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Arabie saoudite, l’allié Sparadrap... : pourquoi personne ne peut vraiment se permettre de lâcher les Saoud
©Reuters

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L'idée de refonder la stratégie d'alliance occidentale au Moyen-Orient sans l'Arabie saoudite fait son chemin. Si le royaume sunnite ne joue pas toujours franc jeu, le contraindre à endiguer le financement du terrorisme islamiste serait plus judicieux qu'une mise au ban de l'échiquier diplomatique régional.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Après les provocations de l'Arabie saoudite à l'égard de l'Iran, plusieurs voix s'élèvent pour remettre en question l'alliance des Occidentaux avec le royaume sunnite dirigé par les Saoud. A la fin des années 70, Jimmy Carter avait décidé d'abandonner le Shah d'Iran, ce qui ouvrit la voie aux islamistes radicaux au pouvoir. Que peut nous apprendre cet épisode dans nos relations avec l'Arabie saoudite ? Avons-nous vraiment intérêt à nous passer du royaume sunnite dans nos relations diplomatiques ?

Alexandre Del Valle : En géopolitique et en diplomatie, c’est le réalisme et le pragmatisme qui valent sur le long terme, non les postures moralisatrices et idéalistes extrêmes, comme on l’a vu en effet avec la désastreuse politique anti-iranienne de Jimmy Carter, car ce fut la mise en oeuvre de sa politique à la fois naïve et moralisatrice qui permit la révolution iranienne de 1979. Carter nia les fondements élémentaires de la stratégie et du réalisme géopolitique. A la place du régime du Shah, qui pourtant était proche des Occidentaux et surtout des Américains, l’Occident dans son ensemble, prisonnier de ses courtes vues et de ses valeurs démocratiques dévoyées par Khomeiny, a préféré mettre au pouvoir des islamistes dangereux parrainés et exemptés par la gauche et l’extrême-gauche bien-pensante mondiale et occidentale. Le Shah fut alors perçu comme le pire bourreau sanguinaire et dictateur alors que Khomeini était perçu comme le porteur d’une synthèse islamo-gauchiste révolutionnaire dont on a vu par la suite le caractère totalitaire et surtout ingrat avec ses parrains français et américains...

Aujourd’hui, la situation est différente en Arabie Saoudite. On n'a pas le choix entre un régime considéré par les Occidentaux comme le pire de l’humanité et des opposants internes à la mode. La monarchie saoudienne n’est pas aussi décriée que ne l’était le régime du Shah par nos Etats occidentaux et ses opposants ne sont pas aussi bien vus que l’était Khomeini à l’époque. La configuration actuelle et la situation générale au proche et Moyen Orient commandent de rester à la fois prudents et indépendants et donc non pas de rompre brutalement avec Riyad - ce qui est impossible pour le moment, et ce qui déstabiliserait encore plus la région, laissant un vide facilement rempli par Al-Qaïda ou Daesh, voire les Iraniens dans les régions chiites de l’est de l’Arabie saoudite – mais d’envoyer à cet Etat schizophrène aux positions plus qu’ambigües un message clair et d’appeler les dirigeants saoudiens à continuer sur la lancée des reformes (timides) puis surtout à rompre avec les djihadistes en Syrie ou ailleurs puis à cesser de financer y compris chez nous des groupes salafistes subversifs.

Il convient de leur faire comprendre que si leur attitude ne devient pas plus responsable, nous pourrions aller encore plus loin dans l’ouverture aux alternatives qui s’offrent à nous, notamment avec le partenaire iranien chiite, ce qu’ont déjà commencé à faire de facto les Etats-Unis en Irak depuis 2003 en laissant les chiites remplacer les élites politiques  baathistes et, plus récemment, en scellant un accord avec l’Iran en vue d’une normalisation des relations en échange d’un abandon du nucléaire militaire. Il ne s’agit pas de rompre les relations avec l’Arabie Saoudite, mais de diversifier les relations et de mettre l’Arabie saoudite en face de ses responsabilités. La politique au Moyen-Orient doit être celle de la diversification qui permet de jouer à la fois sur les alliés traditionnels qu’on ne peut pas abandonner et des nouveaux alliés (iraniens) à condition qu’ils tiennent leur engagement concernant l’abandon du nucléaire militaire, ce qui reste encore vérifier, ce qui montre qu’on ne change pas d’alliance d’un coup et qu’il faut analyser les choses avec le temps et de façon prudente. Il est clair qu’une alliance avec l’Iran permettrait de faire d’une pierre, deux coups, à la fois en s’ouvrant au marché iranien, qui est prometteur et en se rapprochant d’un pôle islamiste chiite hostile à la menace islamiste sunnite salafiste mondiale. L’Iran est une dictature, certes, mais elle n’est pas derrière le djihadisme salafiste sunnite et elle combat aujourd’hui le même ennemi que nous.

Quelles sont les interdépendances qui lient l’Occident à l'Arabie saoudite ?

