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Hippocrate contre les technocrates : ce rythme infernal qui pousse les médecins au burn-out
Hippocrate contre les technocrates : ce rythme infernal qui pousse les médecins au burn-out
©Taber Andrew Bain / Flickr

Suicide à l’hôpital Pompidou

Après le suicide d'un médecin à l'hôpital Georges Pompidou, la direction a annoncé un plan d'action qui a pour but de "traiter les situations conflictuelles". Car ce n'est pas tant le soin apporté aux patients qui déséquilibre psychologiquement les médecins hospitaliers, mais les à-côtés : recherche, administration, gestion de conflits.

Pierre  Canoui

Pierre Canoui

Pierre Canouï est psychiatre et psychothérapeute, docteur en éthique médicale
et biologique, praticien attaché-consultant à l'hôpital Necker-Enfants Malades, auteur de “Le burn out à l'hôpital : Le syndrome de l'épuisement professionnel”, aux éditions Masson.

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Atlantico : Fin décembre, un cardiologue de 54 ans s'est suicidé à l'hôpital européen Georges Pompidou (Paris), où il travaillait, en se jetant par la fenêtre d'un étage de l'établissement. Cet acte révèle d'une certaine façon une ambiance délétère et une surcharge de travail des employés au sein de l'établissement. Si le burn-out des médecins généralistes est un phénomène qui commence à être connu, cette triste affaire a montré que ce mal touchait aussi les médecins hospitaliers. Est-ce une tendance récente ?

Pierre Canoui : Non, cela fait longtemps que le taux de suicide des médecins hospitaliers est supérieur au taux de la population normale.

On a commencé à parler du burn-out à partir des années 1950. On utilisait alors le terme de "dépressions d'épuisement". Puis les symptômes ont été précisés dans les années 1970. C'est d'abord chez les infirmières et les aides-soignantes que le mal a été diagnostiqué, puis chez les médecins généralistes. Dans les années 2000, l'Ordre des médecins s'est même beaucoup inquiété d'une vague de suicides dans le Var et a mis en place un numéro vert pour éviter de tels drames.

Comment expliquer que les médecins hospitaliers soient surmenés au point de faire des burn-out, allant parfois jusqu'au suicide ?

Il faut savoir que les chefs de service hospitalier sont soumis à des exigences et des demandes extrêmement compliquées. Il y a le soin bien sûr. Ensuite, il y a la recherche et les publications d'articles scientifiques nécessaires pour progresser dans la hiérarchie hospitalière. Enfin, ils ont aussi la charge de la gestion administrative et financière de leur service, chose pour laquelle la plupart ne sont pas formés, le tout sous la coupe de leur directeur d'hôpital.  Il leur faut donc deux voire trois temps pleins pour réaliser tout ce qu'ils ont à faire, sachant qu'à l'hôpital public, on est chef de service à vie, c'est donc difficile de voir le bout du tunnel. J'ai beaucoup de collègues qui sont chefs de service et qui me disent qu'ils ont envie d'arrêter de l'être.

Pour ce qui est des simples médecins hospitaliers, ils doivent également compléter le soin par de la recherche. Ils sont notés à ce sujet, et ils la font en dehors de leurs heures de travail (durant la nuit, le dimanche, les vacances), délaissant leurs sphères familiales et amicales. Ensuite, ils sont souvent pris dans des conflits internes avec leurs collègues, des conflits de personnes ou de pouvoir, qui peuvent être extrêmement violents et destructeurs, comme l'a révélé l'affaire du suicide à Georges Pompidou - l'hôpital est un véritable volcan de susceptibilités -. Enfin, ils sont quand même amenés à gérer des problèmes médicaux difficiles, car ils sont le dernier rempart avant la mort, et beaucoup souffrent d'un manque de reconnaissance de la part des patients ou de leurs collègues.

Quels sont les signes annonciateurs d'un burn-out ?

Les gens en burn-out sont en général des travailleurs épuisés, qui expriment la volonté de quitter leur métier, mais qui n'y arrivent pas car ils restent passionnés par ce qu'ils font et sont sur-investis.

Mais attention, il n'y a pas qu'un seul burn-out : chaque profession développe des burn-out qui leur sont propres. Des infirmières en burn-out n'auront pas les mêmes symptômes qu'un médecin, qu'un journaliste ou qu'un cadre administratif par exemple.

Pour ce qui relève du burn-out du médecin hospitaliers, il y a des signes qui ne trompent pas :

  • Le présentéisme au travail, qui devient beaucoup trop important, avec des médecins qui n'arrivent plus à quitter l'hôpital.

  • Une difficulté à créer du lien avec les autres qui s'installe, une perte d'empathie. C'est ce qu'on appelle la dépersonnalisation de la relation.

  • L'absence d'efficacité des vacances et du repos. Ces médecins en difficulté sont sans cesse en train de réfléchir, ils n'arrivent plus à couper et à se reposer.

Est-ce plus difficile de détecter un épuisement professionnel chez les médecins que chez un patient lambda ?

Oui, déjà parce que entre collègues, le sujet reste encore complètement tabou. On commence a en parler chez les infirmières, mais les médecins n'osent pas demander de l'aide, ils ne feront jamais l'effort d'aller voir un psychologue de leur propore initiative ou de prendre le temps de s'auto-diagnostiquer.

Ensuite parce que c'est tout simplement encore considéré comme une faiblesse de se sentir dépassé, surtout lorsque l'on occupe des postes avec d'aussi grandes responsabilités. A l'hôpital public, on se sent investit d'une manière plus importante qu'ailleurs, parce qu'on sait qu'on doit trouver la solution pour le patient et que l'on est sa dernière chance.

Pour toutes ces raisons, le burn-out chez les médecins hospitaliers est encore complètement sous-diagnostiqué. Le suicide du médecin du centre Pompidou n'est que la partie immergée de l'iceberg.

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