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Agressions sexuelles de Cologne et d’Europe du Nord : ces délicates questions que soulève le caractère simultané des attaques
©Reuters

Chef d'orchestre

Dans la nuit du Nouvel an, des agressions sexuelles ayant recours au même mode opératoire ont eu lieu de façon simultanée dans les villes de Cologne, dans 12 villes allemandes, à Zurich et à Helsinki. D'après les enquêtes de police, les suspects sont quasi exclusivement des demandeurs d'asile ou des immigrés. Dans la foulée de ces agressions, la thèse d'une planification et d'une coordination de ces attaques a émergé sur les réseaux sociaux mais aussi chez certains responsables politiques sans que toutefois ne soit clairement établi qui se cacherait derrière ces attaques...

Matthias Beerman

Matthias Beerman

Matthias Beermann est Correspondant en chef du „Rheinische Post", deuxième quotidien régional en Allemagne avec près de 1 million de lecteurs, basé à Düsseldorf.

Il a fait des études en France et en Allemagne avant de commencer sa carrière de journaliste politique au quotidien "Stuttgarter Nachrichten". En 1998, il s’est installé comme correspondant pour la presse allemande à Paris. Pendant cinq ans, il a également présenté le magazine hebdomadaire „Forum des Européens" sur Arte. Il a reçu le prix du journalisme franco-allemand en 2001. En 2008, il a rejoint le "Rheinische Post" où il a d'abord travaillé comme correspondant régional avant de prendre la direction du service étranger.

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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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  • Des plaintes pour des agressions sexuelles le soir du Nouvel An ont été déposées dans 12 villes allemandes, selon une liste établie par l'hebdomadaire allemand "Focus".

  • Des agressions sexuelles pendant la nuit du Nouvel An ont aussi été constatées à Zurich, en Suisse. En Finlande, la police a relevé "de nombreux faits de harcèlement sexuel" sur une place du centre d’Helsinki.

  • Par ailleurs, le ministre fédéral de la justice Heiko Maas a déclaré que les agressions avaient été "planifiées sous une forme ou une autre".

  • Selon certaines rumeurs, un mini lexique arabo-allemand "sexuel" a été retrouvé sur un suspect.

  • Le sexisme des agresseurs et les violences sexuelles commises sont liés selon certains à des divergences culturelles profondes entre les immigrés musulmans et la population allemande.  Pour les partisans de cette thèse, les agresseurs, souvent très jeunes et non accompagnés de leurs parents sur le territoire allemand, n'ont pas intégré les valeurs de la société allemande.

Atlantico : L'ampleur et le caractère simultané de ces vagues d'agressions sexuelles est pour le moins interpellant. Ces attaques peuvent-elles avoir été planifiées et coordonnées? Si oui, par qui ?

Matthias Beerman : Sur ce point, il est très clair que l'enquête n'a pu confirmer aucune de ces idées-là. Il n'y a aucun élément qui permet d'affirmer que ces agressions à Cologne et dans d'autres villes ont été planifiées. Il semble assez probable qu'il y avait des groupes de réfugiés étrangers et de migrants qui se sont donnés rendez-vous sur les réseaux sociaux comme cela se fait habituellement pour une soirée comme le Nouvel an. Mais pour le moment il n'y a rien du tout qui indique qu'il y ait eu une orchestration par l'extrême droite ou par Daech ou par une autre organisation criminelle. La déclaration du ministre est problématique, ce ministre déclare des choses au sujet desquelles il n'a aucune preuve.

Dans un deuxième temps il a toutefois modéré ses propos. Pour lui c'était tellement monstrueux qu'il y avait forcément une organisation criminelle derrière. Mais c'est une position difficile à tenir pour un ministre de la justice, c'est pour cela qu'il a un petit peu rétropédalé par la suite. Aucun élément à ce stade ne permet de justifier ce genre de propos.  En ce qui concerne le lexique, il ne s'agit pas d'une rumeur. Notre journal a reçu un de ces papiers par la police.  Sur l'un d'entre eux, il y avait des traductions de l'allemand à l'arabe avec des formules telles que "je veux te baiser" mais d'autres papiers ont également été retrouvés avec des formules comme "bonjour comment allez-vous", des choses classiques que l'on trouve dans des centres de réfugiés. Ces papiers ne constituent pas une preuve pour affirmer qu'il y avait une quelconque organisation derrière ces attaques.

Julia Klöckner, la vice-présidente de la CDU, le parti d'Angela Merkel, a déclaré au quotidien Die Welt  que "Dans le cas des personnes issues de l’immigration, il y a certes un patient travail d’intégration à mener mais il faut aussi des règles claires, si nécessaire des sanctions et dans le cas de potentiels délits".Pensez-vous qu'il faille trouver à ces agressions des causes d'ordre sociale, culturelle et structurelle ?

Matthias Beerman :Il est incontestable qu'il y a des différences culturelles. Le nier serait complètement naïf. Je crois qu'il est clair qu'il y a certainement des causes d'ordre social et liées à l'origine des populations en cause qui peuvent en partie expliquer ce genre de comportement. Dans notre journal, nous sommes toujours très prudents, nous vérifions toujours les faits car beaucoup d'informations circulent sur Internet dont on ne peut pas vérifier l'origine. Mais nous croyons en tant que journal qu'il ne faut pas taire des éléments avérés. En cachant des choses, on nuit à l'intégration des migrantset des réfugiés. Il ne faut pas non plus tomber dans l'excès inverse et exagérer les faits. Il est sûr aussi qu'il y avait certainement une tendance en Allemagne à tous les niveaux, même au niveau de la police, à ne pas trop parler de ce genre d'agressions. L'Allemagne n'est pas le seul pays à masquer des incidents de ce type. Des attaques similaires ont eu lieu en Suède deux années de suite (en 2014 et en 2015) dans le cadre d'un festival à Stockholm et la police a camouflé les faits. Nous en tant que journal considérons que ça ne sert à rien de camoufler ce genre de faits. On nous a menti dans un premier temps. Quand on a eu vent des agressions, la police nous a menti très clairement. Le rapport officiel disait qu'il n'y avait eu aucun comportement excessif à Cologne. En ce qui concerne les incidents de Cologne c'est vraiment un problème de communication de la police. Par ailleurs, depuis 2008, il y a une sorte de code pour la police qui indique comment traiter l'information dans ce genre d'affaires. A la lecture de ce texte, on peut le comprendre entre les lignes comme une incitation à ne pas trop en dire. 

