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Quand la crise réveille 
la peur de l'étranger
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Intégration

Que souhaitent les Français ? Quelles orientations souhaitent-ils pour le prochain quinquennat ? Découvrez les tendances sociologiques des Français : leurs "prospectives de vie" préférentielles, mesurées par l'Observatoire du CCA, dans le livre "2012-2017 : ce que veulent les Français". (Extraits).

Mike  Burke, Sandrine Cathelat, Bernard Cathelat, Robert Ebguy et Denis Quénard

Mike Burke, Sandrine Cathelat, Bernard Cathelat, Robert Ebguy et Denis Quénard

Mike Burke, Sandrine Cathelat, Bernard Cathelat, Robert Ebguy et Denis Quénard sont sociologues, spécialistes des études de styles de vie et tendances sociales.

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En France, jusqu’à présent, le modèle d’assimilation ou d’intégration laïc et républicain avait plutôt bien fonctionné. Aujourd’hui, il faut bien constater un malaise majoritaire, de plus en plus assumé avec moins de mauvaise conscience, et un glissement progressif vers la xénophobie. Quarante pour cent des Français déclarent (en 2010) qu’il faut accepter les travailleurs étrangers en France, contre 57,6 % qui voudraient bien s’en passer…

La faute de la mondialisation ?

Les Français sont inquiets face à la crise ; désespérés face à une Europe en panne, faute de frontières claires et de projet précis ; désemparés face à une économie qui expose ses salariés et ses entreprises aux excès de la mondialisation, au lieu de les en protéger ; anxieux face à un islam associé aux attentats du 11 septembre 2001, plutôt qu’à celui des révoltes arabes pour la démocratie ; en proie au doute quant à leur avenir, au devenir de leurs principes de vie sociale face aux autres références culturelles et systèmes de valeurs1. Dans ce contexte d’angoisse, il faut trouver des boucs émissaires : ce sera tout ce qui est extérieur :

  • la mondialisation en général : 70 % des Français pensent que pour piloter l’économie, à l’avenir, il faut nous protéger contre la mondialisation (CCA) ;
  • l’étranger chez nous, perçu comme invasif : si la société vire à la jungle, ne serait-ce pas la faute des corps étrangers ? Dans un contexte d’individualisme concurrentiel, le corps social est ressenti comme trop hétérogène par les origines, les cultures, les couleurs, les corporations. On assiste à la renais- sance des antagonismes sociaux, des frontières mentales qui s’installent, des fractures culturelles qui se creusent et des fractures sociales qui s’aggravent. (…)

La faute du FN ?

Le Front national a toujours joué sur le rejet des boucs émissaires étrangers. Jean-Marie Le Pen privilégiait les juifs, dans la grande tradition pétainiste. Sa fille, Marine Le Pen, actualise le propos en ciblant l’islamisme, les musulmans, les arabes en général, avec un alibi nouveau : la défense de la laïcité sacrée.

Si le discours de l’extrême-droite s’est renouvelé, c’est pour mieux épouser les peurs du moment : il était ultralibéral, il est devenu antimondialisation ; il était ouvertement antisémite, il s’est rapproché des extrêmes droites israéliennes pour se laver de son passé vichyste et collaborationniste.

Le rejet de l’autre, la peur de l’autre sont souvent à la base de constructions identitaires. Moins on sait qui l’on est, plus on a besoin de repoussoirs, plus on devient raciste au nom d’une identité qui reste un foyer virtuel, selon l’expression de Lévi-Strauss : « L’identité [...] est une sorte de foyer virtuel auquel il nous est indispensable de nous référer pour expliquer un certain nombre de choses, mais sans qu’il ait jamais d’existence réelle[1] ».

La faute d’une faiblesse d’identité nationale ?

La xénodéfiance est une réaction défensive élémentaire, la réaction de rejet d’un corps étranger par un écosystème social, comme le corps le fait pour une greffe ; la civilisation seule fait reculer ce réflexe primaire, lorsqu’une société se sent assez sûre d’elle-même pour digérer des gens différents sans se perdre elle-même.

Cette réaction d’ostracisme reprend de la force lorsque l’organisme d’accueil se sent lui-même fragile, incertain de son corps propre, de ses frontières et de sa propre identité. Or, aujourd’hui, la fourmilière de la mondialisation anonyme rend plus floues les identités nationales, affaiblit les États-nations et moque leur autonomie : de là naît le besoin de repli sur une identité collective. Même si un débat sur l’identité nationale fut lancé fin 2009 et géré en 2010 d’une façon politiquement maladroite et probablement pleine d’arrière-pensées démagogiques, le problème n’en est pas moins bien réel : qui sommes-nous ? Quelles sont les valeurs socle de notre dénominateur commun à partager avec les immigrés ?

La xénophobie est encore renforcée quand les fragilités individuelles viennent renforcer la fragilité collective. C’est bien le cas aujourd’hui : le pessimisme presque désespéré conduit beaucoup de citoyens, les plus fragilisés, à déconnecter le souci de soi du souci de l’autre, à se sentir en concurrence avec tous les autres et particulièrement l’étranger, l’illégitime, le non-conforme à notre conformisme. (…)

Et si l’immigration n’était pas un problème, mais une solution ?

L’Europe et sa population vieillissante ont besoin de davantage d’immigrés pour échapper au déclin. Les travaux de la Commission européenne montrent que, sans eux, la main-d’œuvre diminuerait d’environ cent millions dans l’Union, au cours des cinquante prochaines années, même si la population totale continue d’augmenter. La diversité fait désormais partie du paysage des pays européens, il va falloir apprendre à vivre avec cette idée et surtout avec des gens de cultures différentes.

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Extraits de2012-2017 : ce que veulent les Français : Styles de vie. Entreprise, démondialisation, parité, famille, gouvernance, travail, communautés, internet, santé, école, médias, multinationale, médiateurs...Eyrolles (novembre 2011).



[1] Claude Lévi-Strauss, L’Identité, Paris, PUF, 1977, p. 332.

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