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Quand le scandale des complémentaires santé est dénoncé
©Reuters

Bonnes feuilles

La liste est longue des scandales liés aux organismes de complémentaires santé dénoncés dans ce livre, dans un domaine qui concerne chacun d’entre nous : la couverture du risque santé. L’auteur dénonce cette évolution de notre système de santé et propose des mesures pour infléchir cette tendance tout en adaptant le système aux nouveaux enjeux du XXIe siècle. Extrait de "Complémentaires santé - le scandale !" de Frédéric Bizard, aux éditions Dunod 1/2

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard est professeur d’économie à l’ESCP, président de l’Institut de Santé et auteur de « L’Autonomie solidaire en santé, la seule réforme possible ! », publié aux éditions Michalon.

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«FAITES confiance aux complémentaires santé pour maîtriser les dépenses de santé », affirmait récemment un dirigeant d’un des principaux organismes complémentaires d’assurance maladie (appelés Ocam dans ce livre). Ce cri du coeur n’est pas isolé, il est poussé par tout un secteur qui se sent pousser des ailes. En effet, la conquête du pouvoir par les Ocam dans notre système de santé est en marche, à un rythme accéléré ces dernières années.

Elle a commencé par l’extension de la couverture de la population, passée de 70 % dans les années 1980 à plus de 95 % aujourd'hui. Elle s’est poursuivie avec la loi santé d’août 2004 qui a introduit les Ocam dans la gouvernance du système de santé. La création de l’Union nationale des organismes de complémentaires d’assurance maladie (Unocam) dans cette loi avait pour objet de faire participer les Ocam à la régulation des professionnels de santé. Elle a trouvé son apothéose avec la politique de santé menée depuis 2012 qui a été largement au service des Ocam. Le candidat Hollande avait inclus dans son programme électoral deux mesures qui n’avaient pas été au coeur de la campagne présidentielle mais qui annonçaient la couleur : une généralisation de la complémentaire santé et un tiers payant généralisé très soutenu par les Ocam. La politique menée par la Ministre de Santé sera conforme aux  engagements pris envers le secteur, publiquement pour certains et plus secrètement pour d’autres.

Dès son entrée en fonction en mai 2012, la Ministre a lancé une attaque virulente contre les compléments d’honoraires des médecins de secteur 2, cible principale de la Mutualité française qui veut mettre fin à la liberté d’honoraires régulée. Peu importe que cette liberté d’honoraires ait toujours existé depuis 1945 et qu’elle ait été élargie par les pouvoirs publics en 1980 à des milliers de médecins. Pour permettre aux Ocam de réduire leurs remboursements, il fallait diaboliser cette pratique, première mission accomplie !

En octobre 2012, le congrès de la Mutualité française a été l’occasion pour la Ministre d’accomplir une deuxième mission, celle-ci était restée secrète jusque-là, tant elle était injustifiable : le report d’un an de l’obligation de transparence des frais de gestion des Ocam vis-à-vis des assurés. La troisième mission sera le vote de la loi Le Roux fin 2013, autorisant les mutuelles à mettre en place des réseaux de soins conventionnés avec remboursements différenciés. Dans la même année, la loi de juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi a instauré la généralisation des contrats collectifs à tous les salariés. Est venue ensuite la redéfinition des contrats responsables en 2014 qui a plafonné le remboursement de certains soins, dont ceux des consultations médicales et des lunettes.

La loi santé en cours d’examen en 2015 va donner satisfaction à une revendication de longue date des Ocam : l’accès à l’information médicale (open data) présent dans les serveurs de l’assurance maladie. Cette liste n’est pas exhaustive (on peut y ajouter les contrats ACS, les contrats seniors, etc.) mais elle illustre l’activisme effréné du gouvernement : à chaque année, sa loi ou son décret pour servir les Ocam, ou au moins la Mutualité française.

Les conséquences de ce qui revient à un transfert de pouvoir de l’assurance maladie vers les Ocam vont être majeures sur l’évolution de notre système de santé. C’est incontestablement un rapprochement de notre système de santé vers le système américain du managed care qui est en marche. La mesure la plus emblématique est la loi Le Roux qui accélère la constitution des réseaux de soins, duplication dans notre système des réseaux HMO et PPO américains (chapitre 4). Cette extension est certes limitée à certains soins courants mais les Ocam sont déjà en action pour qu’on n’en reste pas là. La digue principale contenue dans le code de la mutualité a sauté, les autres digues ne résisteront pas longtemps. Cette évolution « à l’américaine » de notre système de santé a été accélérée depuis 2012, mais elle remonte à plus longtemps. Aucune personnalité politique ne l’a jamais revendiqué et se garderait bien de le faire. On est dans une évolution rampante de notre système. L’affaiblissement du rôle de l’assurance maladie par l’État depuis vingt ans se traduit en réalité par un renforcement des Ocam dans la gestion du risque. Un des objectifs de ce livre est de faire prendre conscience de cette réalité et de ses conséquences. Nous évoquerons les mesures à prendre tant qu’il n’est pas encore trop tard d’agir.

Cette évolution est le fruit d’un long processus idéologique au sein de l’État qui fait suite à l’incapacité de son administration (sachant que le politique s’intéresse peu au sujet) à maîtriser durablement les dépenses et à adapter notre système de santé aux nouveaux enjeux. Le respect de l’Ondam (1) depuis 2010, obtenu principalement en diminuant la valeur réelle ou nominale des tarifs et non en restructurant pour améliorer l’efficience du système, n’est pas tenable dans la durée, surtout si l’on veut diffuser l’innovation médicale. Il a ainsi été admis qu’il fallait confier la régulation de ceux que l’État estimait être les principaux responsables des dérives du système et des dépenses, les professionnels de santé, au secteur financier privé. Celui-ci serait probablement plus efficace et surtout plus libre pour agir, n’ayant ni contraintes électorales ni contre-pouvoir. En bref, l’État se dit que puisque les pouvoirs publics n’arrivent pas à contraindre les professionnels de santé à maîtriser les dépenses, laissons les assureurs privés le faire.

Au-delà de l’erreur de raisonnement sur le plan économique, déjà commise dans les années 1980 et 1990 où l’on a diminué par deux le numerus clausus des médecins, c’est une formidable abdication de l’autorité publique dans son rôle de défense de l’intérêt général, qu’elle avait en partie délégué à l’Assurance maladie.

1. Objectif national des dépenses d’assurance maladie, voté chaque année par l’Assemblée nationale.

Extrait de "Complémentaires santé - le scandale !" de Frédéric Bizard, publié aux éditions Dunod, 2016.  Pour acheter ce livre, cliquez ici

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