Le pétrole d’Arabie Saoudite est le plus stratégique du monde en termes de réserves prouvées de bonne qualité, facilement raffinable et transportable par la mer, et c’est donc le plus rentable pour les compagnies pétrolières occidentales. Il faudrait donc parler de bénéfice mutuel plutôt que de dépendance unilatérale, car du pétrole et du gaz, il y en a partout, mais celui du Golfe est celui qui rapporte le plus aux compagnies occidentales. Rappelons nous du Pacte du Quincy scellé en 1945 entre le roi saoudien Ibn Saoud et Roosevelt, pacte qui privilégiait les compagnies pétrolières américaines dans l’exploitation des ressources en échange d’une protection militaire étatsunienne du royaume bédouin fragile car alors dépourvu d’armée et de tradition étatique nationale.

Le coût technique du baril de pétrole varie de 0.4 à 15 $ par baril, les plus faibles se situent dans les pays du golfe ou le cout technique du brut oscille entre 0.4 et 4 $ le baril, là un baril russe, américain ou autre varie de 3 à 20 dollars selon les lieux et les qualités. Il faudrait donc plutôt parler de bénéfices mutuels plutôt que de dépendance, car on pourrait trouver du pétrole ailleurs. Cette dépendance est surtout d'un point de vue de la gestion et la commercialisation du pétrole, qui est donc le fait des compagnies occidentales. En ce sens, on pourrait être moins dépendant, mais ce serait au prix de la transition ou tout du moins de la diversification énergétique qui couterait plus cher au moins pendant un certain nombre d’années. Or les Occidentaux et surtout leurs compagnies pétrolières ne sont pas prêtes pour le moment à consentir à ces sacrifices et investissements nécessaire pour se passer des monarchies islamistes du Golfe.

Et c'est d'ailleurs ce que les Américains mettent en œuvre :  eux mêmes ont toujours cherché à diversifier leurs approvisionnements dans une logique de politique souveraine. En plus de l'exploitation des gaz de schistes, les Américains détiennent nombre de fournisseurs, y compris le Vénézuela pourtant ferme opposant aux Etats-Unis. De la même manière, afin d’être indépendante, l’Union européenne voudrait dépendre un peu moins du gaz russe, mais le prix à payer sera de dépendre plus des pays producteurs du Sud (pays turcophones de la Caspienne, pays arabes, Kurdistan, Iran, ou huiles de schistes nord-américaines).

De toutes façon, en dépit de leur autosuffisance, les Etats-Unis ont également grand besoin de contrôler le Moyen-Orient et de le sécuriser, même si elle sera bientôt le premier exportateur de pétrole, car ce qui compte pour la plus grande puissance mondiale, c'est aussi de contrôler le pétrole et le gaz des autres...

Comment les Occidentaux pourraient-ils faire davantage pression auprès des Saoudiens ?

Ce qui manque à l'Europe aujourd'hui, c'est une realpolitik, une géopolitique souveraine appuyée sur le long terme et les intérêts clairement définis. Or si nous devons continuer à coopérer et échanger avec les Saoudiens ou d’autres pays du Golfe, rien ne nous empêche de défendre un peu mieux nos intérêts, ce qui passe par le fait de sommer nos partenaires saoudiens ou qataris de cesser de financer chez nous des mouvements islamistes qui manipulent et fanatisent des jeunes des banlieues contre leur propre pays d'adoption et ses valeurs fondamentales. Ce que fait l’Arabie saoudite chez nous en distillant une idéologie subversive sous couvert de gestion du culte est simplement inacceptable et nos politiques peuvent agir sur ce point mais hélas ils sont frappés de manque de volontarisme et d’indifférence coupable sur fond d’intérêts financiers de court terme.

Au niveau moyen-oriental, on ne peut pas encourager l’Arabie saoudite de provoquer une escalade vis-à-vis du chiisme et de l’Iran et tout doit être fait côté américain et français (pays proches de  Riyad) pour tenter de raisonner la jeune garde saoudienne héritière particulièrement véhémente à l'égard de l'Iran (princes Mohamed Ben Salmane et Ben Nayef). Les Occidentaux devraient mettre ces dirigeants en face de leur responsabilité et exiger de l'Arabie saoudite qu’elle cesse d’exporter son idéologie fanatique au moins chez nous, là où nous avons un moyen d’action et le droit de l’empêcher. Les pouvoirs publics devraient empêcher l'accueil de prédicateurs salafistes saoudiens et le contrôle de centres islamiques et mosquées d’Europe par les Saoudiens wahhabites, car une fois en place chez nous, ces éléments wahhabites véhiculent dans nos sociétés ouvertes à tous les vents des messages théocratiques et obscurantistes contraires à nos valeurs et tournés contre l’intégration, donc foment d’ingérence et d’instabilité, ce qui n’est pas tolérable de la part de tout pays souverain. Dans le long terme, il est clair qu’il faudra beaucoup plus investir et miser sur les alternatives au pétrole saoudien et au pétrole tout court, mais le prix à payer sera dans le court terme accepter de dépendre encore plus des hydrocarbures russes, puis dans le long terme d’investir des sommes très importantes dans les infrastructures nécessaires à la mise en œuvre de la transition énergétique. Car si nous le voulons et investissons dans ce sens, dans quelques décennies, nous pourrons totalement nous passer des monarchies islamiques problématiques du Golfe et en tout cas limiter fortement les importations en provenance de ces pays. Bref, le pouvoir politique doit reprendre le dessus sur l’économique et le long terme sur le court termisme...

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