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Viol diffusé sur Facebook et obsession pour la déchéance de nationalité : les deux faces d’une même impuissance du politique
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Action !

Trahison de la conscience nationale, par des gouvernants électoralistes et démagogiques ou mépris d’un viol diffusé par les réseaux sociaux de la part de responsables judiciaires aveugles, on est, dans les deux cas, confrontés à l’impuissance publique des élites françaises, dépassées par le monde d'aujourd’hui.

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy est philosophe, analyste du discours politique et des idéologies.
 
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A peine commencée, l’année 2016 est déjà marquée par deux faits réductibles à un triste constat. Au plan politique, comme au plan culturel, la génération des plus de trente ans, occupant les postes clefs du pouvoir, détenant les manettes de la puissance publique et dont le rôle est de défendre la Loi, l’autorité de l’Etat et un idéal national presque bicentenaire, est dépassée.

Submergées par un siècle où les nouvelles technologies développent une force historique sans précédent, les élites peinent à donner sens au nouveau. Elles accusent à son égard un retard mental aussi vaste que celui d’un homme préhistorique qui se trouverait plongé dans une mégalopole du XXème siècle. Cependant, contrairement au pauvre homme, elles n’ont aucune excuse, puisqu’elles disposent de tous les moyens, à commencer par la contemporanéité de leur cerveau, pour comprendre la vie d’aujourd’hui.

Revenons aux deux faits récents, l’un relevant du politique et l’autre du culturel qui nous importent. La volonté présidentielle et gouvernementale de déchoir de leur nationalité française les musulmans bi-nationaux auteurs d’actes terroristes, d’une part, et la saisie du parquet contre deux jeunes hommes de 20 ans, pour avoir diffusé sur Facebook la vidéo du viol d’une jeune-fille, petite amie de l’un d’eux :

1- Le choix politique de traiter au plan symbolique le terrorisme par la question de la déchéance de nationalité traduit pour moi, l’incapacité du Président de la République, et des politiques en général, à comprendre, non seulement la nature et les moyens du processus de radicalisation conduisant au terrorisme islamiste mais surtout ce qu’en pensent les Français et que les politologues et sondeurs rangent dans la catégorie de l’opinion publique. Les politiques, de droite, comme de gauche, s’enlisent depuis quinze ans dans des choix électoralistes et démagogiques. Mais celui qui consiste, chez François Hollande, à vouloir changer la Constitution pour priver des binationaux terroristes potentiels de la nationalité française trahit le passéisme intellectuel de ceux qui nous gouvernent.

Le Président de la République et son Premier ministre essayent de vendre à l’opinion, sidérée par les attentats islamistes de l’année 2015, un médicament périmé. Car on n’en est plus à la question de la double nationalité pour des Français devenus islamistes sans frontière qui massacrent d’autres Français, au prétexte que ce sont des mécréants. La problématique de la bi-nationalité se posait dans les années 1970, dans le cadre des querelles politiciennes, entre la droite et la gauche, sur le droit de vote des immigrés.

Les Français ne sont pas dupes : pour calmer la révolte qui gronde sous l’indignation, on leur donne un os à ronger. Et si les Français sont pour, à 83%, c’est parce qu’ils voient dans cette mesure symboliquement martiale et sécuritaire, un moyen d’encourager leurs dirigeants à la re-valorisation de l’idée de nation qui les lie. A l’opposé, dans cette aventure populiste à laquelle le pouvoir les invite, le symbole ne fonctionne qu’à moitié et le pathétique l’emportera. Surtout quand on songe à la réaction patriotique et courageuse de ceux qui, en réponse aux attentats s’engagent tous les jours, volontairement dans l’armée pour combattre les nouveaux ennemis de la France. Les citoyens savent aussi, car ils le vivent chaque jour davantage, que la radicalisation islamiste des esprits renvoie, pour une part, à l’auto-destruction  de notre système d’éducation, que la réforme de Najat Vallaud Belkacem, au prétexte du contraire, est en train d’achever.

2- La faiblesse des réactions, de la part des détenteurs de la puissance judiciaire, confrontés à l’exhibition pornographique d’un viol, dans une vidéo mise en circulation sur les réseaux sociaux, par deux jeunes hommes de vingt ans, manifeste, au plan culturel, un semblable fossé entre la France et ses élites. Et cette inertie mentale pointe, de la même manière, l’incapacité des autorités publiques à mesurer la gravité de l’interaction entre un certain usage des nouvelles technologies et la démission de notre système d’éducation.

