales devenant plus fragiles ont dû licencier, reporter les investissements et réduire les stocks.

La situation est devenue plus problématique lorsque l'assureur AIG, qui a offert aux banques, à travers des produits dérivés, des fonds propres supplémentaires, a vu sa note dégradée. En effet, lorsqu'une contrepartie est downgradée (2), celle-ci doit fournir des garanties en contrepartie de ses engagements, cette garantie est fournie sous forme de cash ou d'actifs liquides. Le manque d’actifs ou de liquidité accélère la faillite et par conséquent les effets directs et indirects que nous avons décrits précédemment.

Le défaut d'AIG aurait enclenché une réaction en chaîne, comme nous pouvons le simplifier par l'effet de la toile d'araignée. Ainsi, les banques contreparties d'AIG auraient fait défaut et par conséquent les banques qui ont prêté à ces contreparties se seraient retrouvées fragilisées avec un risque de défaut du système financier mondialisé.

Sans la mise en œuvre de régulation plus restrictive, alliant des mécanismes « de coupe feu » ou de « court-circuit », à travers notamment la généralisation des chambres de compensation (3), l’effet toile d’araignée risque de perdurer. Le Comité de Bâle a proposé, quant à lui, la mise en place d’un testament pour chaque entreprise financière. Cette idée est bonne sur le papier, mais uniquement sur le papier. En effet, un deuxième mécanisme rend le testament difficile à exécuter.

L'effet de co-risque ou du sauve-qui-peut

Pour bien comprendre ce mécanisme, supposons un groupe de personnes dans une salle de fête, au moment où une personne crie « Au feu ! ». L’effet de panique crée en règle générale, dans ce genre de situation, des conséquences néfastes plus importantes que le feu déclaré, dès lors que des actions sont mises en place pour résorber le problème.

Les marchés financiers fonctionnent d’une manière similaire à la salle des fêtes évoquée précédemment. Lorsque la peur de la débâcle touche une majorité des investisseurs, ceux-ci accourent pour liquider leurs investissements et précipitent la baisse (et crée dans certains cas des spirales dépressives aussi importantes que les bulles spéculatives).

Le testament préparé par les banques ne peut être exécuté dans des conditions satisfaisantes puisque la valeur des actifs estimés dans le testament devient dès lors surévaluée dans les scénarii de stress.

Pour laisser les institutions financières faire défaut, celles-ci doivent avoir des tailles « raisonnables »  en fonction de la taille des marchés financiers sur lesquels elles interviennent. Elles doivent aussi représenter des parts de marchés limitées sur le marché de l’épargne et doivent avoir des présences faibles dans le volume de financement des économies.

La mondialisation financière peut être une chance pour limiter les risques, encore faut-il que celle-ci s’accompagne de la mise en œuvre d’un « macro-régulateur » mondial (qui peut être le FMI) qui vérifierait qu’aucune banque, compagnie d’assurance, fonds de pension, ou entreprise commerciale ne représente une taille trop importante pour ne pas être en défaut.

Tant que cette situation n’est pas en place, il semble que les institutions financières continueront, pour sauver le système financier et économique, à bénéficier d’une garantie implicite donnée par les États. Cette analyse milite pour que les États puissent avoir un droit de regard important dans la gestion des rémunérations aussi bien des salariés que des actionnaires.

Le sommet de Bruxelles du début du mois a promis aux banques de rétablir leurs fonds propres en garantissant implicitement les obligations souveraines acquises par les investisseurs privés, et en offrant des taux de refinancement (à travers la BCE) plus faibles que la rémunération des obligations acquises.

Il faudrait, compte tenu des mécanismes décrits plus haut, obliger les banques à être vertueuses et à limiter les rémunérations puisque la solidarité publique n’acceptera pas, un autre défaut et d’autres sauvetages dès lors que les rémunérations ont été confortables, dans des secteurs aidés.

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(1)  La pensée friedmanienne suppose que chacun doit être responsable de ses actes, mais aucun ne peut être responsabilisé sur les actes des autres, surtout si les autres acteurs ont des compétences fortes pour « masquer » la quantité de risque qu’ils prennent.

(2)   Ce mécanisme s’appelle l’appel de marge et il est très utilisé dans les marchés des dérivés qui brassent des quantités de crédit importantes (le volume de dérivés à fin juin 2011 représentait quelque 700 Trillions de USD soit 14x le PIB mondial).

(3)  Ces chambres de compensation permettent de limiter la quantité de risque pris aux disponibilités de fonds propres et de liquidité de l’institution financière

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