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Mais pourquoi Marine Le Pen a-t-elle décidé de se faire si discrète ?
©Reuters

Semi-retraite

Alors que le débat sur la déchéance de nationalité bat son plein, Marine Le Pen s’est montrée étonnamment silencieuse sur ce sujet. L'année, 2016 pourrait bien être l’année de la discrétion pour la présidente du Front national, pour revenir plus forte en 2017.

Christophe Forcari

Christophe Forcari

Journaliste au service politique de Libération Christophe Forcari suit l’actualité du Front National depuis 1999. Il est l’auteur de Le Pen le dernier combat sorti en 2006 aux éditions Jacob Duvernet.

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Atlantico : Dans un contexte politique où le débat sur la déchéance de nationalité et l’identité nationale fait rage en France, Marine Le Pen s’est faite très discrète ces derniers jours sur cette question. Comment expliquer cela selon vous ?

Christophe Forcari : Il y a deux raisons. Elle s’est contentée pour le moment d’une seule déclaration en disant que les idées prônées et défendues depuis des années par le parti qu’elle préside ont été reprises par tout le monde. Elle considère donc dès aujourd’hui qu’elle a gagné la bataille des idées, ce qui n’est pas tout à fait faux. En second lieu, pourquoi en rajouterait-elle alors que les partis politiques traditionnels, à droite comme à gauche, étalent leurs divisions sur cette question. On voit bien qu’au sein du parti Les Républicains comme au sein du Parti socialiste, différents courants s’affrontent et ne sont pas d’accord. De son côté, le Front national affiche, lui, un front unique et compact sur cette question. Vous n’avez vu personne au Front national dire que ce n’était pas une bonne mesure et qu’on pourrait faire autrement. Marine Le Pen n’a donc pas besoin de verser de l’huile sur le feu. Aujourd’hui, elle décide de laisser les partis de l’establishment et du système donner leur spectacle de divisions internes. Pour elle, c’est forcément tout bénéfique politiquement. Mais si elle est pour le moment la grande gagnante de ce débat national, il est encore trop tôt pour se prononcer sur le long terme. Quand on voit les deux sondages qui ont été publiés récemment, les Français sont favorables à cette mesure (à 94% pour le premier sondage et à 86% pour le second). Elle pourrait marteler son message en répétant "Vous voyez bien, on était les premiers à le dire", mais elle n’en a pas besoin parce que dans l’esprit d’une frange assez grande de l’électorat français, le fait que le FN ait été le premier à défendre cette mesure est totalement admis. C’est clair et net dans l’esprit de beaucoup de gens. Elle a même évité un impair qui était de revenir sur ce qu’elle appelle les "Français de papier", des gens qui ont des papiers d’identité français mais qui ne le sont ni par culture, ni par tradition. Elle n’a pas insisté là-dessus car, là encore, les faits nourrissent son discours et vont dans son sens.

Marine Le Pen a été très discrète, mais elle a tout de même présenté ses vœux à la presse ce jeudi en affirmant regarder déjà vers l’avenir. Selon vous, quelle va être sa stratégie dans les mois à venir ? A quoi peut-on s’attendre de sa part ?

La stratégie du Front national a été dessinée par les dernières élections régionales. Il n’a peut-être pas remporté de région, mais il a vu son nombre d’électeurs grossir entre les deux tours. Il y a de plus une nouvelle sociologie de l’électorat FN qui se dessine. Face à ce qui a été mis en place par les deux partis du système pour empêcher le FN de prendre la présidence d’une région, elle a tout intérêt à s’abstraire des petites chicaneries de politique politicienne qui vont opposer le PS aux Républicains, qu’elle met dans le même sac en les taxant "d'UMPS". C’est la logique du "ils ne veulent pas de nous, qu’ils se rassurent on ne veut pas d’eux non plus". Sa stratégie sera au contraire de privilégier ce qu’elle a expliqué lors de ses vœux, à savoir un contact direct avec le peuple d’en bas, la France réelle. Elle va jouer la carte de la France réelle contre la France d’en haut.

Elle dit vouloir être discrète en 2016 et battre la campagne pour aller à la rencontre des Français. Est-elle vraiment capable de se mettre à l’écart du jeu politique médiatique ?

Qu’elle s’y tienne ou qu’elle ne s’y tienne pas n’est pas vraiment le problème. Elle engrangera de toute façon. Elle sera toujours le petit caillou dans la chaussure pour dire que l’establishment est animé par les fausses promesses et les faux débats et qu’il ne s’occupe pas de la population. Qu’elle s’y astreigne ou pas n’est pas le problème. Elle pourra toujours faire un retour au quotidien de la politique puisque personne ne peut dire de quoi sera faite l’année 2016. Le problème pour elle, c’est qu’on est dans une année plate politiquement, sans aucune échéance électorale alors que les deux dernières années étaient marquées par les territoriales et les régionales. Comment exister dans le débat politique alors qu’il n’y a pas d’échéance électorale, et que la primaire de la droite et les divisions au sein du PS monopoliseront probablement l’actualité ? C’est un problème beaucoup plus compliqué pour elle.

Marine Le Pen chercherait en coulisses à débaucher des personnalités de droite comme Nicolas Dupont-Aignan, Philippe de Villiers, Thierry Mariani ou Henri Guaino, dans le but de trouver des soutiens et un peu de respectabilité en vue de passer le fameux cap du second tour. C’est une stratégie payante selon vous ?

Je pense tout d’abord que c’est un peu prématuré pour le moment. Marine Le Pen se rend bien compte aujourd’hui que, même sans parler du plafond de verre qui est de plus en plus un non-sens, jamais un candidat à la présidence de la République n’a gagné tout seul avec son parti et ses seules forces. Il va lui falloir trouver des alliés et des partenaires. Elle n’en est pour le moment qu’aux prémices de ses tentatives de débauchage. Elle parie beaucoup sur une division des Républicains à l’occasion de la primaire pour tenter de récupérer quelques personnalités ou quelques élus. C’est un pari hasardeux. Les partis d’élus, même quand ils sont divisés, ne se scindent pas aussi facilement. Chaque élu a peur de ne pas être réélu s’il tourne le dos aux gens qui lui ont permis d’être élu. Ce sera donc beaucoup plus compliqué qu’elle ne le pense. C’est en tout cas une stratégie vers laquelle elle s’engage, bien évidemment. Elle semble considérer qu’il y a une partie de l’électorat de droite qui ne se sent plus représentée par Les Républicains et qui se retrouve parfois dans le discours d’un Villiers ou d’un Dupont-Aignan. Cela peut effectivement lui donner l’appui supplémentaire pour essayer de passer un second tour. Mais aujourd’hui, les conditions ne sont pas encore réunies pour un ralliement de ces personnes derrière elles. Vis-à-vis de son électorat, la question sera de savoir si elle risque de perdre une partie de son électorat populaire (qui constitue le noyau dur de son électorat) en s’alliant avec des personnes de la droite. Peut-être prend-elle ce risque en se disant qu’elle regagnera ces voix avec la partie de l’électorat de droite qui ne se reconnaît plus dans Les Républicains. L’enjeu est là.

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