La vidéo est sans ambiguïté : la jeune-fille de 18 ans apparaît droguée, amorphe, incapable de parler, ni de faire quoi que ce soit, durant une soirée de plusieurs heures, filmée par intermittences. Il n’y a guère de doute sur la préméditation de la part des deux individus dont l’un explique, au moment des préparatifs filmés de la soirée, que, pour "les munitions", après l’alcool et le cannabis, exhibé en gros plan : "maintenant je vais chercher ma beurrette". Un mot répété plusieurs fois, tout au long du film, au milieu des harangues adressées au spectateur, ainsi encouragé à se régaler du spectacle proposé. Puis le co-équipier filme un scooter, en train de rouler. On ne voit que les pieds du conducteur. Le film reprend au retour dans l’appartement, et montre une jeune fille amorphe, le visage couvert d’une longue chevelure brune, assise de dos, sur un fauteuil, face à un mur, la tête penchée en avant, entre ses mains. A un moment, on la voit, pantalon et haut manches longues, de dos, sur les genoux d’un garçon dont elle repousse avec faiblesse la main, qui tente de lui caresser et claquer les fesses. A un autre, elle est montrée assise sur le sol, à moitié écroulée, une voix moqueuse lui demande : "Mais qu’est ce que tu fous par terre ?". Tout le long du film, dans une sorte de mise en scène, les voix des garçons font mine de rire et de s’amuser.

A la fin de la vidéo, son intimité est filmée en gros plan, alors que, sans réaction, allongée nue sur le lit, elle est pénétrée, à l’aide du goulot d’une bouteille.

Des images sales et morbides. Révoltantes par le dégoût qu’elles inspirent et la désespérance de tout, dont elles témoignent. On est dans les profondeurs abyssales de la déchéance physique. Dans les noirceurs d’une misère intellectuelle et morale certaine. Et dans un viol par imitation de la pornographie démocratisées par le marché du web.

Le lendemain du drame, le commissaire Yannick Janas, directeur départemental de la sécurité publique, tente de minimiser l’affaire dont il a la charge, avec la froideur d’une distance qui se veut professionnelle. Selon plusieurs médias, il affirme : "On est sur fond d’alcool" et dit avoir en sa possession "des éléments" permettant de dire que : "si la diffusion des images est répréhensible, la relation sexuelle ne l'est pas forcément".

Hier matin, l’avocate du prévenu, Françoise Nogues se glisse dans la brèche ainsi ouverte d’une présomption d’innocence, aveugle aux faits révélés par la vidéo : "Mon client est poursuivi pour un crime et un délit. En ce qui concerne le crime (le viol), la victime est la petite amie de mon client depuis 5 ans, il s'agit d'un libertinage poussé entre adultes consentants et avertis. Ce n'est pas répréhensible… Quant au délit de diffusion d'images à caractère pornographique … On fait de mon client le bouc émissaire d'un dis-fonctionnement d’internet."

Conclusion générale des informations fournies entre dimanche et lundi soir, avant que ne soit annoncée, hier, la décision par le parquet de se porter partie civile : circulez, y’a rien à voir. Et pendant ce temps, témoignant de l’abyssal fossé séparant, désormais les élites du commun des mortels, d’une part la vidéo était toujours en ligne, et d’autre part, des commentaires indignés circulaient dans de nombreuses conversations sur Facebook et sur Twitter, du type :

"yaquelavéritéquifache 04 Janvier à 18:18

alors parce qu ils la connaissaient, parce qu elle a été saoulée et drogué le viol est remis en cause ? c est quoi cet embrouille du procureur ? du moment qu elle n avait pas tout son libre arbitre c est de la contrainte .....tiens je souhaite la meme chose à ses gosses on verra s il est aussi magnanime le type"

Rien donc, de prime abord ne semble rapprocher ces deux faits, instrumentalisation politique de la déchéance de nationalité et, viol d’une jeune fille diffusé par les réseaux sociaux, si ce n’est la façon dont ils ont été traités : par un même aveuglement face au réel qu’ils dévoilent pourtant.

Car au-delà de la disparité des domaines traités, politique politicienne d’un côté, fait divers de l’autre, ces deux informations renvoient à un constat commun.

La mondialisation de la communication, mais surtout une évolution culturelle incomprise de la société, liée pour une large part à la place qu’y occupent désormais les réseaux sociaux, sont au fondement de l’incompréhension, et de l’incapacité, à donner un sens public et civil à des faits inédits, de la part de responsables, quel que soit leur niveau de compétence, culturelle, politique, judiciaire ou économique, qui se retrouvent, en majorité, à côté de la plaque.

Mais c’est l’absence de courage intellectuel et politique qui, seul, les contraint à opter pour un tel déni du réel et à préférer un aveuglement généralisé.

Il est par conséquent de la responsabilité des chercheurs en sciences humaines, des scientifiques et des intellectuels, de les éclairer : c’est mon vœux pour l’année 2016. Bonne année à tous : que le progrès ne s’arrête jamais !

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