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L'heure de la facture : l'Europe s'est trop longtemps shootée avec de l'argent non gagné
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Déprimant

Crise brutale ou décennie de croissance molle : il n'y a pas de bon moyen pour apurer la bulle d'argent non gagné qui a été injecté dans la zone euro. La comparaison des agrégats monétaires de la zone euro avec ceux du dollar est accablante pour l'Europe...

Jean-Pierre Chevallier

Jean-Pierre Chevallier

Jean-Pierre Chevallier est économiste, spécialiste de politique monétaire et analyste financier indépendant.

Il anime le blog chevallier.biz.                                                                                                                                                                                                                  

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Il est totalement inutile de multiplier les sommets historiques pour sauver l’euro, le monde et refonder le capitalisme car l’effondrement de l’euro système est inscrit depuis l’origine dans l’évolution des agrégats monétaires. Quelques explications sont nécessaires dans le cadre du monétarisme qui est le courant de la pensée économique, particulièrement mal connu en France, pour lequel l’évolution de la masse monétaire est à la base de la richesse des nations et de leurs habitants…

L’argent qui circule dans tout pays souverain constitue la masse monétaire M3. Son évolution est particulièrement surveillée par les dirigeants de la banque centrale car la situation économique peut vite devenir catastrophique si elle augmente trop rapidement. Elle est divisée en trois parties que l’on nomme les agrégats

M1 représente l’argent qui se trouve sur les comptes bancaires (de dépôt) et dans les portefeuilles des personnes qui y résident. L’agrégat M1 représentait 28 % du PIB avant l’adoption de l’euro (en 1998) et sa part aurait dû baisser à 15 % comme aux Etats-Unis. Mais depuis la fin 2009, elle dépasse 50 % (du PIB), ce qui signifie que de l’argent non gagné a été distribué en masse, surtout dans ce que les Anglo saxons ont pris l'habitude de nommer ces "cochons de pays du Club Med" (PIGS), ce qui a provoqué cette hypertrophie létale et très difficilement rattrapable de la masse monétaire.

M1 se montait à 4 770 milliards d’euros fin octobre pour un PIB annuel de la zone euro de 9 470 milliards d’euros (contre respectivement 2 150 milliards de dollars et 15 181 milliards pour les Etats-Unis).  

Comme M1 devrait représenter 15 % du PIB, 3 350 milliards d’euros sont en excédent. C’est de l’argent non gagné qui se trouve pour l’essentiel sur les comptes bancaires des résidents de la zone euro (ce qui permet au passage aux banques de se financer ainsi presque gratuitement !).

La création monétaire provient généralement de règles comptables qui ne donnent pas une image fidèle de la réalité.

Ainsi par exemple, en France, les engagements de retraite ne sont pas comptabilisés à leur juste valeur. En Grèce les hôpitaux ne paient plus les médicaments qu’ils achètent aux laboratoires pharmaceutiques car ils n’ont plus d’argent. En Espagne, les pharmaciens ne sont plus payés par les provinces (régions) qui sont censées jouer le rôle de la Sécurité Sociale en France.

Une baisse forte et rapide de M1 pourrait mettre fin à cette hypertrophie monétaire et rétablir des fondamentaux sains, ce qui ne pourrait se faire que lors d’une crise très forte, pire que celle des années 30. Cette hypothèse est possible. Ce serait alors une crise systémique, c'est-à-dire un effondrement de tout le système économique de la vieille Europe et des banques en particulier. Les dommages seraient considérables, mais les pays européens pourraient repartir durablement par la suite en forte croissance, comme cela s’est produit en Argentine.

La baisse de M1 pourrait être lente et faible. Dans ce cas, la vieille Europe serait condamnée pour des décennies à une croissance molle voire nulle et même négative (comme ce qui s’est passé pour le Japon), les désordres iraient croissant, ce qui correspond exactement à la stratégie américaine qui obtiendrait ainsi un affaiblissement irrémédiable des concurrents qui auraient pu remettre en cause son leadership dans le monde.

Cette seconde hypothèse est celle qui est souhaitée par les Américains et c’est celle qui est (péniblement) mise en œuvre par la nomenklatura qui dirige ce qui ressemble de plus en plus à l’€URSS, l’Euro-Union des Républiques Socialistes Soviétiques.

Une hypertrophie en M1 est a priori impossible à résorber d’une façon ordonnée. Il n’y a pas à ma connaissance d’antériorité.

L’argent n’est donc pas sain dans la zone euro, or l’argent sain est le premier pilier des Reaganomics qui sont les monétaristes les plus nombreux et les plus influents, principalement aux Etats-Unis.

L’agrégat M2-M1 correspond à l’argent déposé dans les caisses d’épargne. C’est essentiellement une épargne de précaution qui augmente pour faire face à des difficultés prévisibles ou qui baisse quand les perspectives sont bonnes. La part de M2-M1 dans le PIB est a priori normale car elle fluctue autour de 40 %, c'est-à-dire en concordance avec la référence que sont les Etats-Unis.

Il n’en est pas de même pour l’agrégat M3-M2 qui correspond à la trésorerie des entreprises. Il représentait 27 % du PIB aux Etats-Unis en février 2006, dernier chiffre connu car le bombardier furtif B-2, Ben Bernanke, a pris soin (de nombreux mois avant de prendre ses fonctions à la tête de la Fed), de ne plus publier les chiffres de M3 de façon à ce que ces données restent confinées dans le cercle très fermé des gens de la Fed, ce qui est parfaitement inadmissible mais admis (si les parlementaires américains avaient un minimum de culture économique, ils auraient exigé que la Fed reprenne la publication de ces données, ce qui aurait permis à tout le monde de déceler l’émergence de l’hypertrophie monétaire qui a éclaté avec la crise dite des sub-primes puis celle qui a suivi la faillite de la banque des frères Lehman).

Dans la zone euro, M3-M2 fluctue aux alentours de 12 % depuis 10 ans, ce qui signifie que les entreprises ne gagnent pas assez d’argent. Elles ne peuvent donc pas investir suffisamment et elles perdent petit à petit leur compétitivité par rapport à leurs concurrents.

Une monnaie doit correspondre à un pays, et inversement. Une zone monétaire comme celle de l’euro, constituée de pays souverains dont les niveaux et les gains de productivité sont différents, est contraire à ce principe irréfragable (que l'on ne peut pas récuser). Des bulles monétaires peuvent alors se développer facilement.

Les autorités japonaises n’ont pas réussi à faire éclater la bulle en M3-M2 qui s’est développée dans leur pays dans les années 80, ce qui handicape et affaiblit considérablement les entreprises nippones encore aujourd’hui.

B-2 a laissé se développer la bulle en M3-M2 puis il l’a fait éclater, ce qui a provoqué un choc mondial fatal à l’euro comme l’avait fort justement prédit ce cher Milton Friedman, père fondateur du monétarisme qui aimait répéter que tout est simple

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