Certaines voix disent qu'une organisation terroriste telle que l'Etat islamique pourrait être à l'origine de cette vague d'agressions sexuelles. Quels éléments vont dans ce sens, et quels autres contredisent cette version ?

Alexandre Del Valle : Je ne suis pas sûr que cette hypothèse soit le cas en réalité. Quand les révolutions arabes ont commencé, on a vu le même genre de scènes horribles sur la place Tahrir en Egypte, ou encore en Tunisie, quand des filles ont été massivement touchées, violées et humiliées par des mâles misogynes et frustrés qui se sont sentis légitimés par le discours islamiste hostile aux femmes libres accusées de "fornication" et de "perversité"...

Effectivement, ce type de comportement peut profiter des répercussions des certains discours extrémistes misogynes islamistes radicaux : toutes ces femmes laïques, modernes, occidentales, trop libres sont des "prostituées". Dans ce raisonnement, il est licite pour certains islamistes jihadistes et radicaux de leur manquer de respect, voire de les violer car elles ne sont pas respectables et "n’appartiennent à personne" puisque non contrôlées par un mari un frère ou un père. Les islamistes respectent les "filles pures", soumises à leurs maris, mais ils vont souiller avec une sorte de blanc-seing la femme qui n'est pas licite ou conforme.

Ce n'est pas forcément un complot d'une organisation terroriste comme l'Etat islamique qui est derrière. C’est en fait encore plus grave et pire, car la haine envers les filles libres, qui va de pair avec celle envers les infidèles, les croisés les "apostats" ou les juifs, est en plaine ascension au niveau mondial au sein des sociétés islamiques. C’est donc bien pire que cela : dans les sociétés du Maghreb elles-mêmes, on observe une augmentation du nombre de viols, d'atteintes à l'honneur de certaines filles qui ne sont pas mariées, mais aussi dans nos banlieues avec une régression subite et massive du statut de la femme. Une fille qui ne cache pas ou plus ses formes, qui est ouvertement émancipée, qui se balade seule dans le métro ou dans la rue en tenue "provocante" n’est une "kahba", c'est à dire une "pute"... Ce n'est pas pour rien si des mouvements comme "ni pute ni soumise" a été créé par des femmes d'origine maghrébine qui ne voulaient plus choisir entre être "une pute émancipée" ou une "femme soumise et voilée".

Cela s'inscrit dans un processus plus long et ancien, exacerbé, certes, aujourd'hui par ce qui se passe dans les pays du Maghreb et du Machreq résislamisés, où il y a de plus en plus de frustration sexuelle. Plus l'islamisme radical monte, plus on est frustré et plus les femmes non-islamiques deviennent des défouloirs. Et en même temps, c'est une tendance que l'on retrouve dans nos banlieues. 

L'Etat islamique, sans y avoir participé directement, a donc pu contribuer à déculpabiliser ces comportements primaires et barbares en les mettant en pratique là où ils se trouvent, en faisant de yézidis ou de chrétiennes des esclaves sexuelles, tout en se targuant de pratiquer une "version pure" de l'islam.

Même si l'on ne peut pas complètement écarter cette hypothèse, un complot secrètement ourdi de 1000 personnes réunies dans plusieurs villes d'Allemagne demande une logistique trop importante et trop de discrétion pour être le fait du seul Daesh. Par contre, il est vrai que les nouveaux médias et l’impact mimétique à la fois de la culture rap et de la barbarie médiatisée de Daesh peuvent faciliter les mises en relation et les délires sadiques collectifs déculpabilisés, comme lors des révolutions arabes ou sous le règne de l’Etat islamique.

Maintenant, à la question de savoir si ce type d'événement profite à une organisation comme l'Etat islamique, la réponse est oui. Le but de l'Etat islamique est d'empêcher qu'un musulman ne vive heureux en terre "infidèle", et donc d'empêcher que non-musulmans et musulmans ne cohabitent, au moyen de la division et des haines inter-communautaires notamment en plus du séparatisme victimiste.

Le premier but de l'Etat islamique, avant même d'islamiser le reste du monde, d'envahir l'Occident, la Chine ou l'Inde, est D’ABORD de séparer les musulmans ("purs") des non-musulmans ("impurs"), et de faire vivre les premiers dans des territoires islamiques séparés. Et pour y arriver, pour faire partir les musulmans d’Europe ou les séparer des "impurs", puis pour recruter dans le cadre de la dénonciation de "l’islamophobie", l'EI a intérêt à faire monter la haine anti-islamique et inter-confessionnelle, d’où également les appels à tuer les croisés chrétiens, les musulmans "apostats", les juifs, etc. et comme ils l’espèrent à Cologne ou ailleurs, ils savent qu’une critique de la délinquance islamique croissante et majoritaire dans certaines villes d’Europe pourrait entraîner une haine réactive anti-immigrée et antimusulmane dont ils escompteraient tirer profit.

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